




À la fin du XIXe siècle, les travailleurs, dont les conditions de vie sont déjà épouvantables, sont touchés par une crise économique. Le tout jeune mouvement ouvrier belge engage sa première lutte massive. Ce soulèvement va avoir des répercussions historiques. Les premières lois sociales vont naître.
Nous sommes au début du capitalisme industriel. La révolution industrielle marque le début du 19e siècle. De nombreux paysans quittent leur campagne pour rallier les villes et leurs usines. Les conditions de travail sont inhumaines. La loi Le Chapelier, une loi appliquée en 1791, soit quarante ans avant la naissance de la Belgique, qui interdisait la moindre forme d’organisation d’ouvriers, est abrogée en 1867, mais la grève est toujours un crime sanctionné par l’État. Nous en sommes à la naissance début du mouvement ouvrier. Les syndicats n’existent pas sous leur forme actuelle et naissent difficilement vu le contexte répressif de l’État. Le Parti ouvrier belge (POB) a été créé officiellement l’année précédente seulement. Les femmes et les ouvriers ne votent pas. Le suffrage n’est pas universel mais censitaire (seuls les hommes payant un impôt peuvent voter). En 1893, à la veille de la révision du système électoral, 135 000 électeurs, sur 5 millions d’habitants, peuvent se rendre aux urnes pour élire les membres du gouvernement. Les plus pauvres sont obligés de faire leur service militaire : les jeunes hommes appelés sous les drapeaux sont tirés au sort. Les plus aisés s’en tirent en payant les plus pauvres pour revêtir l’uniforme à leur place. Dans un contexte tendu (l’Europe sort de la guerre entre la France et la Prusse de 1870 et va bientôt sombrer dans la Première Guerre mondiale), cette injustice provoque de plus en plus de colère populaire.
Le mouvement ouvrier est alors face à une crise économique majeure : la Grande Dépression de 1873-1896 (à ne pas confondre avec la crise de 1929, connue sous le même nom). Cette crise de surproduction enfonce encore un peu plus la tête des ouvriers dans la misère. Le nombre de chômeurs s’élève à 500 000 personnes. La technologie améliore les outils de l’industrie mais cela a comme conséquence la mise au chômage de milliers d’ouvriers. En même temps, les salaires diminuent. Bref, les conditions de vie sont difficiles pour l’ouvrier et sa famille : « Il creuse des veines de charbons, récolte et trait, coule l’acier liquide, souffle le verre plus de 10 heures par jour, parfois 12, six jours sur sept. Il gagne peu, ne bénéficie d’aucune couverture sociale, ne peut passer que quelques heures en famille par semaine. Son épouse travaille également, principalement dans les champs ou dans des usines. Elle exerce aussi des activités de lingère, repasseuse ou couturière. Certaines se rendent au marché matinal de Charleroi pour y vendre les maigres récoltes. Les enfants travaillent plusieurs heures par jour, aidant leurs parents, ou occupent certains postes nécessitant une petite taille dans les industries1. » Bref, les ouvriers et leur famille sont seuls pour conquérir leurs droits.
« L’année 1886 marquera dans l’histoire de notre pays. Elle est notre année terrible, comme l’année 1871 le fut pour la France. L’année 1886 a vu aux prises les repus et les misérables : ceux qui gouvernent à leur profit avec ceux qui demandent à avoir leur part des avantages sociaux. Nous avons eu nos troubles, nos châteaux en feu, nos usines détruites. Nous avons vu la bourgeoisie affolée, les misérables furieux, le pays sens dessus-dessous. La bourgeoisie a eu peur. Les pouvoirs publics ont été secoués terriblement et ont un instant abdiqué leur autorité entre les mains d’un général sans pitié. » Voici comment un témoin de l’époque, le socialiste Louis Bertrand, relate les événements de 1886 en Belgique2.
Cette période est marquée par des mouvements sociaux de grande ampleur aux États-Unis, en France, en Angleterre, aux Pays-Bas. La Belgique, un des pays les plus industrialisés au monde à l’époque, n’est bien sûr pas épargnée… En 1885, les ouvriers du textile de la Grasfabriek de Gand font grève pour de meilleures conditions de travail. La répression est sanglante. C’est le début d’une longue série de contestations ouvrières.
Le 18 mars 1886, entre 2 000 et 3 000 ouvriers se retrouvent sur la place Saint-Lambert de Liège. Ils entendent bien commémorer comme il se doit les 15 ans de la Commune de Paris (voir encadré). Lorsqu’ils se mettent en marche et traversent des quartiers riches de la ville, c’en est trop. Le luxe, l’opulence, le faste de ce qu’ils voient est si éloigné de la misère qu’ils vivent que la colère explose. Une minorité des manifestants commencent à piller les magasins. Les forces de police interviennent immédiatement. Elles n’hésitent pas à sortir les sabres. Le sang coule. Des ouvriers meurent de la main des forces de l’ordre. C’est le début de deux mois de grèves, de révoltes, d’émeutes de la faim.
Il fait froid, en ces premiers mois d’hiver 1886. Depuis quelques jours, des tracts anarchistes circulent dans les usines. Des socialistes veulent, eux aussi, commémorer la Commune et en profiter pour manifester contre leurs conditions de vie et de travail. L’idée du suffrage universel fait son chemin. Mais à Liège, la police est confiante. Les mots d’ordre sont pourtant radicaux (« Continuerons-nous à laisser nos femmes et nos enfants sans pain quand les magasins regorgent des richesses que nous avons créées ? Laisserons-nous éternellement la classe bourgeoise jouir de tous les droits3 ? ») et l’establishment reproche au bourgmestre d’autoriser une telle manifestation. « De l’avis unanime du commissaire en chef M. Mignon, des sept commissaires de police des quartiers, des chefs d’industrie dûment consultés, la classe ouvrière liégeoise était calme. Son esprit était même “considéré comme excellent”. Il y avait déjà eu, à Verviers, à Dison, à Charleroi, de “nombreuses exhibitions de drapeaux rouges et de bonnets phrygiens”. Dans ces conditions, pourquoi irriter la population par une interdiction intempestive4 ? » Vu le calme apparent de la manifestation, le bourgmestre se « contente » d’envoyer 22 policiers en uniforme pour encadrer le cortège et 20 policiers en civil. Mais… « Tandis que la plèbe de la plèbe descend sur la ville, la bonne société liégeoise s’est réunie dans les salons de l’hôtel Mohren, près du Pont d’Avroy. On y fête Franz Liszt (compositeur hongrois, NdlR), de passage en Belgique. A peine à table, le bourgmestre Julien d’Andrimont, qui n’a eu que le temps de déguster quelques huîtres, doit s’éclipser pour s’occuper de Liégeois moins élégants, dont on lui annonce les premiers rassemblements. Son intervention et celle des forces de l’ordre n’empêcheront pas les manifestants de faire voler en éclats les fenêtres de l’hôtel où la fête a sans doute dû être interrompue. Quelques milliers d’ouvriers, venus des faubourgs industriels, se sont concentrés autour de la place Saint-Lambert. Parmi eux, beaucoup de jeunes dont un journal local rapportera qu’ils veulent “continuer les folies du carnaval”. Drapeaux rouges en tête, ils ont parcouru la place Verte, la place du Théâtre, les rues de l’Université, de la Cathédrale, Vinâve d’île et des Dominicains pour se retrouver, une demi-heure plus tard, au lieu de départ. Il est dix-neuf heures trente. L’explosion est imminente », note l’historien Marcel Liebman 5.
Les ouvriers et leur famille sont seuls pour conquérir leurs droits
Et, en effet, le cortège composé d’ouvriers (dont trois quarts sont des jeunes de 12 à 16 ans) affamés explose. Les vitres des bâtiments de luxe sont brisées, les magasins pillés… La garde civique (garde composée de jeunes bourgeois, dépendante de la commune) est appelée en renfort. La première manifestation est réprimée avec force et violences. Comme celles qui suivront.
Dès le lendemain, les mineurs de Jemeppe-sur-Meuse entament une grève pour une augmentation salariale. Le mot d’ordre de grève s’étend à tout le bassin liégeois. Les gardes civiques de Louvain et de Bruxelles sont envoyées pour mater la rébellion. Les jours qui suivent, le tribunal de Liège prononce 77 condamnations.
L’armée est mobilisée et occupe des endroits stratégiques pour empêcher les manifestations spontanées. Mais les pillages et les grèves continuent. La violence des forces de l’ordre va crescendo, elle aussi. « Toutes les étroites rues de Tilleur (Liège) étant barrées par les troupes, quelques mineurs s’étaient avancés sur cette passerelle. On leur a fait les sommations ; ils ne pouvaient de là faire aucun mal ; ils se croisaient les bras et criaient : “Tirez, lâches !” Les officiers commandèrent le feu ; les soldats tirèrent trop haut pour atteindre le groupe ; les officiers visèrent et abattirent trois personnes : un enfant, une femme et un mineur. Les autres restèrent immobiles et répétèrent leur cri : “Tirez, lâches 6 !” »
Le 21 mars, trois jours après la première manifestation de la colère des ouvriers, la grève est totale dans les charbonnages. Une femme est gravement blessée par balle lors d’une confrontation entre les grévistes et la garde civique. Les ouvriers ne sont pas seuls lors des manifestations et des grèves. Leur famille est bien souvent présente. Les jours et les nuits qui suivent, des incidents éclatent un peu partout dans la région liégeoise. La tension est lourde. « C’est d’ailleurs maintenant une véritable chasse à l’homme ; quiconque monte à une fenêtre d’un étage supérieur, ou sur un point élevé quelconque, fût-ce sur une colline, est sommé de descendre, ou sinon on tire sur lui. Les propriétaires de mines se sont armés en guerre ; ils veillent dans leurs bâtiments, entourés des officiers qui mangent à leur table ; ils sont munis de fusils perfectionnés et annoncent l’intention, cette nuit, de tirer sur tous les groupes qui se formeraient aux abords des charbonnages. La peur rend féroce et il semble déjà que les houilleurs (mineurs) ne soient plus des hommes pour tout ce monde affolé7. »
Le mouvement s’essouffle dans la Cité ardente. Pour reprendre de plus belle aux alentours du Pays noir. « Le jeudi 25 mars, au puits Sainte-Henriette de Fleurus, 190 mineurs en ont assez de se crever au travail pour un salaire de misère. Ils réclament une augmentation au patron, qui refuse. Alors, ils quittent la fosse et rêvent de liberté. Ainsi éclate la grève, l’émeute, la protestation sociale la plus violente du Pays noir. Cent cinquante mineurs se dirigent vers les puits les plus proches8. » Le fait que les travailleurs carolos reprennent le flambeau est un événement important. Dans les années 1880, l’industrie de Charleroi est l’une des plus avancées au monde. 35 000 mineurs (dont 3 000 femmes), 12 000 métallos, 7 000 verriers travaillent au Pays noir. Sur 250 000 habitants, 60 000 sont ouvriers.
Ce premier jour de grève paralyse tous les charbonnages de la région carolorégienne. Il provoque des blessés et 30 arrestations de la part de la gendarmerie. Le lendemain, des piquets volants arrêtent laminoirs, fonderies et verreries. Le bourgmestre de l’époque, Jules Audent, tente de semer la panique en ordonnant aux gens de rester chez eux « pour ne pas devenir victime de leur curiosité ». Il interdit aux ouvriers l’accès au centre de la ville. Les ouvriers verriers se joignent à la lutte. « Depuis un certain temps, le syndicat verrier l’Union Verrière (seule organisation ouvrière du bassin de Charleroi créée en 1882, NdlR) s’oppose au patronat des verreries parce que celui-ci souhaite réaliser des économies essentiellement sur le dos des travailleurs. Les mesures préconisées, et appliquées, résonnent d’une manière étonnamment actuelle : réduction des salaires, embauche d’apprentis à des salaires moindres que ceux des ouvriers verriers, obligation de signer des contrats de travail à long terme destinés à briser toute action de grève. Introduction d’un nouveau type de four, nécessitant beaucoup moins de main-d’œuvre. Le patronat refuse la revendication ouvrière du “travail à deux pour un” (chaque ouvrier chômant 1 jour sur 2 pour que tous aient du travail), formule revendiquée par le syndicat9. »
Ce 26 mars marque un tournant dans le mouvement. Des ouvriers brisent leur outil de travail. D’abord quelques verreries. Puis, de 5 à 6 000 personnes se dirigent vers celle d’Eugène Baudoux, richissime homme d’affaires qui vient de remplacer des ouvriers par de nouveaux fours plus rentables nécessitant moins de main d’œuvre. Eugène Baudoux cristallise ce contre quoi les ouvriers se battent. Sa richissime demeure part en cendres. L’usine et le château ne sont plus que des tas fumants. D’autres groupes de manifestants s’attaquent à des charbonnages. En soirée, les participants aux manifestations se rejoignent à Roux. « Les soldats prennent aussitôt position et après les sommations, font usage de leurs armes. Cinq malheureux y sont assassinés et une douzaine d’autres grièvement blessés10. »
Le samedi 27 mars, des grévistes se dirigent vers Roux. Ils sont 700. « Alors que rien dans l’immédiat ne justifie son intervention, la troupe coupe la route vers 11h30. En réponse à cette provocation, les grévistes continuent leur marche en avant, puisant au sein de la foule sa force. La troupe, à l’abri de ses armes, tire, fauchant les premiers rangs. Le porteur du drapeau s’écroule, frappé à mort. La troupe relève 10 morts et de nombreux blessés (dont 4 mourront encore, portant ainsi à 19 le nombre de victimes de Roux) 11. » Ici, pas de sommation. La répression se durcit et elle porte désormais un nom : Alfred van der Smissen, un général connu pour sa brutalité et appelé sur place pour prendre la tête des forces de l’ordre. « Le colonel Kerrinkx doit agir contre les anarchistes et les incendiaires avec la plus grande vigueur et en faisant résolument usage des armes… » (télégramme du général van der Smissen au ministre de la Guerre du 26 mars). « La garde civique est tenue de faire feu sans sommation sur les émeutiers et il faut donner des ordres en conséquence, je sais que c’est illégal, mais je me moque de la légalité, on m’a envoyé ici pour rétablir l’ordre et je le rétablirai par n’importe quel moyen. » (Général van der Smissen à l’échevin de Charleroi Defontaine)12.
Le lendemain, la commune de Roux, en état de siège, a voté des mesures pour éviter de nouveaux troubles. L’inhumation des victimes se passe sous haute présence policière et militaire et les forces de l’ordre ont l’ordre de tirer sur tout qui s’approcherait à moins de 150 mètres d’eux.
Le mouvement commence à décroître. La grève aura touché l’ensemble de la Wallonie. La Flandre, qui a connu des grèves l’année précédente avec les mêmes mots d’ordre d’augmentation salariale, d’amélioration de conditions de travail, etc. a vu ses ouvriers témoigner de la solidarité concrète avec leurs frères et sœurs francophones. Comme les ouvriers de Gand et d’Anvers qui, via leurs coopératives ouvrières, n’ont cessé d’envoyer du pain aux grévistes wallons. Mais, sous la menace de l’armée, ces derniers commencent à reprendre le chemin de l’usine, de la mine, de la verrerie. Comme l’écrit l’ex-président de la Centrale générale de la FGTB Paul Lootens dans 1886, révolte ouvrière et répression bourgeoise, « ainsi se termine cette première grande révolte ouvrière en Belgique ». Mais les résultats de cette « première grande révolte » sont à venir.
Après la répression policière vient celle du judicaire. Au cours des mois qui suivent, des centaines d’ouvriers, grévistes ou non, sont condamnés « sous l’accusation d’atteinte à la liberté du travail, de violences ou de vol. Le tribunal correctionnel de Charleroi condamne sans arrêt à l’ombre des baïonnettes qui ceinturent le Palais de Justice. Hommes, femmes et enfants, parfois arrêtés arbitrairement, sont condamnés à la prison. Vols, brigandages, recels, faits de grève sont punis par des condamnations qui vont parfois jusqu’à 47 mois de prison. Un mineur accusé du seul fait d’avoir interrompu le travail dans un charbonnage est condamné à un mois de prison 13. »
Surtout, la justice part à la recherche des « responsables ». Deux souffleurs de verre, membres très actifs et populaires de l’Union Verrière, Oscar Falleur (secrétaire et correspondant du quotidien socialiste Le Peuple) et Xavier Schmidt (qui vient d’être renvoyé par le patron Eugène Baudoux) vont servir d’exemple. Le procès des incendies de la verrerie Baudoux et du château de son patron est l’occasion rêvée de couper la tête du syndicat. La composition du jury n’est pas négligée par l’État : les 30 jurés sont banquiers, notaires, industriels, etc. Sans surprise, la Cour déclare les deux leaders ouvriers « coupables de provocation au pillage et d’atteinte à la liberté du travail ». La condamnation est de 20 ans de travaux forcés. La peine la plus lourde pour ce genre de délit. Mais les ouvriers ne l’entendent pas ainsi.
En mai 1887, une nouvelle grève enflamme le Hainaut et Liège. 60 000 grévistes vont revendiquer le suffrage universel et… l’amnistie pour les condamnés de 1886. Ils réclament la libération de tous les condamnés mais particulièrement celle des deux leaders. Un mois plus tard, sous la pression, l’État cède et les prisonniers sont libérés, soit par grâce soit sous conditions.
S’il est libéré, Oscar Falleur doit quitter le pays avant le 15 août 1888. Encore une fois, la mobilisation des ouvriers fait céder l’État : une pétition recueille 600 signatures et est remise au ministre de la Justice, Jules Lejeune. Obligé de céder, ce dernier donnera son nom à la loi de libération conditionnelle.
Suite aux événements de 1886, le Parlement doit lâcher du lest. Sur ordre du roi Léopold II, la Commission du Travail est lancée le 17 avril 1886. Si elle n’est qu’une manière de temporiser, elle permet quand même aux ouvriers délégués de venir témoigner de leurs conditions de vie. Et, surtout, d’avancer des revendications : diminution du temps de travail, suppression du tirage au sort pour le service militaire, loi sur les accidents de travail, instauration de caisses d’assurance (contre le chômage, la maladie, etc.), interdiction du travail des femmes et des enfants dans la mine…
Certaines de ces revendications vont aboutir. Les premières lois sociales sont appliquées durant la législature 1886-1887 : la loi du 16 août 1887 instituant le Conseil de l’industrie et du travail, chargé de missions d’information, de consultation et de conciliation des conflits collectifs ; la loi du 16 août 1887 portant réglementation du paiement des salaires aux ouvriers ; la loi du 18 août 1887 relative à l’incessibilité et à l’insaisissabilité des salaires des ouvriers. D’autres vont suivre : la loi sur l’inspection et la sécurité des lieux de 1888, la loi sur le travail des femmes et des enfants de 1889…
En promulguant ces lois, l’État espérait « calmer » le mouvement ouvrier pour un petit bout de temps. Mais il n’entend pas (encore) donner le droit de vote aux ouvriers ou reconnaître les droits syndicaux. Au contraire. Le ministre de la Justice Devolder propose, en avril 1886, d’ajouter un paragraphe à la loi déterminant la participation à un délit : « Inciter l’auteur d’un délit non pas individuellement mais par des discours ou écrits publics. Celui qui a incité de la sorte peut être condamné comme s’il avait commis le délit lui-même et est passible des mêmes peines14. » Ce paragraphe sera utilisé pour criminaliser les mouvements sociaux. Ne pensons donc qu’à la lutte de Clabecq à la fin des années 1990, où 13 leaders syndicaux ont été poursuivis pour des faits qu’ils n’avaient pas commis…
130 ans plus tard, quelles sont les leçons à tirer de cette lutte ? « Que nos acquis sociaux ont été arrachés par la lutte, par le sang, répond Paul Lootens, qui a dirigé la Centrale générale de la FGTB. 1886, c’est Germinal. C’est un moment particulier dans notre histoire sociale. La bourgeoisie a eu peur et a dû, pour la première fois en Belgique, lâcher du lest avec cette Commission du Travail et les lois qui ont suivi. C’est le début des conquêtes du monde ouvrier. Sans cette lutte, nous n’aurions pas pu arracher le suffrage universel. » Suffrage universel qui sera amorcé en 1893, avec le suffrage universel plural (chaque homme de plus de 25 ans a une voix mais les plus riches peuvent en avoir deux en plus). Il faut attendre 1919 pour le suffrage universel (masculin) et… 1948 pour le suffrage universel mixte.
« Aujourd’hui, on attaque les syndicats, le droit de grève, tous nos acquis sociaux… », conclut Paul Lootens. « On essaie de nous faire retourner en arrière. C’est pour ça qu’il est important de rappeler cette lutte massive. En 1886, le monde ouvrier commence à obtenir des victoires. Ne commençons pas à accepter que l’on recule ! »
1. www.charleroi-decouverte.be • 2. Louis Bertrand, La Belgique en 1886, Bibliothèque populaire, Bruxelles, 1886 • 3. Idem • 4. F. VAN KALKEN, Commotions populaires en Belgique (1834-1902), Bruxelles, Office de publicité, 1936 • 5. Marcel Liebman, Les socialistes belges, 1885-1914. La révolte et l’organisation, p. 54-55, (Histoire du mouvement ouvrier en Belgique n°3), éditions Vie Ouvrière, Bruxelles, 1979 • 6. Louis Bertrand, op. cit., p. 76-77 • 7. Idem, p. 77-78 • 8. Francis Poty et Jean-Louis Delaet, Charleroi pays verrier, p. 79, édité par la Centrale générale de Charleroi, 1986. • 9. Paul Lootens, 1886, révolte ouvrière et répression bourgeoise, 1998 • 10. Idem • 11. Idem • 12. 1886, la révolte des damnés de la terre ! • 13. Paul Lootens, op. cit. • 14. Idem
Article publié dans le mensuel Solidaire de mars 2016. Abonnement.
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