« Si l’Europe impose l’austérité, elle fait un cadeau incroyable à l’extrême droite »

La Confédération européenne des syndicats (CES) regroupe les principaux syndicats nationaux des pays européens, soit 45 millions de travailleurs. Le plus grand mouvement social en Europe mène une campagne contre l’austérité. Explications de Ludovic Voet, secrétaire confédéral de la CES.

La menace d’austérité dure est de retour. La Commission européenne veut nous imposer des coupes budgétaires dans les services publics et la sécurité sociale. Pour la Belgique il s’agirait d’une austérité de 2,7 milliards d’euros en 2024.

L’Europe semble vouloir avancer très vite vers un nouveau plan d’austérité. Quelle est la logique derrière ?

Ludovic Voet. En 2020, lors de la pandémie, nous avions réussi à obtenir de l’Union Européenne la suspension des règles budgétaires qui ont imposé les politiques d’austérité par le passé. Mais cette suspension prend fin le 31 décembre 2023. Malgré l’appel de la CES à prolonger la suspension de ces règles dans le double contexte d’inflation forte avec ses impacts sur nos factures d’une part et des nécessaires investissements publics pour transformer nos sociétés face à la crise climatique en cours d’autre part, les institutions européennes s’empressent de négocier des règles un peu moins contraignantes que les précédentes.

Vu les effets néfastes des précédentes vagues d’austérité après la crise financière de 2008, c’est un bon point de départ de réformer ces règles. Mais pas à n’importe quel prix ! Les travailleurs ne veulent pas négocier la taille de l’austérité à venir. Ils savent bien ce que signifient les coupes budgétaires : détricoter leurs droits sociaux et les services publics, augmentation du temps de travail, non-remplacement des collègues partant à la pension, blocage des salaires et toutes sortes de mesures injustes. N’a-t-on rien appris des crises successives ?

Ces coupes sont-elles justifiées ?

Ludovic Voet. Si elles se font sur la population et la planète, non. Sur la surconsommation des ultra-riches et sur les surprofits des grosses entreprises, pourquoi pas ? Entre juillet 2022 et juillet 2023, les 3 000 entreprises avec la plus grande capitalisation boursière au monde ont accumulé 4 % du PIB mondial (richesses produites) en surprofits. Pas en profits, mais en surprofits. Il s’agit de 500 euros produits par habitant de cette planète, transférés en capital non productif (qui ne rapporte rien à la collectivité mais est confisqué par une poignée de capitalistes, NdlR). En Europe, c’est 800 milliards d’euros qui sont allés sur les comptes en banque des grosses entreprises. De l’argent pourtant tellement nécessaire pour mener une politique de redistribution, une politique d’augmentation des salaires, une politique d’investissement climatique et social.

L'Europe, l'heure de la rupture

Que pense la CES des nouvelles règles en discussion ?

Ludovic Voet. Les nouvelles règles proposées repartent des mêmes principes que les anciennes, à l’origine directe de la récession consécutive à la crise financière de 2008. Réduire la dette publique pour les États dont la dette dépasse 60 % du PIB et réduire les dépenses pour ceux qui ont plus de 3 % de déficit dans leurs budgets. Cela risque de compromettre la transformation socio-écologique nécessaire en réduisant les investissements, les services publics et le soutien aux travailleurs, accentuant ainsi les inégalités.

Il est donc grand temps de sortir de l’idéologie et des fausses croyances en économies. Ne pas le faire, c’est faire reposer les catastrophes climatiques et sociales à venir sur les futures générations.

On ne parlera plus de coûts financiers, mais de coûts humains et environnementaux. La Wallonie en 2021 et la Slovénie en 2023, touchées par les inondations, le savent déjà trop bien. Une semaine d’inondations en Slovénie cet été a coûté l’équivalent d’un tiers du budget de l’État. Des finances publiques soutenables doivent répondre aux défis de demain. Ce sont nos hôpitaux, nos écoles, nos pompiers, mais aussi nos pensions qu’on finance.

Pendant la crise du Covid, des politiques de soutien économique et social ont été mises en place grâce à la suspension des règles budgétaires, notamment en augmentant les déficits publics.

Quelles sont les moyens d’action dont le mouvement social dispose ? Les élections de juin en font-elles partie ?

Ludovic Voet. Nous ne pouvons pas laisser les décideurs discuter entre eux de règles qui imposeront les futures attaques sur nos droits sociaux. Le mardi 12 décembre 2023, des milliers de travailleurs sont sortis dans les rues de Bruxelles à l’appel de la CES. Mais ça doit devenir un sujet dans toutes les capitales européennes.

La pression actuelle rend difficile l’adoption des nouvelles règles, cela montre que nous avons un impact. Les nouvelles règles budgétaires empêcheront vraisemblablement toutes avancées sociales demandées par les syndicats et que les partis progressistes voudraient mettre en place. Et si l’Europe fait ça, elle fait un cadeau incroyable à l’extrême-droite. Un double cadeau même. L ’extrême-droite pourra faire campagne en dénonçant les règles d’austérité votées par les partis au pouvoir. Ensuite, une fois au pouvoir, ils pourront faire des coupes dans nos droits sociaux et montrer leur visage néolibéral tout en mettant cette faute sur « l’Europe ».

Quels sont les liens possibles avec les luttes en cours dans les différents pays ?

Ludovic Voet. La solidarité entre les mouvements sociaux européens est essentielle, permettant le partage de stratégies. On ne peut se battre pour le pouvoir d’achat qu’en l’articulant aux changements nécessaires des règles économiques. Donc oui, les travailleurs se mobilisent partout en Europe pour des augmentations de salaires, pas des miettes. Les travailleurs ont intérêt à l’augmentation des salaires et à la baisse des prix. Les détenteurs du capital, l’inverse.