Que se cache-t-il derrière les promesses de Liberty ? Enquête sur un groupe industriel mystérieux
Sorti de nulle part, le groupe Liberty est devenu en quelques années un géant industriel. Il a racheté des usines partout dans le monde. Elles sont maintenant aux mains d’un seul homme : Sanjeev Gupta. Obscurité sur les comptes et promesses non-tenues : les représentants des travailleurs tirent la sonnette d’alarme. Ils ont de sérieuses craintes sur l’avenir des sites. Enquête.
« Je n’ai jamais vu ça. Nous sommes censés avoir des informations sur les comptes du groupe et sur son plan de financement, mais nous ne recevons rien. Je suis délégué syndical depuis vingt ans et j’en ai rencontré des patrons. Mais ça, je n’ai jamais connu. Rien ne fonctionne comme ça devrait. J’ai peur pour l’avenir du site. Il faut que tout soit fait pour maintenir l’emploi. » C’est avec ces quelques mots qu’un délégué syndical entame sa rencontre avec moi. Il n’est pas le seul à avoir peur. En quelques jours, j’ai rencontré une vingtaine de représentants syndicaux de plusieurs pays, dont les entreprises ont toutes été reprises par un groupe inconnu jusque récemment : Liberty.Ce groupe est surtout actif dans le secteur sidérurgique et dans l’aluminium. Ces délégués avaient tous la même histoire. Ce n’est pas la même que celle de leur patron, Sanjeev Gupta. Voici la leur. Voici celle de Sanjeev Gupta. Voici pourquoi il faut la faire connaître. Et voici pourquoi des mesures doivent être prises par les pouvoirs publics pour maintenir ces secteurs et garantir le maintien des emplois.
Sanjeev Gupta, l’homme qui rachetait tout
En quelques années, le groupe industriel Liberty est sorti de nulle part. Ce groupe, derrière lequel on retrouve la maison-mère GFG Alliance, est dirigé par Sanjeev Gupta, un Anglais aux origines indiennes. En moins de cinq années, Liberty est devenu un des producteurs d’acier et d’aluminium les plus puissants au monde. Son dirigeant et unique actionnaire a acquis des hauts fourneaux, des usines de transformation d’acier, des fonderies d’aluminium, des usines de filière automobile et de production de rails ferroviaires aux quatre coins du monde.
En moins de cinq années, Liberty est devenu un des producteurs d’acier et d’aluminium les plus puissants au monde
Il a racheté une fonderie d'aluminium en Écosse, quatre usines sidérurgiques de Tata Steel en Angleterre, une entreprise sidérurgique et des mines australiennes ainsi que l'usine de fonderie d'aluminium de Dunkerque. Il a aussi racheté les sites sidérurgiques d'Arcelor Mittal à Liège (Ferblatil et Flémalle), à Dudelange au Luxembourg, en Roumanie (Galati), en Macédoine (Skopje), en République tchèque (Ostrava) et en Italie (Piombino). En France, Sanjeev Gupta a aussi fait l'acquisition de fonderies dans le Poitou et d'usines de pièces automobiles à Châteauroux. Il tente aussi de devenir propriétaire d'une fonderie importante (Aleris) à Duffel, en province d’Anvers en Belgique. Et il serait en phase d'acquisition de deux usines sidérurgiques dans le nord de la France, à Saint Saulve (Ascoval) et à Hayange. Il serait également en discussion pour racheter une mine d'alumine en Espagne et une usine d'électrolyse en Espagne. Le groupe est devenu en quelques années un géant industriel. Sur le papier comme devant les journalistes, Sanjeev Gupta ne cache pas son ambition de créer un groupe international qui produit de l’acier et de l’aluminium vert, le « greensteel », neutre en carbone, pour 2030.
Sanjeev Gupta ne fait pas que dans l’industrie. Il est aussi actif dans le milieu de la finance et dans l’immobilier. Le groupe Jahama, qu’il possède avec son père, est le cinquième plus grand propriétaire terrien d’Écosse. Ses terres font presque trois fois la superficie de la Région bruxelloise.
Le mensonge permanent
Sur tous les sites de production du groupe, quand les langues se délient, les mêmes histoires se racontent. Les comptes consolidés ne sont pas publiés et les délégations syndicales se retrouvent sans vue sur les finances. Les promesses d'investissement n'aboutissent jamais. Les transactions pour le rachat des sites est opaque. Les problèmes de trésorerie sont alarmants, entraînant des retards de paiement chez les fournisseurs et les sous-traitants ainsi que des problèmes d’approvisionnement. Mais partout, les représentants du groupe chantent la même chanson : les problèmes sont temporaires et dus à des circonstances exceptionnelles. Le groupe est en bonne santé et les investissements vont arriver. Circulez, il n'y a rien à voir.
À l’exception du site de Piombino en Italie, la très grande majorité des promesses d’investissement lancées par Sanjeev Gupta restent lettre morte
Prenons le cas des investissements. À l’exception du site de Piombino en Italie, la très grande majorité des promesses d’investissement lancées par Sanjeev Gupta restent lettre morte. En Italie, sur l’ancien site d’Arcelor Mittal à Piombino, le patron a promis 100 millions d’euros d’investissement à long terme. Jusqu’ici, seulement 10 millions d’euros ont été investis pour le redémarrage d’une ligne de décaperie et la rénovation d’une ligne de peinture. C’est plutôt une exception. A Liège, une promesse d’investissement de 100 millions a été faite1. Mais, depuis la reprise par le magnat britannique, les sites tournent au ralenti. Aujourd’hui, les lignes de galvanisation sont à l’arrêt et l’usine de fer-blanc, à Tilleur en région liégeoise, tourne très largement en dessous de ses capacités.
A Dunkerque, le groupe avait promis il y a plus d’un an, lors du rachat, d’énormes investissements. Dans un document classé confidentiel, la somme d’un milliard d’euros est même évoquée, « dans une première phase », pour la création, en face de l’usine existante, de la plus grande installation de laminage de tôles d’Europe. Avec, à la clé 3 000 emplois supplémentaires. Résultat ? L'usine en face reste à l’état de promesse. Et sur le site existant, ils n'ont fait que le strict nécessaire pour le maintien de l’activité : remplacer des cuves d’électrolyse.
A Ostrava, en République tchèque, Liberty a promis d’investir 750 millions d’euros pour augmenter la capacité de production2. Promesse non tenue : sur ce site, qui occupe plus de 6 000 travailleurs, le groupe a seulement investi trois millions d’euros dans un des hauts fourneaux. Par ailleurs, seulement un mois après le rachat, Sanjeev Gupta annonçait une réduction de la production de 20 %.
A Galati, en Roumanie, le groupe a annoncé un investissement de 350 millions, puis d’un millard d’euros. Mais l’accord de collaboration et de financement signé avec le gouvernement roumain qui serait appelé à mettre la main au portefeuille n’a pas encore été mis en pratique. À la fonderie du Poitou, en France, deux millions d’euros avaient été promis en juillet 2019 pour pérenniser l’activité du groupe de ce site qui connaît de grandes difficultés. Mais ces investissements se font attendre et l’usine tourne depuis l’acquisition aussi au ralenti. Dans un site voisin, qui produit des culasses (des pièces pour moteurs) à base d’aluminium, promesse avait été faite de garantir la production de deux culasses. Une, sur base d’un modèle existant. Et l’autre, à partir d’un nouveau modèle. La première culasse est produite à la moitié des capacités. Et la deuxième n’est pas produite. Des investissements de 10 millions d’euros avaient été promis pour lancer la production de cette deuxième pièce pour fournir Renault. Mais ils n’arrivent pas.
Le coronavirus n’est pas la cause première
On pourrait penser que ces promesses non tenues sont dues à la crise du coronavirus. Il est évident qu’elle n’aide pas. Comme pour tous les producteurs d’acier et d’aluminium du monde, une partie des sites de Liberty ont été mis à l’arrêt pendant quelques semaines. Mais la baisse de la production était déjà largement présente avant le début de la crise sanitaire. A Liège par exemple, le site de fer-blanc a été mis à l’arrêt pendant deux semaines, avant la pandémie. Un responsable syndical exprimait déjà ses inquiétudes à l’époque : « Depuis son ouverture, Ferblatil n’a jamais été à l’arrêt par manque de commandes. L’industrie a toujours besoin de fer-blanc pour ses boîtes de conserve. » Ce problème était d’autant plus inquiétant qu’il faisait suite à un gros soucis de trésorerie. Deux sous-traitants importants avaient dû attendre de longs mois avant d’être payés…3 Et depuis la reprise par Liberty, la production a souvent tourné au ralenti, bien avant l’arrivée du coronavirus. En France, sur les deux sites du Poitou, la production n’a jamais retrouvé son cours normal depuis la reprise en juillet 2020. À Ostrava, dans le grand combinat sidérurgique tchèque, c’est une réduction de 20 % de la production qui était annoncée dès la reprise par le nouveau groupe, bien avant la crise.
Depuis plus d’une décennie, la demande d’acier en Europe est faible
Le coronavirus n’est pas la cause première des déboires du groupe. La crise économique ne date pas de 2020. Depuis plus d’une décennie, la demande d’acier en Europe est faible. Et elle était encore à la baisse en 20194. Cette crise ne joue pas en faveur de l’industrie. Mais en dehors de ces facteurs que Sanjeev Gupta ne maîtrise pas, il y en a un, bien identifiable, qui lui est directement lié, et dont il est responsable. Il y a bien un problème « Liberty ». Les finances du groupe GFG Alliance, qui se cache derrière Liberty, ne sont pas si solides que son seul actionnaire veut le faire croire. Si les investissements promis bien avant la crise du coronavirus ne se sont pas réalisés, c’est pour des raisons bien précises.
Un géant aux pieds d’argile
Quand les travailleurs et leurs représentants demandent des comptes et exigent, comme le veut la loi, une transparence sur les finances de l’entreprise, ils se heurtent à un mur. D’une part le groupe GFG Alliance ne publie pas ses comptes, organisant ainsi l’opacité et empêchant une vue globale. D’autre part, il n’y a pas de comptabilité publique dans beaucoup d’entités du groupe. A Liège, le réviseur a dans un premier temps refusé de valider les comptes de l’entreprise sur base des données transmises par la direction de l’entité « Liberty Liège Dudelange », une filiale de Liberty Steel, qui est elle-même une filiale de GFG Alliance. En Grande-Bretagne, un des sites a reçu une menace de mise en défaut de paiement, ce qui n’arrive en général qu’à des petites entreprises en proie à des problèmes de liquidité. Des commandes ont été annulées, une cargaison maritime a dû rester à quai, et les représentants des travailleurs dénoncent des retards importants dans la livraison des commandes5.
Le groupe GFG Alliance, qui chapeaute Liberty, ne publie pas ses comptes, organisant ainsi l’opacité
Quand Sanjeev Gupta est sommé de s’expliquer face à des journalistes sur cette opacité, il joue la montre et la mauvaise foi. Il a déjà reporté trois fois l’échéance pour la publication des comptes6. Il l’avait d’abord promise en tout début de cette année, puis il l’a reportée pour mars 2020, puis en juin 2020 et, maintenant, la publication est reportée à la fin d’année… Sa justification ? GFG Alliance n’est pas une entité légale mais une entreprise familiale qui entretient des liens avec différentes sociétés, dont Liberty, qui doit prendre du temps pour se constituer et consolider ses comptes. Mais son argumentation ne tient pas la route. Car le montage financier et les techniques financières du groupe jouent avec les règles, mettant en péril le sort de dizaines de milliers de familles de travailleurs. Quelles sont ces techniques ?
Des techniques financières pour éviter la transparence
Premièrement, Sanjeev Gupta applique de façon systématique, à l’échelle de son groupe international, une technique que les banques conseillent aux PME qui sont généralement proches du défaut de paiement (lorsqu'une entreprise n’est pas en mesure d'honorer une partie ou tous ses engagements) ou qui sont en proie à de graves crises de liquidité. Au lieu de payer directement le fournisseur ou de contracter une dette pour effectuer les paiements, l’industriel passe un contrat avec une banque. Ce contrat lui permet de ne payer directement qu’une partie du montant, et le fournisseur reçoit la promesse d’un paiement total dans les 180 jours, par la banque. Il y a un double avantage pour l’actionnaire de Liberty : retarder les paiements et surtout, éviter que le paiement ne soit considéré comme une dette. C’est avantageux fiscalement et, sur le papier, cela donne une image plus saine des finances du groupe. En réalité, cela retarde le paiement des fournisseurs et cela fait reposer le poids du financement sur les banques.
Deuxièmement, les banques auxquelles Sanjeev Gupta a le plus recours pour financer ses achats sont des banques gérées par des personnes qui font partie de son entourage professionnel et intime. Or, la règle voudrait que celles-ci ne puissent financer un client qu’à un maximum de 25 % de leur capital. Cette règle, que Gupta ne respecte apparemment pas7, doit théoriquement éviter qu’un banquier lié à un industriel ne mette tous ses œufs dans le même panier, pour éviter des faillites en cascade, en cas de difficulté financière8. C’est pourtant ce que font les banques Wyelands et Greensill. Ces deux banques sont actuellement sous le coup d’enquêtes menées par les régulateurs financiers allemands et anglais. Ceux-ci s’inquiètent d’une telle concentration d’investissement auprès d’un seul investisseur. Selon certaines sources, le régulateur financier américain serait d’ailleurs aussi en train d’enquêter sur ces banques9. Les autorités financières s’inquiètent aussi de la solidité financière de Greensill qui cumule les pertes depuis plusieurs années.
Mais la concentration des investissements de ces banques dans le groupe Liberty et la fragilité financière des banques ne sont pas les seules raisons des enquêtes menées par les régulateurs financiers. Greensill, dont Sanjeev Gupta a été actionnaire pendant plusieurs mois, a été au cœur de plusieurs scandales financiers ces dernières années. L’autorité de conduite financière anglaise (Financial Conduct Authority) mène actuellement une enquête contre les pratiques d’un des plus gros « traders » du marché qui, travaillant pour la banque suisse GAM, aurait développé des techniques plus que discutables pour financer Greensill. Il est accusé de très nombreuses et graves irrégularités. Il aurait notamment organisé la spéculation sur la vente de générateurs de biocarburants détenus et exploités par le groupe SIMEC, une autre filiale de Sanjeev Gupta. Le trader aurait encouragé la vente de ces générateurs avec l’argument qu’ils seraient subventionnés par le gouvernement anglais et qu’ils pourraient être vendus aux entreprises comme source d'énergie de secours. En théorie, les fonds lancés par le trader devaient rapporter plus d'un milliard d’euros. Mais rien n’a marché comme prévu10.
Troisièmement, pour financer ses multiples rachats des sites, Sanjeev Gupta utilise une technique dangereuse, que les banques gérées par des amis proches ou des anciens collaborateurs directs lui permettent de mettre en œuvre. Quand l’industriel rachète un site, il le met en garantie. Puis, il utilise cette garantie pour racheter un autre site. Et ainsi de suite. Au final, il crée une pyramide industrielle sans bases financières solides. Un château de cartes, en somme. La banque Greensill, devant se justifier de ses pratiques douteuses, a expliqué que pour financer le rachat du site d’aluminium de Dunkerque, en France, « le groupe GFG Alliance se portait garant à 100% » pour le financement en cas de difficulté. Mais, vu que GFG Alliance Group n’est pas une entité légale, comment pourrait-elle se porter garante ? C’est un jeu très dangereux. Que se passe-t-il lorsqu’un caillou vient se mettre dans les roues de cette mécanique ? C’est la chute… Et l’unique recours reste la réduction des coûts (et donc des emplois) à grande échelle et la pression sur les pouvoirs publics pour qu’ils injectent des milliards, sans garantie de maintien d’emploi et sans devenir propriétaires des sites, pour tenter de les maintenir à flot.
Garantir un avenir pour ces secteurs stratégiques et les emplois
Le capitalisme amène chaque jour son lot de situations industrielles critiques et d'injustices. Il se réinvente chaque jour aussi, pour tenter de tirer le maximum de profit sur le dos des travailleurs. Et cela se fait souvent au mépris des règles. Le groupe GFG Alliance et sa vitrine Liberty sont à la pointe en la matière. La pyramide construite est fragile. Et menace l’avenir de dizaines de milliers de familles dont le salaire dépend d’un château de cartes.
Sanjeev Gupta avance ses pions et veut utiliser le coronavirus pour licencier et fermer des outils
En juin 2020, Sanjeev Gupta a annoncé une réduction des coûts de 30 % sur l’ensemble de ses activités, à l’exception de ses banques et de la gestion de ses activités immobilières. Dans le communiqué, on peut lire : « Les entreprises du groupe GFG Alliance s’adaptent à la baisse de la demande. Avec regret, cela signifie que nous ne pourrons pas éviter une réduction des postes sur certains sites. »
Avec une situation financière aussi désastreuse et la crise économique qui vient, Sanjeev Gupta avance ses pions et veut utiliser le coronavirus pour licencier et fermer des outils. Le virus est effectivement responsable d’une partie de la crise actuelle. Mais celle-ci était déjà bien présente avant. Les travailleurs ne peuvent pas subir les conséquences de l’attitude de ce magnat qui joue avec la vie des travailleurs pour assouvir sa soif de profit. Les responsables de cette situation existent. Il y a Sanjeev Gupta, bien sûr. Mais il y a aussi les directions des différentes entités du groupe qui contribuent à organiser l’opacité et qui se font les porte-paroles de cet industriel.
Et puis il y a les responsables politiques. Car malgré toutes les inquiétudes et tous les signaux d’alarme, ces derniers, partout où des sites sont rachetés, ont donné leur feu vert pour l’acquisition. Dans ce milieu, Sanjeev Gupta n’est pas un inconnu. On peut le voir en photo avec le prince Charles dans son bureau. Mais les liens qui l’unissent au monde politique sont plus que symboliques. C’est la Commission européenne qui a donné son feu vert pour le rachat des sites en Macédoine, en Roumanie, en République tchèque, au Luxembourg, en Italie et en Belgique. C’est Gérald Darmanin, alors ministre français des comptes publics, qui a accompagné Sanjeev Gupta lors du rachat du groupe de la fonderie de Dunkerque, après avoir reçu le feu vert de la Commission européenne… À chaque fois, cette dernière donne sa bénédiction.
Malgré toutes les inquiétudes et tous les signaux d’alarme, les responsables politiques ont donné leur feu vert partout où des sites ont été rachetés
C'est le gouvernement français qui a donné le feu vert à Sanjeev Gupta pour qu'il puisse acquérir les sites de Hayange et de Saint Saulve. Le ministre français de l’Économie a qualifié ces sites comme « des avoirs stratégiques » qu’il ne veut pas voir tomber dans les mains d'un groupe chinois. Concernant le site de Hayange, des Chinois avaient pourtant annoncé leur intention d'investir directement 60 millions d’euros, dont 30 payés au comptant, pour pérenniser les activités. Mais le tribunal de Strasbourg a préféré trancher en faveur de Liberty. Il semblerait qu’il y ait, à ce niveau, un préférence pour Sanjeev Gupta, bien introduit dans les milieux de la politique et de la finance européenne, par rapport aux industriels chinois, même si ceux-ci apportaient les garanties requises.
C’est ce débat qui occupe la Commission européenne autour du rachat d’Aleris, ce site de production d’aluminium à Anvers. Jusqu’à il y a peu, Aleris était propriété de Novelis, une multinationale américaine qui a été rachetée par un groupe chinois. Pourtant, le site de Duffel, contrairement aux autres sites du groupe américain, ne serait pas vendu aux Chinois. Mais bien à Liberty, que la Commission européenne a déjà désignée comme « un acheteur approprié ». Le rachat n’est pas acquis pour autant car la commission de régulation du marché chinois doit encore rendre, selon les dire des actionnaires de Novelis, son avis définitif11. Qui vivra verra.
Les pouvoirs politiques doivent prendre leurs responsabilités
Aujourd’hui, les responsables politiques de la Commission européenne et des divers États membres de l’Union ne peuvent plus dire qu’ils ne savaient pas. Dans tous les pays où il rachète des usines, Sanjeev Gupta brandit le drapeau de l’indépendance nationale industrielle face aux concurrents chinois ou russes. En Europe, il se présente comme le garant des filières industrielles européennes stratégiques. Mais la réalité est différente. Les pouvoirs publics doivent prendre leurs responsabilités pour éviter que les travailleurs ne soient les dindons de la farce. Des mesures doivent être prises rapidement.
La transparence doit être exigée sur les finances du groupe. Les sources de financement doivent être rendues publiques. Les investissements prévus doivent être effectués, avec un calendrier précis. Les licenciements collectifs ou fermetures de sites qui adviendraient à l’avenir ne peuvent pas être acceptés. Et l’apport éventuel d’argent public pour garantir la réalisation des investissements ne doit être accordée qu’à la condition de respecter les mesures de transparence sur les comptes et le financement. Et elles doivent être accompagnées de garanties en matière de maintien des emplois. Au cas où Sanjeev Gupta ne respecterait pas ces conditions, des mesures de rétorsion sur ses avoirs et sur les sites doivent être prises. Les pouvoirs publics doivent garantir un avenir pour les secteurs stratégiques de l’acier et de l’aluminium et pour les emplois qui en découlent.
1 https://www.lesoir.be/281422/article/2020-02-19/acier-gfg-alliance-investit-100-millions-eur-pour-transformer-liberty-liege
2 GFG Alliance to invest 2 billion euros in European steel operations, Reuters, février 2020.
3 La Meuse, l’usine Ferblatil à l’arrêt pour 15 jours à Pâques, 10/03/2020.
4 https://www.usinenouvelle.com/article/mornes-perspectives-pour-l-acier-europeen-en-2020.N891904
5 Sanjeev Gupta : is the steel magnate spinning too many plates ? Financial Times, 13 novembre 2018.
6 https://www.marketwatch.com/story/steel-billionaire-gupta-shuffles-reporting-dates-at-gfg-alliance-2020-04-03
7 « System generated tranxa tions » : Greensill, Gupta and the hunt for the mistery holding company, Financial Times, 20 août 2020.
8 Sanjeev Gupta draws scrutiny over Wyelands Bank loans, 24 février 2020.
9 Inside the Investigation That Brought Down a Star Trader, the barons, 25 mars 2020.
10 Inside the Investigation That Brought Down a Star Trader, the barons, 25 mars 2020.
11 Novelis Inc earnings conference call or presentation Thursday, May 7, 2020.
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