« La police est de plus en plus envoyée sur les piquets de grève »

Le 10 décembre dernier, cela fait exactement soixante-huit ans qu’était signée la Déclaration universelle des Droits de l’homme, qui garantit à tous les citoyens des droits sociaux, économiques, culturels, civils et politiques. Aujourd’hui cependant, ces droits sont de plus en plus menacés, y compris en Belgique, constatent Progress Lawyers Network et d’autres organisations qui ont mené une action à Bruxelles et à Anvers.

Le 9 décembre dernier, la N-VA lançait une campagne Twitter contre les juges, qualifiés d’ « activistes déconnectés de la réalité », suite aux jugements obligeant le secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration Theo Francken à délivrer un visa humanitaire à une famille syrienne, et condamnant l’État à payer des astreintes si Francken persiste dans son refus. Le même jour, aux Pays-Bas, le politicien d’extrême droite Geert Wilders était condamné pour avoir stigmatisé les Marocains de ce pays. Wilders qualifie en ricanant les juges de « complètement dingues et en dehors de la réalité ».

Ce même 9 décembre, le bureau d’avocats rogressistes Progress Lawyers Network et d’autres organisations ont mené une action devant les palais de justice de Bruxelles et d’Anvers afin de rappeler l’importance de nos droits et libertés démocratiques.

« Les droits de l’homme sont le cœur de notre État de droit, a déclaré Lies Michielsen, de Progress Lawyers Network. Sans droits fondamentaux, le citoyen est livré à l’arbitraire des autorités. »

Un Patriot Act à la Belge

Paul Pataer, de la Ligue des droits de l’homme, a rappelé l’état d’urgence décrété en France : « Les policiers ont reçu des pouvoirs spéciaux et les contrôles judiciaires ont pratiquement disparu. On répond ainsi totalement aux désirs des terroristes, qui veulent l’affaiblissement de l’État de droit. L’instauration de l’état d’urgence en temps de paix est un signe de faiblesse. » 

Ludo De Brabander, de l’ASBL Vrede vzw, a dénoncé la manière dont la lutte contre le terrorisme était utilisée contre les droits fondamentaux. « Il suffit de constater les effets du Patriot Act aux États-Unis. Or Bart De Wever a déclaré qu’il voulait un Patriot Act à la Belge. En septembre, son parti a présenté un plan de sécurité qui stipule que tout lieu est un “potentiel front de guerre”. Avec des mesures contre le terrorisme, mais aussi contre “d’autres calamités qui peuvent avoir un impact destructeur sur l’ordre public, la cohésion sociale et la sécurité publique”. » 

Violence raciste dans le fourgon

Lorsque les droits et les libertés sont vidés de leur substance, les premiers à en payer le prix sont les groupes les plus faibles de la société. C’est ce qu’a souligné Hakim Benichou, de l’association Samenlevingsopbouw. « En parlant des droits de l’homme, je pense à la lutte pour plus de justice. Par exemple, au plan de l’emploi, on constate que ce sont avant tout les personnes qui ont fait le moins d’études qui restent sur le carreau. Si on ne crée plus que des jobs pour des personnes hautement diplômées, on laisse en rade un très grand groupe de gens. »

Nina Henkens, de l’association Uit De Marge, a donné des exemples de violence policièr : « Un de nos jeunes collaborateurs a eu une arme braquée sur lui par la police pendant vingt minutes, alors qu’il ne s’était rendu coupable de rien. Un an plus tard, il n’y a toujours pas d’enquête sur cet abus. Alors que lui, il a écopé d’une amende administrative parce qu’il avait demandé à ses amis de filmer l’incident. Une autre personne a été frappée et emmenée dans le combi de la police. “De tous les macaques qu’on a eus dans ce combi, c’est toi le plus moche”, lui a crié un policier. Les gens perdent ainsi totalement confiance dans la police et dans la société. »

Benoît Dhondt, de Progress Lawyers Network : « Un pouvoir armé, ce n’est déjà plus un slogan pour le bourgmestre d’Anvers. C’est déjà une réalité. Les personnes d’origine immigrée, des gens en situation illégale ou ayant un droit de séjour précaire vivent déjà maintenant sous un pouvoir armé. Ce gens ont peur de tout contrôle d’identité, ils sont raflés dans les bus et dans leur logement. Nous avons un secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration qui refuse d’exécuter ce que le pouvoir judiciaire lui a enjoint à trois reprises. Nous avons un pouvoir politique qui veut placer des parents avec leurs enfants en centres fermés dans le but de les expulser, qui refuse d’accueillir des mineurs non accompagnés et les laisse dormir à la rue. En pleine crise des réfugiés, on supprime les subsides à des organisations de terrain qui sont spécialisées dans la problématique des réfugiés. »

Soldats contre grévistes

Lorsque l’État de droit est menacé, ce sont aussi les organisations qui défendent les droits des citoyens qui sont visées. Et les syndicats sont la cible par excellence. « Le gouvernement actuel veut faire taire quiconque s’oppose à l’austérité qu’il nous impose, a déclaré Levi Sollie, secrétaire de la Centrale générale de l’ABVV (FGTB). L’an dernier, lors d’une action, notre président, Bruno Verlaeckt, a été brutalement arrêté, menotté, emmené et mis dans une cellule. Traiter des dirigeants syndicaux de la sorte, c’est du jamais vu. Par ailleurs, on voit de plus en plus que la police est envoyée à des piquets de grève. L’an dernier, lors d’une longue grève chez Agfa-Gevaert, à Wilrijk, le bourgmestre a voulu faire intervenir la police avec des chiens et un canon à eau. Pendant les grèves dans le port d’Anvers, Bart De Wever avait un plan pour faire intervenir l’armée. »

Veerle Verleyen, secrétaire LBC-NVK (CNE néerlandophone), a renchéri : « Museler les syndicats, c’est étrangler la démocratie. Toute conquête sociale a commencé par un rêve. Mais aucune conquête sociale ne s’est réalisée sans grève ou action. En Espagne, il existe désormais une loi qui va très loin dans la limitation du droit à la liberté d’expression et à l’action sociale. Les infractions peuvent valoir des amendes jusqu’à 600 000 euros. La Grande-Bretagne a le Trade Union Bill, qui vient encore s’ajouter à la limitation des droits syndicaux imposée à l’époque de Margaret Thatcher. Une fois que ces droits sociaux sont supprimés, il est très difficile de les récupérer. Les droits syndicaux sont des droits de l’homme, essentiels dans la lutte pour la justice sociale. »

Le comédien et juriste Bert Gabriels a insisté sur la nécessité d’une union et collaboration entre toutes les personnes et organisations qui défendent les droits de l’homme. « Les droits de l’homme ont été signés pour rendre le monde meilleur. Aujourd’hui, on entend certaines personnes affirmer que ce sont justement ces droits de l’homme qui sont le problème, parce qu’ils nuiraient à l’efficacité des politiques des pouvoirs publics. Mais, au contraire, une politique n’est efficace que lorsque ces droits sont respectés. »

Article publié dans le mensuel Solidaire de janvier 2017. Abonnement.