Il est encore possible de sauver les emplois de Caterpillar : voici pourquoi

Le combat contre la fermeture de Caterpillar n'a même pas commencé que la plupart des politiciens parlent déjà comme si c’était un fait accompli. Ce qui faisait dire au député PTB Raoul Hedebouw : « Si l'union sacrée dont on parle consiste à accepter la fermeture, le PTB n'en fera pas partie. »

« La direction de Caterpillar ne connaît qu'une seule langue, celle du pognon. Si on ne leur fait pas mal, ils ne viendront même pas nous écouter. » Voilà ce que Raoul Hedebouw, député et porte-parole du PTB, a déclaré à la Chambre. Ses déclarations contrastaient avec les politiciens traditionnels qui versent beaucoup de larmes de crocodiles, font de grandes déclarations contre Caterpillar… mais pour qui la fermeture de l'entreprise est un fait accompli. Le ministre président de la région wallonne Paul Magnette veut par exemple mener une grande bataille pour « que le terrain ne reste pas vide durant 50 ans » En résumé, le combat contre la fermeture n'a même pas commencé que la plupart des politiciens nous parlent déjà de l'après Caterpillar. Ce qui faisait dire à Raoul Hedebouw : « Si l'union sacrée dont on parle consiste à accepter la fermeture, le PTB n'en fera pas partie ».

Mais qu'en est-il ? Est-ce que tout n'est pas déjà joué ? Est-ce que la reconversion n'est quand même pas la moins mauvaise piste à suivre ? Éclairage.

Les illusions de la reconversion

Lors de chaque grande fermeture, la classe politique traditionnelle met en place des « task force », annonce des plans de reconversion, nous appelle à être tournés vers l'avenir. L'entreprise qui ferme n'est que du passé. Mais qu’en est-il des expériences de reconversion menées jusqu'ici ?

Maintenir l'outil et ses travailleurs en activité reste au contraire la meilleure garantie pour garantir un avenir aux travailleurs, à leurs familles et à la région

Le Limbourg reste – avec Anvers - la province de Flandre avec le plus haut taux de chômage (8 %). Malgré tous les plans de reconversion, la région ne s'est jamais vraiment remise de la fermeture des mines ni, plus récemment, de celle de Ford Genk.

Les chiffres officiels du VDAB (Forem flamand) sont parlant : seulement un ex-travailleur de Ford sur trois a retrouvé un job. Et il s’agit bien souvent un job précaire ou intérimaire.

Plus généralement, nos régions ont besoin de grandes entreprises structurantes. C'est autour d'elles que se développent généralement une large activité économique. Autour de Caterpillar, il y a plusieurs centaines d'entreprises sous-traitantes, qui concernent 5000 travailleurs. Au-delà, il y a aussi tous le tissu commercial qui vit de la consommation des travailleurs de Caterpillar. Les commerces du centre de Gosselies – mais aussi de la région de Charleroi - vont le sentir directement. Dans certains commerces, les travailleurs de Caterpillar représentent même 15 % du chiffre d'affaire. Les provinces du Hainaut et de Liège ont plus qu'assez de ces rues commerçantes abandonnées suite à des fermetures de grandes entreprises.

Il y a bien quelques spin-offs qui ont réussi, et c’est tant mieux. Mais il s'agit bien souvent d'entreprises employant une main d'œuvre hautement qualifiées et recourant à un nombre très limité de personnel.

La reconversion est une promesse qui se transforme rarement en réalité. Maintenir l'outil et ses travailleurs en activité reste au contraire la meilleure garantie pour garantir un avenir aux travailleurs, à leurs familles et à la région. Ou, comme le déclarait au Parlement Jean-Marie Hosselet, permanent syndical du métal à la CSC-Charleroi : « Faisons tout pour garder une ligne de fabrication à Gosselies. »

Est-il possible de garder Caterpillar ouvert ?

Il n'y a pas de fatalité. En 1997, on annonçait la fermeture de l'usine sidérurgique des Forges de Clabecq. Il s'agissait d'une entreprise bien moins moderne et performante que l'usine de Caterpillar. Aujourd'hui, elle continue à tourner avec 600 travailleurs… 20 ans après l'annonce de la fermeture. L'usine VW de Forest, qui était bonne pour la fermeture, continue à tourner aujourd'hui sous la bannière d'une autre marque du groupe, Audi.

Une saisie exceptionnelle pourrait faire très mal à l'entreprise. Chaque retard coûte à l’entreprise. En argent, mais aussi en crédibilité auprès de ses clients.

Ce qui semblait impossible ou irréaliste est devenu possible et s'est transformé en réalité. Chaque fermeture a son histoire, bien entendu. On n'est jamais sûr de gagner un combat contre une fermeture, mais, contrairement à ce que veut nous faire croire la politique traditionnelle, le combat pour la fermeture n'est perdu que si on ne le commence pas.

Comment faire concrètement ? Le point de départ est une rupture avec la culture du chouchoutage des multinationales. Les multinationales prennent les cadeaux, mais, quand ça ne leur convient plus, elles s'en vont. Ces politiques ont montré leur échec. Il faut changer radicalement de logique. Pour reprendre les propos de Raoul Hedebouw : « Si on ne leur fait pas mal, ils ne viendront même pas nous écouter. » Et, même si Caterpillar Gosselies représente 2 % du chiffre d'affaire du groupe, la Belgique peut faire très mal au groupe Caterpillar et à son image.

Un blocage rapide de l'outil et de la production – à travers, par exemple, une saisie exceptionnelle - pourrait faire très mal à l'entreprise. Cela empêcherait toute possibilité rapide de réorganisation ou de transfert de la production vers d'autres sites. C'est un blocage de capital pour la multinationale. Dans le système actuel de flux tendus, chaque retard coûte à l’entreprise. En argent, mais aussi en crédibilité auprès de ses clients.

L'inquiétude touche également les autres sites européens de Caterpillar. Il y a la fermeture du site en Irlande du Nord. En France, l'annonce du transfert d'une partie de la production vers Grenoble n'a pas fait sauter de joie les travailleurs locaux. Beaucoup là-bas craignent que leur site sera le prochain sur la liste. « Nous sommes solidaires avec les Belges car nous nous souvenons de ce qui s’est passé ici en 2009, rappelle Lilo, un intérimaire de l'usine Caterpillar de Grenoble. À l’époque, plus de 1 000 personnes étaient parties si l’on tient compte des intérimaires. Et cela avait donné lieu à des grèves, une occupation de l’usine… et la séquestration de la direction. » (Le Soir , 6 septembre 2016).

Est-ce que des millionnaires vont recevoir un peu moins ou est-ce qu'on va jeter dans le désarroi complet plus de 5000 familles ?

Dans ce contexte, si Caterpillar voyait le début d'un mouvement commun entre les sites pour refuser le plan de restructuration, cela pourrait lui faire très peur et l'aider à revenir sur sa décision.

Finalement, la crédibilité et la renommée d'une marque joue beaucoup dans le monde capitaliste globalisé. Les grandes marques supportent très mal les campagnes négatives à leur encontre. À une échelle plus modeste, le récent film « Merci Patron » a encore montré comment le multimilliardaire Bernard Arnault a été prêt à faire des concessions envers un ex-employé pour sauver son image et l'image de sa boîte. Une campagne contre les agissements de la multinationale américaine pourrait lui faire très mal.

Blocage de la production, solidarité des sites européens et décrédibilisation de la marque – dans chacun de ces combats contre la multinationale, le monde politique peut être aux côtés des travailleurs. C'est là qu'il est actuellement attendu. Pas dans des promesses sans lendemain qui visent dans les faits à faciliter le départ du site de la multinationale.

Et les réalités économiques ?

La baisse de la production est un fait. Personne ne le conteste. Les travailleurs le vivent au quotidien quand on leur impose le chômage économique et les pertes de revenus que cela implique. Les seuls qui ne l'acceptent pas, ce sont les actionnaires de Caterpillar. Ils veulent toujours plus avec moins. Comme le déclarait Antonio Cocciollo, président de la MWB Hainaut-Namur (la centrale des métallos de la FGTB) lors d'une audition parlementaire : « Les actionnaires touchent chaque année des dividendes qui sont à chaque fois de plus en plus élevés. Eux, ils ont une stratégie financière et quels que soient les systèmes économiques au niveau mondial, au niveau local ou au niveau régional, ils appliquent des stratégies pour garantir des dividendes à leurs actionnaires. Ce n'est pas une catastrophe de la stratégie de Caterpillar, ils réussissent à chaque fois à enrichir ceux qui sont aussi riches et encore un peu plus riches ».

La question dans ce conflit est de savoir si les actionnaires vont pour une fois payer un peu la facture en organisant, par exemple, la répartition de la production entre les différents sites et en voyant leurs dividendes un peu baisser ou si ce sont les travailleurs qui vont payer. Est-ce que des millionnaires vont recevoir un peu moins ou est-ce qu'on va jeter dans le désarroi complet plus de 5000 familles ?