Aides-ménagères : « Devoir choisir entre préserver notre santé ou payer nos factures, ça doit cesser »

Laeticia et Erika travaillent dans le secteur des titres-services. Les deux jeunes femmes témoignent : en pleine pandémie, beaucoup d’aides-ménagères continuent à enchaîner les prestations, et à passer de foyer en foyer, au péril de leur santé, et de celle de leurs proches. C’est ça ou perdre une partie de leurs revenus. Pour Laeticia et Erika, le secteur doit être fermé, et les salaires maintenus. « Nous méritons le respect, et pas seulement pendant la pandémie. »

Comment se passe la deuxième vague pour vous, au travail ? 

Laeticia. La situation est critique. C’est pire que pendant le premier confinement. Lors de la première vague, on avait déjà peur, pour nous, nos clients et notre famille, face à ce nouveau virus effrayant et mortel… Mais à ce moment-là, ça ne touchait pas autant de personnes autour de nous qu’actuellement.

Aujourd'hui, les clients n'annulent plus leur prestation uniquement par peur du virus mais aussi (et je dirais même surtout) parce qu’ils sont directement touchés : qu’ils soient en quarantaine, en attente de test ou carrément positifs. « On joue avec notre santé. Celle de nos clients et celle de notre famille. » C’est ce que j’entends quand je discute avec mes collègues.

Mais vous n’avez pas le choix...

Laeticia. Exact. On sait que c’est dangereux, mais on est obligées de continuer, car le gouvernement ne ferme pas notre secteur. Ils s’en remettent à la bonne volonté des patrons. C'est à eux que revient la décision de suspendre notre activité ou pas.

Le pire, dans tout ça, c'est que si notre patron se montre raisonnable et met en suspens notre activité, pour notre sécurité et celle des clients, c’est notre portefeuille qui en pâtit.

Pourquoi ?

Laeticia. Parce que notre salaire est déjà très bas à la base. Nous avons déjà énormément de mal à finir le mois dignement en temps normal. Alors imaginez avec 30 % de salaire en moins (le montant du chômage économique équivaut à 70 % du salaire, NdlR)... On doit alors choisir entre nourrir notre famille ou payer les factures, car les deux à la fois, c’est impossible.

Le gouvernement accorde pourtant des subsides aux sociétés de titres-services… Cela ne permet pas de garantir les salaires à 100 % ?

Laeticia. Le problème, c’est que le gouvernement n’oblige pas les sociétés à utiliser ces subsides. Du coup, certaines sociétés les gardent.

J’ai vu des aides-ménagères soulagées d’apprendre que leur patron suspendait l’activité… Mais déchanter très vite en réalisant que leur employeur n’utiliserait pas les subsides pour les payer, mais les mettrait en chômage économique. Alors, c’est la panique.

Les aides-ménagères sont en majorité des femmes. Est-ce que ça change quelque chose ?

Erika. Oui. Nous sommes nombreuses à avoir des enfants. Beaucoup d’aides-ménagères sont des mamans solos. Elles doivent jongler entre les fermetures d’écoles et de garderie pour cause de Covid 19, les congés scolaires prolongés… Faire garder ses enfants, en pleine pandémie, c’est un vrai parcours du combattant.

Les grands-parents ne peuvent pas aider ?

Erika. Ça peut être une solution, c’est vrai. Mais encore faut-il qu’ils soient toujours de ce monde... Et si, par bonheur, ils le sont, n’est-il pas de notre devoir de les protéger ? Comment être sûres qu’ils ne risquent rien dans la mesure où leurs petits-enfants ont eux-mêmes eu des contacts rapprochés avec nous ? Nous qui passons de foyer en foyer, qui nous déplaçons souvent en transport en commun, qui côtoyons chaque jour des familles en télétravail et des enfants sans masque… (Ce qui est compréhensible : ils sont chez eux…)

La situation est grave. Il y a même des clients qui ne signalent pas qu’ils sont positifs. Ils risquent ainsi de contaminer leur aide-ménagère qui va à son tour contaminer ses proches ou d’autres clients, etc.

Un effet domino… 

Erika. C’est ça. On ne peut voir qu’une seule personne par semaine. On doit donc choisir entre voir son père ou voir sa mère mais, à côté de ça, on peut se rendre dans 10 domiciles différents, où les familles sont présentes. C’est absurde...

Chez les personnes âgées, le respect des mesures n’est pas évident non plus. Avec, en plus, le passage de l'infirmière, du kiné et du livreur de repas sur la même matinée, difficile de respecter les mesures.

Avec tout ça, on peut vraiment être porteuses du virus sans le savoir. Tout ça parce qu’on est obligées de continuer à bosser…

C’est ça, où risquer d’être confrontées à des problèmes financiers…

Erika. Tout à fait. La pression est énorme. On doit choisir entre préserver notre santé ou notre portefeuille.

Et ce n’est pas tout : combien de fois ne sommes-nous pas rappelées par nos patrons en période de repos ? Pour des remplacements au pied levé dans des maisons qu’on ne connaît pas, et où les consignes de sécurité ne sont pas toujours respectées ?

De manière générale, dans notre travail, les règles d'hygiène ne sont pas respectées. Et rien n’est fait pour contrôler et sanctionner les entreprises fautives. 

Pourquoi les entreprises de titres-services ne suspendent-elles pas spontanément les prestations ?

Erika. Elles ne veulent pas perdre d’heures de prestations… Malgré qu’elles reçoivent des subsides. C’est juste une occasion de faire encore plus de profit.

Les employeurs pratiquent un chantage honteux avec les aides-ménagères : pour qu’elles acceptent des remplacements, ils leur rappellent qu’elles ne peuvent se permettre de perdre des heures, à moins qu’elles piochent dans leurs congés annuels…

Les aides-ménagères n’ont alors pas d’autre choix que d’accepter, au péril de leur santé. C’est ça ou perdre une partie de leurs revenus.

Vous pensez que le secteur devrait fermer temporairement ?

Laeticia. J’ai la chance, moi, de travailler pour une société de titres-services à finalité sociale, qui a décidé de fermer temporairement, avec maintien du salaire. C’est la meilleure manière de combattre ce virus. Cela devrait être fait pour tout le secteur. Pourquoi est-ce que je devrais avoir la « chance » de m’arrêter avec maintien du salaire et pas ma collègue ? Juste parce que mon patron est plus compréhensif que le sien ?

Il faut d’urgence fermer le secteur et obliger les sociétés à prendre et à utiliser les subsides pour garantir notre salaire. De manière à ce que nous ne vivions pas cette fermeture comme une punition, mais plutôt comme une manière de lutter contre le virus. Il faut assurer la sécurité des travailleuses, et ne pas les mettre face à ce dilemme impossible entre manger ou payer les factures. Pour cela, le maintien du salaire de toutes les aides-ménagères doit être garanti à 100 %.

Erika. Le gouvernement doit prendre une décision radicale pour le secteur. On ne peut limiter les visites familiales à une personne par semaine et laisser les aides-ménagères entrer et sortir dans des dizaines de maisons. Cela n’a aucun sens. Le confinement et la bulle sociale sont valables pour tout le monde, sans exception.

Salaires très bas, conditions difficiles… La difficulté du travail des aides-ménagères, ce n’est pas qu’en période de coronavirus... 

Erika. C’est vrai. Nous offrons un service important à la population. Nous sommes nécessaires aux yeux de nos clients en cette période de pandémie. Pour beaucoup, notre passage est comme un rituel, un moment (parfois le seul) où ils peuvent parler à quelqu’un, se confier. Même en cas de suspension d'activité, nous gardons le lien, nous prenons régulièrement de leurs nouvelles. Notre présence, notre voix sont plus parfois plus importantes que le nettoyage de leur maison. Mais ne sommes-nous pas aussi importantes le reste de l’année ?

Pour cela, nous méritons du respect, et pas seulement en période de coronavirus. Nous nous nous sommes battues pendant plus d’un an pour augmenter nos salaires de 1,1 %. Après une lutte acharnée des syndicats, nous avons obtenu 0,8 %. C’est une première victoire, mais ne devrions-nous pas être payées décemment, d’autant plus si notre travail est considéré comme absolument essentiel pour la société ?