Amy De Schutter : « Les jeunes souffrant de problèmes psychiatriques ont droit à un traitement adapté »

Amy De Schutter a 31 ans et est licenciée en physique. Elle a souffert de problèmes psychiatriques depuis l’âge de 13 ans. Elle a raconté ce qu’elle a vécu dans un livre, Hoe men van een klaproos een monster maakt (comment on transforme un coquelicot en monstre). Elle veut ainsi briser le tabou et lutter contre la honte et le sentiment de culpabilité que ressentent les personnes souffrant d’une maladie psychiatrique. Aujourd’hui, la ministre de la Santé Maggie De Block (Open VLD) veut économiser 8 millions sur les soins psychiatriques des enfants et adolescents : moins d’argent, moins de personnel. Nous avons interrogé Amy sur son expérience.

Que vous-est-il arrivé quand vous aviez 13 ans ?

Amy De Schutter. À cet âge, je n’allais vraiment pas bien du tout. Après avoir consulté, on nous a dit, à moi et à mes parents, que je pouvais rentrer dans un service de pédopsychiatrie, mais pas tout de suite, il fallait attendre un an et demi. C’était absurde, c’était à ce moment-là que j’étais en crise, pas un an et 6 mois plus tard. On m’a donc mise dans un service de psychiatrie pour adultes, ce qui s’est avéré désastreux. Là, j’ai vraiment vécu des traumatismes. De mes 13 à 19 ans, je suis passée par pas moins de 21 différents services de psychiatrie ! Les traitements étaient, pour le dire gentiment, inadaptés. J’ai passé des heures innombrables dans des chambres d’isolement, sans horloge, sans lumière du jour. Le lit était vissé au sol et je devais sonner et parfois attendre longtemps avant de pouvoir aller à la toilette. Il est souvent arrivé que l’on m’attache, une manière de me « calmer », disaient-ils. En tant qu’adolescente, je ne pouvais pas être beaucoup en contact avec les autres patients et j’étais dans une « chambre sécurisée ». J’ai reçu de mauvais diagnostics, et donc de mauvaises thérapies. La médication n’était pas non plus adaptée à des jeunes, cela m’abrutissait complètement. Je me sentais coupable, comme si c’était ma faute. De telles choses arrivent encore aujourd’hui et c’est inacceptable.

Gardez-vous de la rancune envers le personnel soignant ?

Amy De Schutter. Tous les soignants voulaient me voir partir le plus vite possible, vers une autre institution. Et je peux le comprendre, ces gens n’étaient pas formés pour ça, ils ne savaient pas comment faire avec moi. Il y en a aussi eu beaucoup qui ont vraiment tout ce qu’ils pouvaient, je ne sais pas comment je m’en serais sortie sans eux. Au bout du compte, ce ne sont pas les soignants, c’est le système qui est mauvais. Un enfant ou un adolescent dans la psychiatrie pour adultes, ça ne va pas du tout. Les soignants sont aussi victimes de ce système.

Maggie De Block veut économiser 8 millions dans la pédopsychiatrie. Qu’en pensez-vous ?

Amy De Schutter. Cela me met en colère, furieuse même. C’est juste incroyable. Les listes d’attente sont tellement longues et le besoin de soins adaptés et de qualité est immense. Et elle explique cela comme s’il y avait un sur-financement depuis des années ! Ce sont des mensonges. Il y a un manque chronique de soins pour les jeunes. Chaque jeune qui ne reçoit pas les soins adéquats est un jeune de trop. Pour un pays riche come la Belgique, c’est un scandale !

C’est tout simplement une mesure stupide, une vision à court terme. J’ai été fortement traumatisée par tout ce que j’ai vécu. Et combien tout cela n’a-t-il pas coûté en hospitalisations et traitements ? Bien plus que ce qu’aurait coûté un investissement dans une pédopsychiatrie adaptée. Et je ne parle même pas des ravages émotionnels qui, eux, n’ont pas de prix.

Si vous pouviez améliorer les soins psychiatriques en Belgique, que feriez-vous ?

Amy De Schutter. Faire en sorte que plus personne ne puisse vivre ce que j’ai vécu. Hélas, je connais plusieurs patients dans cette situation. Ils me contactent suite à mon livre. Mettre un enfant dans un service de psychiatrie adulte est une violation des droits de l’enfant. Les politiques doivent faire en sorte qu’aucun enfant ne soit mis dans la psychiatrie pour adultes. Chacun a droit à un traitement humain et digne. Les pays scandinaves sont bien plus avancés. Là, les personnes peuvent trouver leur place dans la société, dans des initiatives à petite échelle. Ici, on est mis sur le côté comme si on ne faisait plus partie de la société, alors que beaucoup d’enfants et de jeunes ne sont absolument pas incurables mais, pour finir, ils le deviennent à cause des traitements inadéquats.

Des pratiques comme la thérapie par le son et par la voix et l’eutonie m’ont énormément aidée à propos de choses dont je n’arrivais pas à parler. C’est tellement important, je ne peux pas toujours parler, j’ai vécu trop de choses. Mais le plus important, c’est qu’il y ait des investissements suffisants : suffisants pour octroyer à chacun l’aide adéquate. Il ne faut pas que ces soins soient considérés juste comme un poste de dépenses, mais comme un investissement dans l’avenir de ces jeunes et, donc, de la société. Ça, ce serait vraiment une excellente chose. Et, en plus, chacun y a droit.

De Block voulait économiser 8 millions dans un secteur déjà sous-financé

Dans l’interview ci-contre, Amy De Schutter réagit à une décision prise début juillet par la ministre de la Santé Maggie De Block. Suite à une forte vague de protestations, la ministre a annoncé qu’elle allait demander l’avis du Conseil fédéral pour les équipements hospitaliers. « Et ce conseil ne donnera jamais son accord », soulignait De Tijd. De Block voulait réduire de moitié le budget prévu pour les soignants des sections de jour en pédopsychiatrie dans les hôpitaux généraux. « Je ne comprends absolument pas ces restrictions », a réagi entre autres le pédopsychiatre Peter Adriaenssens. « Il s’agit de jeunes traumatisés qui, dans certains cas, pensent chaque jour au suicide. » Avec près de trois suicides par jour, le suicide est aujourd’hui la principale cause de décès chez les jeunes de 15 à 29 ans. Dans une déclaration commune, les pédopsychiatres ont mis en garde contre les conséquences de la décision de De Block : « Dans le meilleur des cas, cela retarde les chances de rétablissement et de réintégration. Le processus de rétablissement dure alors deux fois plus longtemps. Il s’ensuit également que seule la moitié du nombre d’enfants peuvent être traités. Les listes d’attente vont encore s’allonger », écrivent les pédopsychiatres. Ou encore : « Ici, le gouvernement fédéral économise 8 millions d’euros dans un secteur qui manque déjà cruellement d’argent et d’encadrement. »

Article publié dans le mensuel Solidaire de septembre 2017. Abonnement.