




De la fin des années 1960 au début des années 1970, le Black panther party (BPP) effraie l’establishment américain. A la peur du rouge s’ajoute celle de ces jeunes Noirs organisés, communistes, armés. Et, surtout, qui offrent des repas aux enfants qui ont faim…
Les années soixante sont marquées par des évolutions, et des révolutions. L’Occident redoute le « péril rouge ». Mai 68 secoue l’Europe de l’Ouest. Cuba vient de choisir la voie du socialisme. De nombreux pays africains prennent leur indépendance. La guerre du Vietnam fait rage. En Amérique du Nord, le mouvement pour les droits civiques est à son apogée, l’opposition à la guerre aussi. L’Empire tremble sur ses bases.
« Si tu pousses la panthère noire dans un coin, elle va tenter de fuir en passant par la gauche. Si tu la coinces là, elle va vouloir s’échapper par la droite. Et si tu continues à l’opprimer et à la pousser dans ce retranchement, tôt ou tard, cette panthère va sortir de là et va décimer quiconque l’oppressera » (Huey Newton à Bobby Seale, 1966)
Des jeunes Afro-Américains s’organisent sérieusement, décident que le « We Shall Overcome » (Nous triompherons), slogan chanté par Bob Dylan et Joan Baez et qui est repris en tête de nombreuses marches pacifiques, ne suffit plus et le remplacent par « All Power to the People » (tout le pouvoir au peuple). La plus grande crainte de l’Empire, et du chef du FBI J.Edgar Hoover, est sur le point de se matérialiser. « Dans leur esprit, il y avait l’idée qu’il ne fallait pas qu’il y ait d’autre messie noir après le Dr Martin Luther King et Malcolm X et, là-dessus, ce ne sont pas un Dr Martin Luther King ou un Malcolm X qui débarquent, mais des jeunes qui sont tous des Malcolm X, des Dr Martin Luther King, des Fannie Lou Hamer (militante des droits civiques, NdlR) et des Rosa Parks », raconte Bullwhip, ancien membre du BPP.1 Comment le « Black panther party for self-defense » (premier nom du BPP) s’est-il retrouvé en tête de la liste des plus grandes menaces de la toute puissante Amérique en quelques mois ?
Les Noirs américains ont vécu l’esclavage durant trois siècles et demi. En théorie du moins. Si l’abolition de celui-ci est officiellement promulguée en 1865, la ségrégation qui suit est encore présente 100 ans après. Les États-Unis doivent répondre, après la Seconde Guerre mondiale, à une promesse faite lors de celle-ci, lorsque le pays avait grandement besoin de chair à canon : l’égalité des droits. Mais une fois la guerre terminée, l’Oncle Sam oublie.
La lutte du mouvement pour les droits civiques, débutée en 1950, tente de lui rafraichir la mémoire et obtient des résultats. Insuffisants. En 1963, il y a cinq fois plus de Noirs que de Blancs qui logent dans des habitats insalubres. Les inégalités se creusent : en 1962, les salariés noirs ont des revenus inférieurs de 45 % en moyenne aux revenus des Blancs, contre 38 % en 1952.2
En 1967, la population américaine compte 22 millions de personnes noires. Soit 11,1 % de la population totale. La majorité des noirs vit dans les villes. Ou dans les ghettos, plutôt. L’espérance de vie est de 71 ans pour les blancs, 64 ans pour les noirs. Au Vietnam, où beaucoup de noirs espéraient obtenir de meilleures conditions de vie en rentrant, 11,5 % des militaires étaient noirs. 22 % des victimes militaires US sont noires. De la chair à canon, toujours. Qui dépasse le prisme de la couleur de peau : 76 % des hommes envoyés au Vietnam venaient d’une famille vivant sous le seuil de pauvreté…
La misère, le racisme d’État et, partant, de sa force de police, poussent de nombreux jeunes dans des émeutes aux quatre coins du pays.
Le pouvoir américain est obligé de lâcher un peu de lest. Le Civil rights act (1964) interdit la discrimination sur base de la « race », la couleur, le sexe ou la religion. Mais, dans les faits…
« Les lois sur les droits civiques de 1960, 1964 et 1965 n’ont rien changé à la vie quotidienne de la jeunesse noire américaine et la frustration grandit dans les ghettos noirs des Etats-Unis pendant la première moitié des années soixante. Lorsqu’elle éclate, elle prend la forme d’émeutes contre lesquelles les leaders historiques des droits civiques ne peuvent rien. »3
Depuis le début du XXe Siècle, le « mouvement noir » se divise entre un courant « intégrationniste » et un autre « séparatiste ». Le premier, plus modéré, veut s’intégrer à la société américaine et est mené par Martin Luther King. Le second, plus radical, a Marcus Garvey comme leader et refuse la collaboration avec les organisations non-noires. Surtout, il prône le retour en Afrique. Le BPP refuse ces deux voies. Il voit les limites de l’action non-violente (Martin Luther King est assassiné en 1968 alors que sa pensée évolue vers plus de radicalité) et de la politique « nationaliste noire » (Malcolm X est tué en 1965 alors que son discours s’ouvre à tous les opprimés). Tant que le mouvement est divisé entre ces deux voies qui mènent à des impasses, l’État arrive à le contrôler. Mais quid si une organisation arrive à dépasser cela ?
La ville d’Oakland, en Californie (côte Ouest), est une ville industrielle où de nombreux afro-américains sont venus travailler dans les chantiers navals. A la fermeture de ceux-ci, ils se sont retrouvés au chômage. La pauvreté, et la délinquance, augmentent.
Oakland est aussi la ville de deux jeunes, Huey Newton et Bobby Seale. Suite aux émeutes qui secouent le pays, particulièrement celles de Watts (Los Angeles) où 34 personnes seront tuées lors de l’été 19654, Seale et Newton tentent d’en tirer des leçons politiques, mais aussi tactiques. Face à la violence quotidienne des « pigs » (porcs, surnom amical donné aux policiers), ils tentent de convaincre plusieurs organisations de passer à l’auto-défense. Devant le refus des associations existantes, qui jugent cette attitude suicidaire, ils décident de créer leur propre organisation. Première tâche à laquelle les fondateurs du BPP s’attaquent : aller dans les rues de leur ville puiser l’essence de leur programme politique. Le programme en 10 points est né.
Sorti en octobre 1966, celui-ci doit être accessible à toutes et à tous. « Pour Newton, il faut mettre en relation des principes philosophiques avec les besoins immédiats de la communauté, afin que les noirs qui lisent ce programme puissent y trouver leurs attentes concrètes et quotidiennes et les inscrire dans un ensemble de problèmes plus larges. Ici se dessine un trait qui va caractériser les Panthères noires, cette nécessité de rester toujours près des choses de la vie, près du peuple, tout en l’élevant toujours vers une prise de conscience de la condition de vie des Afro-Américains, et de tous les colonisés du monde », écrit le journaliste et historien Tom Van Eersel.5
1 – Nous voulons la liberté. Nous voulons le pouvoir de déterminer la destinée de notre Communauté Noire.
2 – Nous voulons le plein emploi pour notre peuple.
3 – Nous voulons que cesse le pillage de la communauté noire par les Blancs (ce point a été modifié en 1969, remplaçant la formule « par les Blancs » par « par les capitalistes », NdlR).
4 – Nous voulons des logements décents, aptes à abriter des êtres humains.
5 – Nous voulons l’éducation pour notre peuple qui exposerait la véritable nature décadente de la société américaine.
6 – Nous voulons que tous les hommes noirs soient exemptés du service militaire.
7 – Nous voulons une fin immédiate aux meurtres et aux brutalités de la police.
8 – Nous voulons la liberté pour tous les Noirs détenus dans les prisons et pénitenciers fédéraux, d’Etat, de comté et municipaux.
9 – Nous voulons que tous les Noirs, lorsqu’ils comparaissent devant un tribunal, soient jugés par un Jury composés de leurs pairs, ou par des gens issus de leurs communautés noires, comme le stipule la Constitution des Etats-Unis.
10 – Nous voulons de la terre, du pain, des logements, un enseignement, de quoi nous vêtir, la justice et la paix, et comme notre objectif principal : un plébiscite supervisé par l’Organisation des Nations Unies se déroulant dans la « colonie » noire, et auquel ne pourront participer que des sujets noirs « colonisés », afin de déterminer la volonté du peuple noir quant à sa destinée nationale.
Seale et Newton reviennent vers les habitants des quartiers d’Oakland pour leur demander leur avis. A la question « Quel est le plus gros problème des habitants ? », la réponse est le plus souvent « la police raciste qui nous brutalise ». En plus de son taux de pauvreté énorme, Oakland est en effet connue pour le racisme des forces de l’ordre. Newton et Seale mettent alors en avant le septième point de leur programme (« Nous voulons une fin immédiate aux meurtres et aux brutalités de la police »). Pour ce faire, ils optent pour l’autodéfense. La loi les y autorise : en 1966, la loi californienne autorise le port d’une arme chargée, « à condition qu’elle ne soit pas dissimulée et qu’il n’y ait aucune balle dans la chambre ».
Vêtus d’une veste de cuir noir, de bérets et de gants de la même couleur, la quinzaine de membres que compte alors le BPP descend dans les rues d’Oakland avec ses manuels de droit, des magnétophones et des armes. Le but n’était pas la lutte armée mais surveiller les agents de police et conseiller juridiquement les noirs arrêtés abusivement. Trente ans plus tard, Bobby Seale s’explique à CNN : « D’un côté, les armes étaient là pour capter l’attention du peuple. Mais le plus important, nous portions ces armes pour que la police sache qu’on était à égalité avec eux et que nous allions exercer notre droit constitutionnel de les observer, qu’ils le veuillent ou non. »
Légalistes, connaissant la loi par cœur, les Panthères énervent les autorités, qui cherchent un moyen pour les arrêter.
En avril 1967, un jeune noir est assassiné par la police près de San Francisco. La famille de Denzil Dowell fait appel aux Panthères car elle ne croit pas à la version des autorités qui expliquent cette mort par l’autodéfense d’un policer. Le BPP mène une enquête et arrive à collecter des preuves que Denzil était désarmé au moment des tirs et avait les bras en l’air quand il s’est fait tuer. Les Panthères organisent des rassemblements devant le commissariat. Ils publient le premier numéro de leur journal, « The Black panther black community news service ». Le journal, qui tirera à 125 000 exemplaires chaque semaine en 1970, sert d’outil pour faire connaître le programme des BPP, ses prises de position, ses revendications socio-économiques (comme la semaine de 30 heures, égalité salariale entre femmes et hommes...) unifier le parti. La vente du journal est une des principales activités du parti et deviendra sa première source de financement. Son succès inquiète le FBI. En 1970, J.E. Hoover déclare dans un mémorandum interne que le journal est « l’une des opérations de propagande les plus efficaces du Parti (…) Si l’on peut bâillonner sa voix, cela permettra de l’affaiblir. » Le FBI s’y attellera, sans succès.
Outre les missions d’observation des policiers, l’organisation de manifestations et la promotion du journal, les membres du BPP passent énormément de temps à appliquer leur programme « Service to the people ». L’action la plus importante de celui-ci est la distribution de petits-déjeuners pour les enfants. Pour se procurer les aliments, les Panthères demandent aux commerçants noirs de donner des boites de conserve, du riz, etc. Le succès est immense. Mais il ne s’arrête pas là, selon l’ancienne membre Cleo Sivers : « Nous leur donnions un petit-déjeuner, nous les aidions à faire leurs devoirs, nous leur enseignions l’histoire des Noirs, leur histoire, pour qu’ils soient fiers d’eux-mêmes. »6 Si les programmes sociaux (outre les repas, les Panthères organisent aussi l’accompagnement de personnes âgées à l’hôpital ou à la banque, créent une école élémentaire et mènent des campagnes contre l’anémie et la tuberculose…) ont été occultés par les images de jeunes hommes et femmes en arme, le poing levé, ils font pourtant partie intégrante du programme du BPP. Le FBI le sait et s’inquiète autant des programmes sociaux que des actions plus radicales du BPP… « Il est difficile de qualifier de révolutionnaires criminels des personnes qui chaque matin servent des repas à des enfants dans près de cinquante villes du pays »…7 Le FBI et la police vont donc tenter de stopper ces actions en arrêtant les responsables logistiques du BPP, convaincre les commerçants d’arrêter de donner des vivres au BPP, etc. dès 1969. Pour Hoover, « le programme de petits-déjeuners pour enfants représente l’activité la plus influente menée par le BPP, et en tant que telle, est potentiellement la plus grande menace sur laquelle les autorités doivent appuyer leurs efforts pour neutraliser le BPP et détruire tout ce qu’il représente ».
Quelques mois après sa création, le BPP est en pleine expansion. L’arrivée de l’écrivain Eldridge Cleaver, qui a un réseau très important dans les milieux progressistes, permet au parti de nouer des alliances avec des organisations regroupant des blancs, des latinos, des Amérindiens… Car le BPP mène la lutte des classes, pas des races. « Nous ne combattons pas le racisme par le racisme. Nous combattons le racisme par la solidarité. Nous ne combattons pas le capitalisme exploiteur par le capitalisme noir. Nous combattons le capitalisme par le socialisme. Nous ne combattons pas l’impérialisme par un impérialisme plus grand. Nous combattons l’impérialisme par l’internationalisme prolétarien. Ces principes sont essentiels dans le parti. Ils sont concrets, humains et nécessaires », explique Bobby Seale.8 Comme pour King ou Malcolm X, c’est quand les Panthères font le lien avec les couches populaires rouges, brunes, jaunes et blanches que l’organisation doit disparaître. Si les travailleurs de tout le pays s’unissent…
Durant ses premiers mois, le BPP connaît ses premiers coups d’éclat. Pour enlever le droit au BPP de posséder des armes, le sénateur Mulford propose, début 1967, une loi visant à interdire le port d’armes. En réaction, les Panthères se rendent à une trentaine au Capitole de Sacramento, armés. Bobby Seale tient un discours visant le caractère raciste de cette loi et dénonce la volonté de désarmer les noirs victimes de violences des policiers. Arrêtées, les Panthères remportent une bataille : celle de l’image. Les télévisions sont présentes et cette publicité amène des centaines de jeunes à postuler. Des sections s’ouvrent sur tout le territoire américain. Le problème est que nombre de ces jeunes sont attirés par les armes et l’usage qu’ils pourraient en faire. Or, pour le BPP, les armes ne sont pas des jouets pour « se faire » des policiers. Les leaders du parti sont des partisans de l’autodéfense, pas de la guérilla urbaine. Surtout, pour devenir une Panthère, il faut se former. D’abord en étudiant des livres (la biographie de Malcolm X, Les damnés de la terre de Frantz Fanon et Le petit livre rouge de Mao) et le programme en 10 points du parti, respecter les règles (très strictes en matière de drogues, que combat le BPP, et des armes), faire un travail de militant (vendre le journal, participer aux programmes sociaux, etc.)…
En octobre 1967, Newton est arrêté pour le meurtre d’un policier. La campagne « Free Huey » va permettre au parti de se faire connaître pour autre chose que l’autodéfense. Pour la défense de Newton, le parti engage un avocat blanc, Charles Garry, et tisse des liens avec des organisations majoritairement composées de blancs, comme le Peace and freedom party, qui vont lui apporter une aide logistique et financière. Les autorités, déjà alertées par l’organisation et la discipline du BPP, s’inquiètent des nouvelles alliances formées. L’union fait la force, mais ne fait pas les affaires de l’establishment.
L’idéologie des Panthères n’est pas très rassurante non plus pour les dirigeants américains. On peut lire dans un numéro du « Black panther black community news service » en 1969 : « Les théories marxistes-léninistes nous apprennent à nous unir avec nos vrais amis pour identifier les vrais ennemis, et nous savons tous que notre vrai ennemi est le capitalisme. (…) Le Capitalisme, ce sont les Etats-Unis… »
Le BPP commence très tôt à mettre son internationalisme en pratique en tissant des liens avec Cuba, la Chine, le Vietnam, l’Algérie… Cleaver, en exil, arrive en Algérie en 1968 et s’attache à créer la section internationale du parti. Cette dernière doit servir de passerelle entre les mouvements de libération nationale du Tiers-monde et le mouvement révolutionnaire noir américain.
La campagne de libération de Newton (qui sera innocenté) sert aussi à recruter de nombreuses femmes, peu tentées par l’image virile du BPP montrée par les médias au début. Socialiste, révolutionnaire, internationaliste, le BPP est aussi féministe. A partir de 1968, les femmes constituent d’ailleurs 50 % des effectifs du BPP.Comme Bobby Seale l’écrivait en 1970 dans son livre « Seize the time » : « Quand Eldridge, Huey, le parti entier agissent pour éliminer le chauvinisme mâle, ils agissent selon le principe de l’égalité absolue entre l’homme et la femme : parce que le chauvinisme mâle est directement issu de la nature de classe de la société d’aujourd’hui. (…) Auparavant, taper à la machine, faire la cuisine, et les autres choses du genre étaient des tâches réservées aux sœurs. On supprima cette répartition des rôles dans le parti. Ce fut aussi un sacré combat. »
Très vite, dès 1967, le BPP se retrouve en tête de liste des organisations qui constituent une menace pour la sécurité de l’État américain selon le FBI. Pour mettre à terre une organisation comme les Panthères, le FBI utilise un programme inventé dans les années cinquante pour combattre le Parti communiste (PCUSA) : le COINTELPRO (Counter intelligence program). Dès 1950, avec l’Internal security act, les Etats-Unis s’arment d’une loi qui permet au FBI de lister toutes les organisations communistes ou sympathisantes du communisme et tous leurs membres. La peur du rouge touche tous les secteurs de la société US. En 1959, le COINTELPRO permet au FBI de « perturber, discréditer et détruire » le PCUSA. Le FBI ne veut pas détruire le parti communiste de l’extérieur, mais « nourrir et encourager de l’intérieur les luttes intestines ». Avec succès. Outre le PCUSA, l’organisation qui est la plus attaquée est le BPP. Le BPP avait repris le mot d’ordre de Malcolm X, se battre « by any means necessary » (par tous les moyens nécessaires). Le FBI aussi.
L’avocat Charles Garry estime, en 1969, que depuis 1966, entre soixante et septante agents gouvernementaux ont infiltré le parti. Leurs activités ? Semer la zizanie entre les membres en envoyant de fausses lettres d’insultes, faire de même avec les organisations qui ont fait alliance avec le BPP, accuser des membres d’être eux-mêmes des agents infiltrés, accentuer les divergences de vues entre les dirigeants, pousser certains membres à des actions brutales (en rompant avec les ordres de la direction), saboter le journal, etc. Et ça marche. Huey Newton, par exemple, devient complètement paranoïaque au contact de sa nouvelle compagne, Elaine Brown. Cette dernière est suspectée par les autres membres de la direction d’être une infiltrée.
En plus de ces actions de l’intérieur, les autorités continuent leur harcèlement quotidien et les arrestations arbitraires de dirigeants. Surtout, entre 1966 et 1971, une trentaine de Panthères sont tuées par la police. A la perturbation interne et externe, le FBI ajoute une pratique aussi peu connue qu’efficace : arroser de drogues dures les quartiers favorables au discours du parti. Du jour au lendemain, de la cocaïne, de l’héroïne, du crack très bon marché arrivent dans les quartiers. Les dirigeants du BPP combattent les dealers et interdisent à leurs membres de consommer des drogues dures. Mais vu qu’ils sont en prison, « retournés » par des agents perturbateurs ou tout simplement assassinés, ils ne peuvent plus grand chose contre ce fléau…
On estime à 1973 la fin du Black panther party original. A cette date, le parti se scinde en deux parties. Une radicale, qui rejoint la Black liberation army (BLA, association armée proche du BPP) et l’autre qui renonce à la révolution pour se présenter aux élections et continuer des programmes de survie aux plus pauvres.
Que reste-t-il des Panthères ? Outre des membres toujours en prison, un esprit de résistance. La lutte contre le racisme continue.
Fin septembre, une étude9 montrait que sur les 700 personnes tuées par la police américaine depuis le début de l’année 2016, 27,2 % étaient noires. Comparé avec la proportion de noirs dans la population totale (12,6 %), cela fait beaucoup.
Face à cela, le mouvement « Black Lives Matter » (BLM, les vies noires comptent), né en 2013 après l’assassinat de Trayvon Martin, un jeune noir désarmé, par un agent de sécurité qui s’en sortira en toute impunité, est en pleine expansion.
Mais c’est un problème d’inégalités sociales, pas « seulement » une question de couleur de peau. Sur les cinq premiers mois de 2015, 441 personnes ont été tuées par la police américaine. 95 % d’entre elles venaient d’un milieu populaire.10
En 2016 comme en 1966, la question qui traverse les mouvements antiracistes est toujours : se bat-on pour l’égalité dans l’injustice ou pour la justice pour tous ?
1. « Panthères noires, Histoire du Black panther party », Tom Van Eersel, éditions L’Echappée, Paris, 2006, p. 85 • 2. « Le mouvement noir aux USA », 1er octobre 2010, par Robert Paris et Tiekoura Levi Hamed • 3. « Panthères noires », p. 22 • 4. Le 11 août 1965, à Los Angeles, dans le quartier de Watts, 3 noirs de la même famille sont arrêtés par une patrouille de la police californienne. Cette arrestation arbitraire déclenche des émeutes qui, en 5 jours, provoquent la destruction d’un millier de bâtiments. La police procède alors à 4 000 arrestations : plus de 1 000 noirs sont blessés et 34 autres sont tués • 5. « Panthères noires », p. 45 • 6. Idem, p. 72 • 7. Idem, p. 71 • 8. « Seize the time : The story of the Black panther party and Huey P. Newton », Arrow Books and Hutchinson & Co, 1970 • 9. Chiffres Washington Post 2016 • 10. « 95% of Police Killings in 2015 Occurred in Neighborhoods With Incomes Under $100,000 », Zaid Jilani, 24 juillet 2015, www.alternet.org
Article publié dans le mensuel Solidaire de novembre 2016. Abonnement.
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