Jean-Luc Mélenchon « Le coronavirus révèle les failles de notre société et la place au pied du mur d’un changement profond »

En France aussi, le gouvernement libéral entend utiliser la crise actuelle pour faire payer les travailleurs et préserver les intérêts des très riches et des multinationales. La gauche syndicale, associative, mais aussi les partis comme la France Insoumise (FI) mènent la contre-offensive. Solidaire a rencontré le chef de file de cette dernière, Jean-Luc Mélenchon.

Des forces de gauche, comme le PTB ou la FI, veulent prouver que des solutions progressistes existent à cette crise sanitaire. Or, un peu partout, les gouvernements, la droite et le patronat, appellent à une « union nationale », veulent dépolitiser la crise du coronavirus...

Jean-Luc Mélenchon. L’erreur serait de penser que ce moment est une parenthèse sans politique. Les injonctions à « l’union nationale » sont des tentatives pour confiner l’espace démocratique et même si possible le fermer. Mais la démocratie n’est pas un luxe ou un caprice. Au contraire, la confrontation argumentée de points de vue contradictoires est la condition nécessaire à une prise de décision basée sur la raison. C’est pourquoi nous pensons dangereux de confiner le Parlement, le débat public ou la parole d’opposition. Cela dit, il est vrai que nous avons dû adapter notre méthode pour tenir compte du désir d’unité d’action qu’exprimait à juste titre la population d'abord sidérée par l’anxiété. Nous sommes partis de l’idée de travailler à construire des « causes communes » dans la société plutôt que d’en rester aux points de conflictualité avec le pouvoir. Nous avons mis sur la table des propositions concrètes : nationalisations d’entreprises vitales fermées par leur actionnaire, réquisition de l’industrie textile pour fabriquer en masse des masques, création d’un pôle public du médicament ou encore la gratuité des obsèques pour les familles des morts du Covid.

La mise en œuvre de ces propositions aurait pour effet de faire avancer positivement la mobilisation sanitaire du pays. Mais, prises ensemble, elles dessinent aussi une vision de l’organisation des sociétés collectiviste et solidaire.

Le monde d’après doit commencer maintenant et répondre aux problèmes concrets qui sont devant les sociétés

Nous pensons que cette vision peut avancer dans cette période parce qu’elle apporte des solutions concrètes à l’« évènement coronavirus ». On ne peut donc pas reporter la discussion sur l’alternative sociale et écologique à d’hypothétiques colloques sur le « monde d’après ». Le monde d’après doit commencer maintenant et répondre aux problèmes concrets qui sont devant les sociétés. Les libéraux agissent de cette façon. Ils profitent des circonstances pour tenter de déployer un dispositif de contrôle étroit des populations et pour revenir sur des conquêtes sociales comme la durée maximale du travail, les congés payés et ainsi de suite.

Sur votre blog, vous écrivez : « Le vingtième siècle a commencé en 1914, le 21ème commence sous nos yeux. » Pouvez-vous expliquer cette phrase ?

Jean-Luc Mélenchon. Le « moment coronavirus » est une bifurcation pour la civilisation humaine. L’épidémie qui est, au départ, un fait biologique, vient percuter tous les aspects du monde de la globalisation financiarisée. Son apparition et sa diffusion rapide trouvent leur explication dans le saccage écologique et notre mode de vie urbain et inégalitaire. Le choc sanitaire de départ contamine les différents compartiments de la vie sociale. Les vecteurs de propagation de l’épidémie dans d’autres sphères que celle de la médecine sont précisément les grandes caractéristiques du capitalisme financiarisé. Très rapidement, l’évènement sanitaire a percuté l’ordre économique fondé sur le grand déménagement du monde et s’est transformé en crise du pétrole puis en crise financière. Déjà, nous voyons une crise sociale d’une rare violence arriver. En France, la faim est présente dans certains quartiers populaires. La crise politique est devant nous. Le néolibéralisme n’est pas capable de régler les problèmes quotidiens qui vont se présenter. On le voit déjà avec les pénuries sanitaires. Le coronavirus est, comme le fut la Première Guerre Mondiale pour son époque, l’évènement qui fait sortir nos sociétés de leur routine, révèle leurs failles et les place face au pied du mur d’un changement profond.

La question fondamentale qui se pose aujourd’hui est : qui doit payer cette crise ? Les travailleurs ou les grosses fortunes ?

Jean-Luc Mélenchon. Ce n’est pas aux populations de payer. Les peuples européens risquent de subir encore des années d’austérité et de démantèlement de leurs États sociaux si on reste dans le cadre des traités européens avec de tels niveaux de dette publique.

Dans les mois et les années qui viennent, nous aurons besoin, au contraire, d’augmenter les dépenses publiques pour renforcer nos systèmes de santé publique, donner de nouveaux droits sociaux, investir pour la planification écologique. Le mur de la dette doit tomber. C’est un impératif. J’ai proposé une solution pour annuler la dette publique en Europe. Il suffit que la banque centrale européenne transforme les titres de dette des États en dette perpétuelles sans taux d’intérêt. Elle possède déjà environ 20 % des dettes souveraines de la zone euro. Ce premier paquet suffirait à annuler toutes les dettes « coronavirus » des États. Un deuxième paquet consisterait pour la BCE (Banque centrale européenne) à racheter aux banques toutes les dettes des États qu’elles possèdent et à les « congeler ». Sans cela, nous sommes condamnés pendant des décennies à n’avoir aucun projet collectif. Sauf rembourser... L’histoire montre que de tels niveaux de dettes sont tout simplement irremboursables. Croire le contraire est une illusion douloureuse pour ceux qui subiront cette course aux remboursements.

Le PTB veut une « Taxe Corona », des économistes veulent un impôt sur la fortune européen, etc. La crise du coronavirus serait-elle une occasion de mettre à contribution le grand Capital ?

Jean-Luc Mélenchon. Dans une tribune, Mathilde Panot, la vice-présidente du groupe des députés insoumis à l’Assemblée nationale et Manuel Bompard, président de la délégation insoumise au parlement européen, ont proposé la création d’un impôt sur les « profiteurs de guerre ». Emmanuel Macron est friand de références à la Première guerre mondiale mais justement, la France l’avait fait en 1916. Malheureusement, il a déjà refusé le rétablissement, même temporaire, de l’impôt de solidarité sur la fortune supprimé à son arrivée au pouvoir. Pourtant les privilèges fiscaux dont bénéficient les plus riches et les actionnaires depuis des années sont une des causes directes des plans d’austérité subis par l’hôpital public.

Pour finir, avez-vous un petit mot pour nos lecteurs, qui sont majoritairement des travailleurs de première ligne, des travailleurs mis au chômage économique, etc. bref, des travailleurs durement touchés par cette crise ?

La mobilisation populaire est la solution

Jean-Luc Mélenchon. C’est d’abord un mot de fraternité humaine. Les gouvernements mettent les travailleurs dans des situations de dilemmes moraux impossibles : choisir entre sa santé et sa conscience professionnelle, entre la sécurité de ses enfants et leur éducation, entre la tendresse pour nos anciens qui vont vers la mort et le respect des consignes. Ce sont des douleurs intimes pour des millions de gens. J’enrage contre l’inaction contre la crise sociale terrible qui vient. Le retour de situations de famine dans certains quartiers populaires de nos pays est une honte insupportable. Les travailleurs prennent les risques concrets pour la reprise de l’économie. Ils doivent pouvoir décider eux-mêmes des conditions sanitaires de la production. En France, nous avons appelé à la création de comités de production dans les entreprises. La mobilisation populaire est la solution.