




L’un est un célèbre écrivain politisé, l’autre est un président de parti politique qui écrit des livres. Ces jours-ci, l’un voit trois de ses pièces de théâtre jouées, l’autre publie avec plusieurs de ses collègues un livre présentant huit idées brillantes pour changer la société. Deux personnalités différentes. Solidaire a réuni l’écrivain néerlandophone Tom Lanoye et le président du PTB Peter Mertens pour une partie de ping-pong verbal où il a été question d’indignation, du marché libre considéré comme loi de la nature et religion, de l’unité de la gauche et de la manière de remettre le monde à l’endroit.
La matinée s’étire vers la pause de midi. Anvers, onze heures. Dans la Lange Leemstraat, au centre du quartier juif, Myriam, la tenancière du Café Bazaar, installe sa terrasse. Avec Peter Mertens et le photographe Salim Hellalet, nous évoquons la récente pièce de théâtre de Tom Lanoye, notre invité qui se fait un peu attendre. Le personnage central de Revue Ravage est un politicien qui se refuse à quitter le pouvoir.
Quand Tom Lanoye arrive, un peu en retard, il interroge tout de suite Peter Mertens, conseiller communal à Anvers : « Comment s’est déroulée la discussion au conseil communal sur le sit-in à la Grand-Place contre les déclarations de De Wever sur les Berbères ? Savez-vous que mon compagnon, René, a été arrêté ? » C’est un avant-goût de ce qui va suivre. La conversation entre l’écrivain et l’homme politique va tourner en ping-pong verbal – tout le contraire d’un match de boxe. On pose par exemple une question sur le mouvement citoyen Hart boven Hard/Tout Autre Chose et on débouche sur le terrorisme exercé par les ayatollahs du marché en passant par la crise bancaire et par l’entreprise portuaire Katoen Natie. Et, souvent, pas besoin de poser de question pour recevoir un flot de mots.
Tom Lanoye. Je n’étais pas présent à ce sit-in, je ne suis pas un manifestant. Mais je suis fortement indigné et maintenant j’attends cette fucking amende SAC de René. Je voudrais écrire à ce sujet. La liberté d’expression, c’est tout de même la vache sacrée de l’Occident, non ? Quand il s’agit de caricatures et de choses qui sont, selon moi, des offenses répétitives presque fascistes, tout devrait être permis. Mais participer à un sit-in non violent vous coûte une amende SAC. Nous revivons l’introduction du système de suffrage censitaire : celui qui a peu d’argent doit réfléchir à deux fois avant d’aller exprimer son opinion. Que l’on ne voie pas ça, dans la presse non plus, cela me rend malade.
Peter Mertens. Les amendes SAC sont des amendes pour « nuisances ». Une opinion différente, qui vient d’en bas, c’est donc désormais également considéré comme une nuisance. Une opinion vous dérange ? Voilà les amendes SAC ! Le plus curieux, c’est que ce sont justement tous ces hérauts du libre marché et de sa « main invisible » qui ont besoin d’une autre main, très visible celle-là, lorsque leur politique est remise en question.
Tom Lanoye. C’est la fin de l’idéologie ! Le marché dit : il n’y a plus de discussion, nous sommes la loi de la nature, la religion. On voit les réactions des ayatollahs du marché libre : (Théâtral) « Quoi ? Ils nous remettent en question ? Ce ne peut être rien d’autre qu’un dérangement de l’ordre divin ! » Effectivement, il est étonnant que ce soient justement ces gens-là qui agissent ainsi, ces hérauts de la libre entreprise, du même nom que le ferry Herald of Free Enterprise, qui a quand même fini par chavirer (au large de Zeebrugge en 1987, faisant 193 mots, NdlR).
Peter Mertens. C’est caractéristique de la fin d’une ère, tous les arguments sont épuisés. Restent les jeux de pouvoir, l’arrogance et une politique de fer, qui relèvent de la vanité et l’orgueil avant la chute.
Tom Lanoye. Je me l’étais imaginé un peu plus petit, vu de ma perspective. Et il est très bien habillé pour un communiste. Indépendamment de ça, j’ai certainement bien plus discuté de lui que lui de moi. C’est dû au fait que René est un grand fan de Peter et du PTB. René a voté pour Peter, pas moi. Ce qui n’empêche pas que j’ai une certaine sympathie pour lui et que je trouve dommage qu’il ne soit pas au Parlement. C’est une fois de plus la lâcheté bourgeoise, n’est-ce-pas ? (Rire ironique)
Peter Mertens. Je suis un de ses fans. Déjà tout gamin je dévorais tous ses livres.
Tom Lanoye. Quel âge avez-vous au fait ?
Peter Mertens. 45 ans.
Tom Lanoye. Donc, vous êtes toujours un gamin.
Peter Mertens. Au fond de moi, sans aucun doute. Et en tout cas, je continue à dévorer des livres. J’aime la langue : ça vibre, ça résonne, ça vit. Et la combinaison de quelqu’un qui mêle la langue à l’engagement, je trouve ça incroyablement beau.
Tom Lanoye. Mais avez-vous jamais discuté de moi ?
Peter Mertens. Non.
Tom Lanoye. Vous me trouvez donc si bon que ça ? (Hilarité générale)
Tom Lanoye. Oui, mais aussi à la cave, sous la douche, au lit. Le fondement de ma relation avec René, c’est, outre bien sûr notre amour, discuter de la gauche et de la politique. Pour nous, c’est comme manger et boire.
Peter Mertens. Cela ne devrait pas être comme ça. Je trouve qu’il faut ambitionner un monde dans lequel l’indignation ne serait plus nécessaire parce que les problèmes principaux ont été résolus. Mais le monde d’aujourd’hui crée l’indignation. L’alternative, c’est le cynisme, et je ne veux pas tomber là-dedans.
Tom Lanoye. Mon indignation est souvent si grande qu’elle peut virer à l’hystérie. Je dois canaliser cette hystérie et essayer de la maîtriser. On m’avait dit qu’on devenait plus indulgent après 50 ans, mais chez moi, il semble que ma colère ne cesse d’augmenter.
J’aimerais parfois être moins indigné. J’étais récemment invité à l’émission télévisée néerlandaise Buitenhof. Avant moi était interviewé Halbe Zijlstra, chef de groupe parlementaire du parti libéral VVD, à propos de la crise bancaire et d’ABN Amro, la banque qui a de nouveau distribué des bonus et qui entre en bourse. J’étais là à fulminer sur mon siège et, lorsque cela a été mon tour d’être interviewé, j’étais beaucoup trop remonté. Cela donne certes un bon show, mais je débattrais bien mieux et de manière plus efficace si je contrôlais mieux cette indignation. Un bon politicien, lui, n’a pas de problème avec ça. Il sait ce que sont la tactique et la stratégie. C’est une des raisons pour lesquelles j’admire les grands acteurs et les grands politiciens.
Peter Mertens. Je préfère quand même quelqu’un de trop indigné à quelqu’un de résigné. La résignation équivaut à la capitulation. Quand on a participé à de nombreux débats, on remarque à quel point la génération actuelle de politiciens, mais aussi de très nombreux journalistes, sont dans le consensus du néolibéralisme. Pour ne pas entrer là-dedans, l’indignation est nécessaire. Et elle prend forme dans la vie quotidienne.
Peter Mertens. Bien sûr. Lorsque le mouvement Hart boven Hard a été créé l’an dernier et qu’il a sorti sa déclaration politique alternative, la première réaction du ministre-président flamand Geert Bourgeois (N-VA) a été : « Il y a de l’argent derrière ça ! » Qu’est-ce que cela dit sur sa vision du monde ? D’abord, vous faites un accord de gouvernement avec vos amis de l’organisation patronale Voka, par lequel vous démantelez tout le tissu social, du secteur des soins jusqu’à celui de la culture. Un grand nombre d’organisations se regroupe dans Hart boven Hard et disent : nous ne sommes pas d’accord. Et ensuite, le gouvernement-Voka rétorque : il y a de l’argent derrière ça ! Ces gens ne croient pas que l’on puisse juste mettre en question cette géniale politique gouvernementale. Et, quand une telle initiative émanant du terrain s’organise en Flandre, on la marginalise.
Le ministre-président Bourgeois s’érige en représentant organique de l’ensemble du peuple. Dans sa vision du monde, tout le monde doit gentiment opiner du chef devant les lois du Voka, de la KBC, des rois du béton et du diamant. Il y a quelques jours, par exemple, le ministre des Finances Johan Van Overtveldt (N-VA) a encore twitté à propos de Steve Stevaert : « Malgré le grand chagrin, son histoire de gratuité a été une grande tromperie populaire. » (En 1997, Steve Stevaert, bourgmestre sp.a de Hasselt, avait instauré la gratuité des transports en commun dans sa ville, NdlR.) Il y a une semaine, ce même Van Overtveldt a encore approuvé avec ses collègues la taxe carat, une mesure presque gratuite taillée sur mesure pour les diamantaires ! Si c’est accessible pour la population, c’est de la tromperie populaire. Si c’est gratuit pour les diamantaires, c’est de la « sage politique ». Allons ! Qui croit encore ces gens ?
Tom Lanoye. La plus grande politique de gratuité de l’année dernière, c’est la rémunération de tous les sous-marins de la N-VA dans les médias. Un Jan fucking Becaus (ancien journaliste et présentateur du JT de la VRT, NdlR) qui reçoit soudain un siège de sénateur. En échange de quoi ? Ce type n’a même pas obtenu une seule voix ! Gratuit : tout dépend de l’angle sous lequel on regarde les choses. La main invisible est une construction divine en soi, une croyance profonde, une foi. Le journaliste Jort Kelder a réussi à dire dans De Wereld Draait Door à propos de ABN Amro, je paraphrase : « Le timing pour les bonus était peut-être mal choisi, mais les gens ordinaires sont trop envieux des grands talents. Nous devons nous méfier d’une chasse aux sorcières contre ces pauvres banquiers. » Tout à coup, on devrait en plus avoir de la compassion ! Alors que ces banquiers n’ont même pas remboursé ce qu’ils ont reçu en soutien de l’Etat, pour un crash dont leur secteur seul est responsable. Tout le mindset (la mentalité) est religieux.
Dans les gouvernements fédéral et flamand, il y a deux sortes de gens : des libéraux qui sont contre l’État tout court, et des séparatistes qui sont également contre l’État belge. Bart De Wever a joué tactiquement de cela pour arriver à forger une « Forza Flandria ». Jusqu’à présent, ces deux tendances se renforcent toujours mutuellement. Trouvez-vous cette analyse fausse ?
Peter Mertens. Pas du tout. Seulement, je pense que le mindset est plus que seulement religieux. A mes yeux, elle comporte aussi une conception élitiste de l’homme, qui est à l’œuvre depuis plus de trente ans. La N-VA est un alliage de nationalisme, de libéralisme mais aussi de conservatisme. Et, dans ce dernier, il y a l’idée d’une élite triée sur le volet que l’on doit laisser faire aux plans politique, idéologique et financier. Parce que le peuple est trop bête. Donc, il faut laisser le pouvoir à l’élite, et tout ce qui est bon pour l’élite est obligatoirement bon pour tout le monde. Tel est le raisonnement de gens comme Edmund Burke, le grand héros de Bart De Wever, et de Ayn Rand, la grande héroïne du Voka.
Tom Lanoye. Deregulation in the City et amendes SAC dans le quartier.
Peter Mertens. Je n’ai pas encore vu la pièce, mais je suis bien sûr au conseil communal avec Bart De Wever. Il est un maître en tactique et stratégie. Tout ce qu’il fait est calculé, cet homme est une machine. Je ne pense pas qu’il y ait qui que ce soit qui ait beaucoup de contact avec lui. Il aime dire qu’il est quelqu’un de réservé, de solitaire et je pense que c’est réel. Il est juste entouré de ses gardes du corps et de ses dieux de la communication.
Tom Lanoye. Si Bart De Wever participe à un débat, c’est avec Etienne Vermeersch (un intellectuel flamand très présent dans les médias en Flandre, NdlR). Sur une règle graduée longue d’un kilomètre, Vermeersch n’est distant de lui que d’un millimètre quand il s’agit de nationalisme et de conservatisme. Il suffit d’aller voir sur le site du Gravensteengroep (son cercle d’intellectuels et d’artistes qui prônent le nationalisme flamand, NdlR). Pourquoi n’invite-t-on pas Peter Mertens ou Dyab Abou Jahjah (activiste progressiste, NdlR) face à De Wever ? Parce que la « grande gueule » n’est pas d’accord. Ce n’est quand même pas comme ça qu’on va avoir un débat contradictoire ? D’ailleurs, à propos de débat contradictoire, c’est ce qu’on devrait faire aussi tout à l’heure, Peter, parce que nous sommes trop d’accord jusqu’ici !
Peter Mertens. Tom évoque le groupe du Gravensteen. Ce qui me frappe, c’est l’essor de ces groupes, think-tanks et autres lieux où les forces de droite se rencontrent. Pensez à Itinera, VIVES, etc. Il y a trente ans, la plupart de leurs thèses étaient marginales. C’est de la marge de la société que l’on a poussé, d’une manière très intelligente, un certain nombre d’idées, de messages néolibéraux dans le débat.
Peter Mertens. Il y a peu de think-tanks de gauche. Je pense qu’il est temps, avec un certain nombre de penseurs de gauche, de se réunir autour de la question : comment, dans les années à venir, allons-nous pousser en avant quelques idées centrales d’une manière tactique et stratégique ?
Tom Lanoye. Je vois deux raisons pour lesquelles la droite l’emporte actuellement. Maintenant que la macro-économie a pris un énorme essor, la discussion identitaire est devenue une sorte d’ancrage pour qui ne peut plus suivre. Un des précédents slogans électoraux de la N-VA revenait à dire : « Crise mondiale ? Prenez la sortie direction Flandre, et tout va s’arranger ! » Cela donne une forme de tranquillité. En Afrique du Sud, j’ai appris : people vote identities more than ideas (les gens votent plus pour des identités que pour des idées). Cette analyse est malhonnête, mais hélas souvent juste. Quand on ne comprend plus tout, on opte alors pour une supposée copie de soi-même – « et tout va s’arranger ! ». Une deuxième raison, c’est l’utilisation abusive de la lutte contre le terrorisme. Celle-ci ne lutte pas seulement contre le terrorisme mais doit aussi, comme le dit toujours l’écrivain néerlandais Arnon Grunberg, faire taire les voix opposantes et les rendre suspectes. A Anvers, on voulait déjà envoyer des soldats contre les forains qui s’opposaient à la décision de la Ville, et à l’époque il n’était pas encore question de Charlie-Hebdo. La peur est quelque chose qui fonctionne très bien. Mais il n’y a pas que l’État islamique qui utilise la peur. Ceux qui doivent organiser l’antiterrorisme en rajoutent une bonne couche.
Peter Mertens. Tout à fait d’accord. Mais je pense aussi qu’un certain nombre de principes ont transpiré dans l’économie. J’ai été invité dans le cadre d’un grand débat de l’hebdomadaire Knack à débattre avec Johan Van Overtveldt lorsqu’il n’était pas encore ministre des Finances. Il a dit alors que l’économie était une science qu’il fallait laisser aux spécialistes. Selon lui, c’est trop complexe pour les gens. C’est brillant. Dans le temps, notre économie s’appelait d’une manière solennelle comptabilité de l’État. Cela, tout le monde comprend, tout le monde sait ce que c’est : rentrées et dépenses. Mais Van Overtveldt dit : laissez cela à l’élite. Je pense que nous devons ramener l’économie vers les gens. Nous devons à nouveau démocratiser le débat sur l’économie ; le rendre accessible. Car c’est avec votre argent que les banques ont été sauvées. C’est votre argent qui est maintenant pris dans notre sécurité sociale et nos services publics.
Tom Lanoye. Regardons juste le commerce-éclair des trente, quarante dernières années. Toute cette économie de vampires, qui existait déjà auparavant, a maintenant explosé parce qu’on peut, via les ordinateurs, acheter et vendre immédiatement, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. On a tout laissé faire librement, sans impôts, et ne parlons même pas de contrôle !
Peter Mertens. On a ouvert les portes du poulailler au renard. Le positif, c’est que ces portes, on peut les refermer. Parce que, certes, c’est complexe, numérisé, ça se passe à la vitesse de l’éclair, etc., mais que l’on ne puisse rien y faire, c’est de la foutaise. On a autorisé des produits toxiques. On a autorisé l’entrée de nouveaux acteurs comme les fonds spéculatifs, qui jouent avec du capital pas encore réalisé. On a autorisé l’amiante des produits financiers. Rien n’empêche la politique de dire : l’amiante, c’est également toxique dans le monde financier et nous l’interdisons.
Peter Mertens. Non, absolument pas. Mais un certain nombre de brise-glace sont nécessaires pour sortir de cette hégémonie du néolibéralisme et pour lancer de nouvelles idées. Selon moi, nous jouons ce rôle de brise-glace.
Tom Lanoye. Cela commence par cesser de croire qu’il n’y a plus de discussion idéologique possible. La plus grande victoire de cette thèse, c’est son affirmation : nous sommes la loi de la nature, et tout le reste n’existe même pas. J’étais récemment dans un studio de la VRT, et c’était le journal télévisé. Le JT évoquait une nouvelle mesure de démantèlement du gouvernement. Sujet suivant : fête à la Bourse. Ensuite : bonus pour les banquiers. Mais le fait que ces choses sont directement liées, qu’il y a une redistribution qui s’opère vers le haut, cela ne transparaît en aucune manière.
Tom Lanoye. Après ce livre d’indignation, après cet Indignez-vous, Peter a évidemment raison de proposer d’agir. Mais Bart De Wever a eu l’intelligence tactique et stratégique de forger, en douze ans de temps, une « Forza Flandria ». Je pense que la gauche doit, elle aussi, dépasser les éternelles oppositions entre les groupes. La social-démocratie l’a trop longtemps cherché dans le déplacement vers le centre-droit, et Frank Vandenbroucke (sp.a) veut encore aller davantage dans cette voie. Alors qu’on se dit qu’on ne peut tout de même pas aller encore plus vers le centre-droit, non ?
A côté du sp.a, il y a Groen et apparentés qui n’ont pas encore eu le cran de s’appeler GroenLinks. Et puis il y a le PTB, qui en Flandre a manqué d’un cheveu d’avoir des sièges, et en a obtenu en Wallonie. Comment s’appelle ce type formidable ? Raoul Hedebouw ? Il est fantastique. Parfaitement bilingue aussi. C’est une bonne et belle chose, mais en fait insuffisante. Comment pourrait-on arriver à réaliser une telle « Forza Flandria » de gauche ? Quelles sont les plus grandes barrières ?
Peter Mertens. Ce n’est pas l’ambition du PTB d’être pour l’éternité les « chouettes types de gauche ». Je ne travaille pas comme un chien pour rester sur le banc de touche. On a de toute manière besoin d’un débat. Toutes les chances sont réunies. Regardez comment les Grecs et les Espagnols ont ouvert les portes et les fenêtres et comment émergent partout des voix nouvelles, fraîches, de Piketty à Klein ou Owen Jones.
Mais réaliser à court terme ce que tu veux, Tom ? Je ne crois pas qu’une telle chose soit possible. Nous devons d’abord oser penser hors du cadre, et donner à de nouvelles idées qui surgissent en dehors de la pensée de marché la chance de continuer à grandir. Et surtout : que des rapports de force soient construits d’en bas afin de réaliser cela. Sinon, nous aurons juste davantage de la même chose.
Tom Lanoye. Quand cela réussira-t-il alors ?
Peter Mertens. En tout cas, certainement pas en deux ou trois ans. C’est le plus difficile, parce que la pensée de marché est trop profondément installée. Partout, également dans des forces progressistes comme le sp.a et Groen. Nous ne nous battons quand même pas pour ensuite avoir un Hollande ou un Renzi qui font exactement la même chose, non ? Les différences idéologiques sont encore assez grandes, on ne peut pas mettre tout ça dans un seul grand parti. Et ce n’est pas non plus nécessaire. Il faut que nous reprenions des voix à la droite. Sur le terrain.
Tom Lanoye. Je peux tout à fait comprendre ce que vous dites. En outre, il s’agit parfois aussi de gens entre qui ça colle ou ça ne colle pas. Indépendamment des thèses différentes et des vieilles cicatrices. Je persiste cependant à penser que la gauche ne peut pas se permettre le luxe de se fracturer. Mais comment venir à l’unité, cela, je ne sais pas. Je comprends aussi que l’on cajole la pensée de marché. Mais je suis issu de la classe moyenne, et mon intuition directe, c’est que le marché est inévitable.
Je suis aussi allé dans des pays communistes, où le marché a toujours prospéré en dessous du radar, d’une manière scandaleusement dure, entièrement en noir. Il y a un parallèle avec la prostitution : je crains qu’on ne puisse pas « interdire » ou « supprimer » le marché. On peut et on doit cependant le contrôler, le réguler et le corriger. Je suis partisan de la remise sur pied d’une banque d’Etat comme l’ancienne CGER. Mais je vois aussi que VTM fait parfois de bonnes émissions, et c’est en partie dû à la pression de notre chaîne publique.
Si j’additionne tout cela et que je fais le compte, j’en conclus que je suis tout de même un social-démocrate. Ou peut-être même ce libéral de gauche détesté, mais qui alors ne se sent ab-so-lu-ment pas chez lui chez les libéraux. Mais bon, on parle de la gauche et, dans celle-ci, du PTB. Dans quelle mesure travaillez-vous ensemble à une liste d’unité ? Il faudra alors convaincre non seulement Groen et en ce moment des dirigeants du sp.a Anvers inexistants, mais aussi quelqu’un comme moi.
Peter Mertens. Je crois que les pouvoirs publics doivent mettre fin à la politique du laisser-faire des trente dernières années et jouer un rôle dirigeant dans plusieurs secteurs. Il s’agit de l’application des droits fondamentaux, qui sont aujourd’hui à nouveau menacés. Mais je crois tout autant que nous devons avancer vers quelque chose de participatif. Mon plaidoyer n’est pas de revenir aux années 1960 ou 1970. Le 21e siècle doit être un siècle où les usagers de la STIB, des entreprises d’énergie municipales, des crèches ont aussi réellement voix au chapitre. Les syndicats, mais aussi les usagers. C’est également là-dessus que porte le livre La Taxe des millionnaires et sept autres idées brillantes pour changer la société, sur de nouvelles idées dont le moment est venu.
Article publié dans le mensuel Solidaire de mai 2015. Abonnement.
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