




Celui qui a été le porte-parole du parti de gauche pendant une quinzaine d’années vient d’être élu président du PTB. Raoul Hedebouw se livre à Solidaire pour expliquer les enjeux à venir pour la classe travailleuse, les objectifs ambitieux de son parti et bien d’autres choses encore.
Raoul Hedebouw. Une émotion double. D’abord, c’est un honneur de pouvoir représenter le maillot du parti au plus haut niveau. Lors de la séance de clôture du Congrès, j’étais très ému. Et puis, en même temps, c’est une pression sur les épaules parce que c’est une responsabilité importante. Il faudra être à la hauteur.
Raoul Hedebouw. L’avantage est qu’on est une équipe, dans les réussites et dans les épreuves. C’était déjà le cas sous la direction de Peter et ce sera encore le cas dans le futur. D’ailleurs, Peter garde un rôle crucial au sein du collectif en devenant secrétaire général du parti. Il va pouvoir se consacrer à des questions stratégiques politiques et organisationnelles, pour construire le parti solidement face aux tempêtes qui arrivent, pour alimenter la réflexion à long terme.
Et, surtout, nous avons une forme collective de direction avec les 50 membres du Conseil national du parti qui prennent en main les défis du parti, l’organisation des sections locales, notre service d’études, la communication du parti... Contrairement à d’autres partis où le président débarque avec son équipe, son orientation à lui, ses gadgets à lui, etc. je suis membre de ce collectif, je le représente vers l’extérieur. Mais c’est clair que, collectivement, on a une pression pour faire mieux.
Raoul Hedebouw. Nos buts stratégiques sont beaucoup plus diversifiés que cela. On veut faire mieux aussi au niveau de la construction de notre parti, par l’approfondissement des analyses des dossiers, par plus d’éducation qu’on veut apporter... Faire plus de voix est une pression que je ne me mets pas du tout parce que ça ne suffit pas pour faire changer le rapport de force au capitalisme du 21ème siècle. Mais la pression pour tous les autres défis, je me la mets.
L'interview continue en-dessous de la photo.
Raoul Hedebouw. J’aurais dit que vous étiez fou ! (Rires) C’est quelque chose qui vient graduellement. Je suis moi-même le produit de la lutte. La lutte de classes crée les dirigeants de la classe. Ce n’est pas moi qui ai déclenché la lutte en 1994-95. Ce sont les plans de Laurette Onkelinx (ministre socialiste en charge de l’Enseignement à l’époque, NdlR) qui voulait appliquer l’austérité dans l’enseignement francophone. La lutte fait ressortir des talents.
Moi, j’ai juste une voix qui porte – jusque-là, cela m’avait surtout valu de mauvais points à l’école parce que quand je pensais chuchoter dans le fond de la classe, la prof m’entendait… (Rires). Durant cette lutte, ma voix a servi à autre chose. Ça m’a permis de tenir des discours, de débattre. Le résultat, c’est une dialectique entre le talent qu’on peut avoir via son éducation, sa naissance, etc. et des conditions objectives qui permettent de développer ses talents.
L'interview continue en-dessous de la photo.
Raoul Hedebouw. Oui. À l’époque, il dirigeait le mouvement étudiant du PTB. Peter me fait aussi croire que le parti peut changer et que l’on peut être un leader du peuple en étant un leader du PTB.
Comment cela ?
Raoul Hedebouw. Lors de la lutte des Forges de Clabecq (lutte des ouvriers contre la fermeture de leur entreprise sidérurgique, entre 1996 et 1997, NdlR), le dirigeant syndical Roberto D’Orazio m’a beaucoup inspiré. À l’époque, j’en tire la conclusion que si je peux contribuer à la lutte, c’est comme leader syndical, comme D’Orazio. Le PTB, lui, était plutôt replié sur lui même. Je me dirigeais plutôt vers le syndicat, tout en espérant faire carrière aux chemins de fer, qui m’attiraient beaucoup. Peter me dit, comme il le dit à d’autres à l’époque : « Nous avons besoin de jeunes, le parti veut changer... Le parti peut avoir ses propres dirigeants qui seront reconnus par les travailleurs. » Et je dois avouer que je n’étais pas convaincu de ça, moi, à l’époque.
Je ne crois pas aux discours de dirigeants qui disent qu’ils ont toujours eu ça dans le sang, qu’ils étaient soi-disant faits pour diriger… Ma propre vie n’a pas été ça. J’aurais pu faire 15 000 autres choix et c’est le collectif qui m’a guidé.
Raoul Hedebouw. Notre conception de la démocratie n’est pas une lutte entre deux candidats qui s’affrontent d’égo à égo mais avec le même programme, comme c’est le cas dans les partis traditionnels. Moi, je crois dans un collectif et donc dans un consensus. Quand je dis qu’il n’y a pas de lutte de places au PTB mais qu’il y a une lutte des classes à mener à l’extérieur, c’est sincère. Le fait que faire carrière au PTB ne rapporte pas 1 euro en plus, ça crée déjà un tout autre climat en interne. Au MR, chez Georges-Louis Bouchez, devenir président rapporte 7 à 8 000 euros net en plus. Je crois dans notre démocratie qu’on appelle le centralisme démocratique. C’est un pouvoir collectif très sain.
Raoul Hedebouw. Notre congrès est l’aboutissement d’un grand processus démocratique de plus d’un an. 883 délégués ont été élus dans 400 groupes de base. 83 commissions se sont tenues dans tout le pays, et ont résulté en 564 pages de rapports. À cela se sont rajoutées 1 368 pages de suggestions, de critiques et d’amendements. C’est une incroyable richesse. Quel parti en Belgique peut se targuer d’une telle participation de sa base à l’élaboration de ces orientations fondamentales ?
Ailleurs, les délégués reçoivent un bottin de 400 pages écrit par le service d’études, à valider en quelques heures. Nous construisons une vraie démocratie, une démocratie active où chacun est impliqué. Et c’est ce qui fait que l’immense majorité des membres du parti se sentent bien dans leur parti et dans cette manière de fonctionner. Un président ne doit pas avoir les pleins pouvoirs. Quand j’entends ce que font les autres partis... Il y a des présidents qui peuvent désigner des ministres. Quel déficit démocratique !
Raoul Hedebouw. Oui, ce n’est pas exagéré. Le camp d’en face, le bloc séparatiste, la N-VA et le Vlaams Belang (VB), ont déjà annoncé que s’ils avaient une majorité ils appliqueraient la scission. La N-VA a même déjà annoncé que si les moyens constitutionnels ne suffisaient pas, elle passerait par des moyens anticonstitutionnels. Ils chauffent déjà leurs troupes pour 2024. Le VB a aussi annoncé que si les élections étaient « volées », il appellerait à la mobilisation dans la rue. On est dans une logique à la Trump. On voit ce qui se passe dans les autres pays du monde, et la Belgique ne fait pas exception.
On a donc raison de tirer la sonnette d’alarme, surtout qu’on peut incarner une alternative de manière dynamique. On voit qu’après 35 ans de propagande agressive et intensive en Flandre pour la scission, une majorité de Flamands... la refuse et veut même plus de Belgique. Il y a un courant positif qu’on doit canaliser. Nous proposons un fédéralisme unitaire : c’est celui qu’on pratique chaque jour comme parti.
▸ Lire aussi : Vers la division du pays ? (1/2) | Le grand hold-up du confédéralisme
Raoul Hedebouw. Il faut distinguer l’unité de la classe travailleuse et le patriotisme. Le drapeau belge qui envoie 250 militaires au Mali pour s’immiscer à nouveau dans les affaires africaines, ce n’est pas mon drapeau. Depuis plus d’un siècle, le monde du travail belge avance ensemble et apprend de sa diversité – parce que la situation n’est pas la même en Flandre, à Bruxelles ou en Wallonie. Cette diversité est une richesse. Si on veut construire un mouvement de lutte européen, on va devoir encore plus apprendre de notre diversité. Comment va-t-on mettre le syndicalisme polonais en symbiose avec le syndicalisme espagnol, français ou italien ? C’est très complexe. Exportons cette expérience de la diversité belge pour aider à l’union de la classe travailleuse européenne.
Raoul Hedebouw. Certainement car nous devons expliquer que l’extrême-droite, c’est le bras armé de l’establishment économique. Ce n’est pas un hasard si le VB vote pour les lois de modération salariale des travailleurs : c’est parce que le VB roule pour le patronat. S’il s’oppose à notre proposition de diminuer les salaires des députés, c’est parce qu’il veut garder les privilèges pour son élite politique. Nous devons prouver aux membres de la classe travailleuse qui peuvent être tentés par le VB que l’extrême droite roule contre eux.
On l’a vu dans les années 1930 : dans une situation de multiples crises, une partie de la classe dominante a préféré utiliser la répression, le racisme, la division pour asseoir son pouvoir politique. C’est une tendance au sein de l’establishment économique. C’est à nous, les marxistes, d’opposer notre vision de classe à nous. Celle du « nous, les travailleurs qui produisons la richesse ». Nous devons renforcer le sentiment d’adhésion à la classe, y compris vers le travailleur immigré qui a moins de droits que le travailleur belge. Nous devons tendre la main pour l’unité dans la classe.
L'interview continue en-dessous de la photo.
Raoul Hedebouw. « L’émancipation de la classe ouvrière doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes », a écrit Karl Marx. La classe travailleuse doit jouer un rôle central dans les combats sociaux en synergie avec les autres classes sociales, les petits indépendants, les petites entreprises, la paysannerie, les intellectuels, les étudiants… Les représentants de la classe travailleuse doivent diriger eux-mêmes leur propre parti – parce qu’il faut un parti pour pouvoir réaliser nos objectifs. Mais ça vaut aussi pour les syndicats, pour le monde associatif, etc.
Or, il faut constater que dans notre société capitaliste, il y a des mécanismes sociaux puissants, directs et indirects, qui empêchent les ouvriers de « monter » dans les organisations importantes que comporte notre pays. Que ce soit le monde politique, syndical, associatif, etc. Cela passe aussi par le langage. Si nous avons réussi à impliquer tant de travailleuses et travailleurs dans le Congrès, par exemple, c’est aussi en laissant la place à la démocratie « orale » : si on ne fait participer les délégués que par voie écrite, on va voir une forte différence de participation des camarades plus intellectuels.
Raoul Hedebouw. Il y a quelques députés-ouvriers dans ce pays : ceux du PTB. Mais donner de la place sur nos listes électorales ne suffit pas, on veut qu’ils prennent des responsabilités dans la direction du parti. Les mécanismes qui freinent leur prise de responsabilités sont aussi présents dans notre parti – nous vivons dans le capitalisme de 2021... Nous devons contrer activement ces mécanismes en interne pour construire la société que nous voulons. Les Nadia Moscufo, Youssef Handichi, Gaby Colebunders et bien d’autres sont les meilleurs représentants de la classe et ils doivent prendre leur place. Il y a un vrai enjeu pour le parti de faire monter nos camarades travailleurs pour les sortir de leur condition uniquement ouvrière, pour intégrer la direction.
Et inversement, les camarades qui ont des diplômes un peu plus poussés ont énormément de choses à apprendre de la position de classe spontanée de ces travailleurs. Pourquoi ? Parce qu’eux ressentent dans leur chair les injustices politiques et économiques vécues sous le capitalisme. Depuis 2004, nous avons vu l’entrée de plus de 20 000 nouveaux membres qui ont rendu la base du parti beaucoup plus populaire. Mais ça tarde encore à arriver dans les organes de direction du parti. L’entrée de dix nouveaux membres ouvriers au Conseil national, ça va donner une autre tonalité.
Raoul Hedebouw. La conscience que la classe a d’elle-même n’est pas automatique. C’est un objectif majeur du parti de rendre cette identité, cette fierté de classe. Le livre de Peter Ils nous ont oubliés explique bien que c’est nous qui produisons les richesses, c’est nous qui faisons tourner la société. Ce n’est pas le capital. Vous pouvez prendre 1 euro et le planter dans le sol, ça ne donnera rien. Il n’y a que le travail qui crée de la richesse. De cette conscience du rôle que l’on joue dans la société découle une fierté de classe qui fait qu’on va être plus offensif dans la défense de ses intérêts de classe. Ça se traduit personnellement devant le ministre ou devant le grand patron : « Je suis fier parce que c’est moi qui produis la richesse et ce n’est pas toi qui vas décider. C’est nous. » On a perdu beaucoup de terrain là-dessus, ces 40 dernières années. Nous, on veut remettre la classe travailleuse en avant et la crise du Covid est un accélérateur.
L'interview continue en-dessous de la vidéo.
Raoul Hedebouw. Face à une guerre froide que veulent déclencher les États-Unis contre la Chine, je sens de plus en plus de gens en train de se poser des questions. Le PTB, c’est aussi le parti de la paix. Parce que vous pouvez avoir des augmentations salariales mais si l’impérialisme européen vous mène vers la guerre, vous n’allez pas bien vivre. Et de ce côté là, les États-Unis sont un danger beaucoup plus grand pour la paix mondiale que la Chine. Jusqu’à preuve du contraire, la Chine n’a pas encore envahi d’autres pays avec son armée, n’a pas rasé un pays comme l’Irak, l’Afghanistan, la Libye, le Vietnam... La classe travailleuse en Belgique aurait beaucoup à perdre à rentrer dans une guerre froide avec la Chine qui se dessine actuellement.
Biden et Trump ont décidé de s’attaquer économiquement, politiquement et voire même militairement à la Chine. Le principal responsable aujourd’hui des grands déséquilibres mondiaux et des interventions militaires, ce sont les États-Unis qui, à eux seuls, cumulent 45 % du budget militaire mondial. Les États-Unis ont mené une politique criminelle en Irak, dans un pays qui a été renvoyé dans la féodalité et qui a donc créé le terreau pour l’existence d’organisations terroristes comme Daech. L’Europe et la Belgique auraient tout intérêt à tendre la main aux peuples du monde et à ne pas rentrer dans cette guerre froide américaine.
▸ Lire aussi : Chine - États-Unis : vers une nouvelle guerre froide ? Entretien avec Vijay Prashad
Raoul Hedebouw. Ça m’a vraiment fait chaud au cœur car bien sûr que notre société future est une société de fête. Pour fêter, il faut être détendu, il faut avoir du temps, il faut avoir des moyens et il faut avoir envie d’être tous ensemble. Et ce n’est pas pour rien que le PTB est un parti où on fait beaucoup la fête, comme à ManiFiesta par exemple. Ce n’est pas que pour le plaisir à court terme, mais c’est notre vision de société qu’on veut construire aussi dans le futur, quelles que soient les générations, quelles que soient nos origines. Qu’on soit Flamand, Wallon, Bruxelles, ouvrier, employé, originaire d’ici ou d’ailleurs, on apprend à se connaître notamment en faisant la fête ensemble. Le socialisme est une fête. Sous le capitalisme, c’est le stress. 500 000 malades de longue durée en Belgique en 2021. Où est la fête pour ces gens-là ? Donc, « danser le socialisme », j’aime bien, je prends ! (Rires)
Raoul Hedebouw. C’est conquérir les droits démocratiques sur les choix de ce que nous produisons comme travailleurs. Aujourd’hui, le choix de ce qu’on produit, de comment on le produit est décidé par les conseils d’administration de multinationales qui privatisent totalement ce choix là. Et donc, moi, je crois dans une société où les travailleurs dirigent eux mêmes le monde. Comme le dit le poète communiste allemand Bertolt Brecht dans sa pièce La mère « Apprends, il n’est jamais trop tard… car tu dois diriger le monde. » C’est ça le socialisme : donner les outils aux travailleurs pour diriger eux-mêmes le monde.
Appliqué à la politique aujourd’hui, par exemple, c’est rendre un statut public et démocratique à des secteurs importants comme l’énergie, le secteur bancaire… Car aujourd’hui, le conseil d’administration d’Engie-Electrabel a plus de pouvoir que tous les ministres de l’Énergie réunis et les grands banquiers peuvent mettre à terre un pays.
Raoul Hedebouw. Il faut donner le temps aux gens de participer aux débats. Aujourd’hui, après une journée de travail, on est mort crevé car le boulot est intense. Quand peut-on réfléchir à la société ? Le combat de la journée des 8h n’était pas qu’une question économique, c’était une question démocratique aussi. 8 heures pour dormir, 8 heures pour travailler et 8 heures pour les loisirs et s’intéresser à la chose publique. Avec le socialisme, on aura le temps. On ne va pas passer notre vie à travailler, on va passer notre vie à vivre. Nos moyens technologiques le permettent.
Raoul Hedebouw. Oui, à fond ! (Rires) Rage against the machine a été un moment fusionnel dans mon cœur et dans mes tripes. Parce que ça correspondait, à l’époque, à une jeunesse qui commençait à se révolter. Le mur de Berlin était tombé en 1989. On nous avait prédit que ça allait être la fin de l’histoire et qu’il allait y avoir le bonheur sur terre, et tout et tout. Évidemment, la réalité a été tout le contraire. Un groupe américain comme Rage against the machine traduit cette révolte qui est là.
Je sens cette même révolte chez les jeunes d’aujourd’hui. Avec peut-être même une touche plus offensive. Que ce soit sur le racisme, sur le climat, sur le sexisme, sur la pauvreté je sens une jeunesse aujourd’hui qui a une conscience de plus en plus forte que le monde ne peut plus tourner comme il est aujourd’hui. Bon après, il faut que je me mette un peu à la page niveau musique. J’ai du mal à accepter que Rage against the machine n’est pas le summum de ce qu’on a pu produire en musique dans le monde. (Rires)
L'interview continue en-dessous de la photo.
Raoul Hedebouw. Une des spécificités de la jeunesse est de ne pas être neutralisée par le fameux TINA (« there is no alternative », il n’y a pas d’alternative). La jeunesse, elle ne croit pas dans ce TINA. Elle l’envoie bouler. Ce souffle de dynamisme et de radicalité, il doit aussi être apporté dans le parti. On doit faire un effort particulier pour que les jeunes se sentent chez eux : l’utilisation des réseaux sociaux, les nouvelles formes de lutte, des sujets clés comme le climat mis à l’agenda etc... tout ça, ça évolue quand même très, très vite au niveau de la jeunesse. Alvaro Cunhal, dirigeant historique du parti communiste portugais, disait que les militants pouvaient vieillir, mais pas le parti. Le parti doit toujours rester jeune. Et c’est ce que nous allons faire.
Réagir à cet article ? Envoyez un mail à redaction@solidaire.org.