Bart Peeters : « La langue est certes flamande, mais la musique ne l’est pas du tout : elle est du monde entier »

« Dans tout ce que je fais, je veux réunir, relier les gens. La mentalité du “diviser pour régner”, ça ne me plaît pas du tout. » Le togetherness – ce qu’on fait ensemble, on le fait mieux –, c’est quasiment sa devise. Et c’est bien ce qui, selon nous, fait de Bart Peeters, bête de scène et star en Flandre, l’artiste parfait pour ManiFiesta.

« Offrir aux gens une belle soirée, y a-t-il plus beau métier que celui-là ? », dira-t-il à la fin de notre entretien téléphonique, durant lequel on voyait presque ses yeux briller. L’enthousiasme de Bart Peeters, si caractéristique de ses prestations à la radio, à la télévision et sur scène, n’a pas de bouton « pause ».

Avez-vous toujours voulu être musicien ?

Bart Peeters. Enfant, je voulais être clown et musicien. Et, en fait, je le suis depuis mes 7 ans. Je composais déjà des chansons sur ces petites guitares pour enfants. Il s’agissait de chansons contestataires pour la paix et d’autres choses encore (rires). En anglais aussi : (Il commence à chanter) I want to live in peace. Ce sont mes racines.

Mon rêve a toujours été de constituer un groupe avec les meilleurs musiciens du monde. Et ça, j’y suis parvenu maintenant. Autour de moi, j’ai réussi à rassembler des musiciens qui ont leurs racines dans la musique tsigane, la soul, la musique classique, le jazz, mais aussi dans la musique latino-américaine.

Sur nos disques, des musiciens des Balkans, de Pretori, de Kinshasa se rencontrent et jouent ensemble. Sur scène, j’invite des « aborigènes » de Kalmthout (rires), mais aussi des gens de beaucoup plus loin. C’est ce que j’ai toujours voulu faire. La langue est certes flamande – le flamand des paroles est très reconnaissable –, mais la musique ne l’est pas du tout. Elle est à la fois orientale et africaine, d’Europe de l’Est et d’Amérique latine, soul, etc.

Mon rêve était d’être au contact des meilleurs musiciens du monde. Et j’y suis parvenu. 

C’est un parti pris ?

Bart Peeters. C’est de la musique du monde, parce que je pars du principe que le monde est un village. Par le passé, si vous vouliez travailler avec un guitariste de Kinshasa, il fallait commencer par une longue recherche. Mais maintenant, je travaille, par exemple, avec Dizzy Mandjeku qui vit à Bruxelles. Dizzy est un musicien congolais très important ; toute sa vie, il a été en tournée à travers le monde avec Mory Kante (auteur du tube Yéké, yéké, NdlR) ; il est également co-auteur de Papaoutai de Stromae. Pour les disques, je travaille avec de telles personnes.

Amel Serra Garcia, un Cubain, vient d’El Tattoo del Tigre, le meilleur groupe latino en Belgique. Mais il a aussi joué avec dEUS, Zita Swoon, etc. Piet Van den Heuvel était autrefois le chanteur de Scooter, des dieux de la pop dans les années 1970, 1980. Ivan Smeulders a dernièrement commenté le Concours reine Elisabeth, c’est une autorité reconnue, tout comme son frère, qui joue aussi avec moi. Quant à Emiel Verstraeten, il a des origines gitanes. Il a le violon tsigane dans le sang, mais est en même temps un musicien classique.

C’est pour cela que nous pouvant aller dans tant de directions différentes en concert. On peut à la fois faire du groove et de la musique très émotionnelle, puis un peu déconner et ensuite à nouveau mettre le feu à la baraque. Mais ManiFiesta, c’est à l’extérieur, n’est-ce pas ? Eh bien, on va faire s’envoler la tente (rires).

La célèbre chanteuse de jazz sud-africaine Tutu Puoane chante sur votre dernier album, La Croissance. Un fameux nom !

Bart Peeters. Oui, Tutu Puoane une des célébrités mondiales du jazz. Il arrive qu’on me dise : Bart, il faut quand même oser, se produire sur scène aux côtés d’un tel super-talent ! Mais elle-même, ça ne lui pose aucun problème. Elle connaît mon monde et je connais le sien. Nous les avons réunis et le résultat de cette union est bien plus riche que la simple addition de nos deux univers.

Sur l’album, elle chante sur un seul morceau, mais en concert, nous jouons plus de chansons ensemble. Elle sera là aussi à ManiFiesta. Dans une chanson comme Messias, la soul et le jazz de Tutu abordent la foi et les conséquences désastreuses de l’extrémisme, sujet plus que jamais d’actualité. Le résultat est inouï, vraiment.

Votre tournée de concerts au printemps dernier était sold-out du début à la fin. Cela a dû vous faire plaisir.

Bart Peeters. Ça nous rend très heureux, évidemment. C’est peut-être très prétentieux et excessivement ambitieux, mais nous nous efforçons de nous bâtir une réputation légendaire en concert. Nous plaçons la barre ridiculement haut. Pour nous, ça va très loin. Nous aspirons au perfectionnisme musical, avec beaucoup d’énergie et d’ambiance, ce qui peut parfois complètement déraper, puis nous passons à des morceaux plus délicats, plus émotionnels, pour ensuite y aller à fond et faire péter la baraque. C’est vraiment ce qu’on veut faire. Nous sommes très fiers de cette réputation en concert, et nous faisons tout pour la préserver.

Quant à vos textes, ils reflètent aussi un certain engagement, non ?

Bart Peeters. Oui, absolument. Parfois, c’est tout à fait évident, comme avec le titre Orka’s zwemmen naar Nieuwpoort  (les orques nagent vers Nieuport), où il est question de changement climatique.

Mais mon engagement est principalement le togetherness, le fait d’être et de faire les choses ensemble. Dans tout ce que je fais, écris, compose – aussi avec le groupe sur scène –, je veux réunir, relier les gens. J’ai beaucoup de mal avec le réflexe de séparation, avec la mentalité du « diviser pour régner » très fréquents en politique. 

Mon idée, c’est que, si nous sommes ensemble, nous sommes ensemble et non pas séparés les uns des autres. C’est pour moi un principe de base très simple. L’état d’esprit actuel nous oblige presque à considérer de manière très sombre ce qui se passe dans notre environnement et dans le monde. Les médias ont leur part de responsabilités, parce que les mauvaises nouvelles font vendre. Mais moi, j’ai une opinion différente à ce sujet.

Certes, c’est facile à dire pour moi, puisque je suis un artiste, un « amuseur ». Et le premier artiste qui monte sur scène en se demandant comment il va faire pour diviser son public n’est pas encore né. Réunir est un réflexe naturel pour chaque artiste, toujours.

Chez les hommes politiques, ce réflexe de division est peut-être nécessaire, puisqu’on attend aussi d’eux qu’ils se profilent, qu’ils se positionnent très clairement.

Y a-t-il un homme politique en vous?

Bart Peeters. Oh, non! Je suis très heureux de ne pas être un homme politique. C’est un travail épouvantable. J’ai beaucoup de respect pour presque tous les hommes politiques, sauf ceux du Vlaams Belang. Ils doivent travailler dans un environnement hostile – il y a toujours une majorité et une opposition –, ce qui est très dur. Je suis donc très heureux d’être un amuseur, quelqu’un qui construit une fête avec le public. Il n’y a ni adversaire ni ennemi. C’est un environnement de travail très agréable, je dois dire, à un tel point qu’on ne peut pas vraiment qualifier de « travail » le fait de faire de la musique. 

La politique que j’apprécie le plus, c’est celle qui vient directement du peuple. Le cliché dit que « les gens » ont toujours raison. Je suis d’accord avec cela. Chaque tendance sociale, même petite, est toujours juste.

Je pense évidemment au dossier Ringland (une lutte de citoyens qui se battent pour le recouvrement du Ring d’Anvers, NdlR). Quand j’en ai entendu parler, j’ai pensé que c’était trop beau pour être vrai. Mais on sent que beaucoup de gens en rêvent et l’attendent. Et si on examine les études, on réalise que c’est également possible. D’où ce single que j’ai fait et dont les bénéfices vont à Ringland (que la VRT a refusé de diffuser en raison de son contenu « trop ​​politique », NdlR), avec Slongs Dievanongs, Tourist Lemc, Halve Neuro et d’autres.

Les musiciens qui s’expriment sur la politique s’entendent souvent dire que les artistes n’ont pas à se mêler de ces sujets-là.

Bart Peeters. Oh, là, je ne suis pas d’accord. Chaque être humain est un être politique. Je pars du principe que les courants sociaux viennent des gens, et un musicien fait aussi partie des gens, donc nous avons aussi ce droit de nous exprimer. Je ne pense pas que mon opinion est plus importante que celle de mon voisin parce moi, je suis sur une scène. Mais j’ai certes le droit de dire tout à fait honnêtement ce que je pense. C’est évident.

J’ai entendu dire que votre mère était assez à gauche.

Bart Peeters. Ma mère est une super-communiste, elle est d’ultragauche. Toute sa vie elle a fait partie des défenseurs de Kris Merckx, le fondateur de Médecine pour le Peuple. Ma mère est son plus grand fan.

Nous lui dirons.

Bart Peeters. Mais il le sait, vous savez. Quand je le croise, on en parle. Médecine pour le Peuple me tient donc particulièrement à cœur. Ce sont des héros dans le domaine des soins de santé. Ce que Kris Merckx a mis sur pied avec Médecine pour le peuple est fantastique. Lorsque je le lui dis, il me lance toujours : « Ah, tu tiens ça de ta mère ! » Donc, il le sait (rires).

Votre père était aussi très à gauche ?

Bart Peeters. Non. Mon père a voté pour Leo Tindemans (homme politique démocrate-chrétien, Premier ministre de 1974 à 1979, NdlR). Et c’est étrange : mes parents étaient un couple solide, qui discutait beaucoup. Mon père était conservateur, et ma mère, progressiste. Mais c’était un couple fantastique et des parents formidables.

Nous sommes en fait une sorte de médecins pour les gens qui ne sont même pas malades

En septembre, vous vous produirez à ManiFiesta, un festival avec des visiteurs venant non seulement de Flandre, mais aussi de Bruxelles et de Wallonie…

Bart Peeters. Heureusement ! Parce que ce n’est pas une chose sur laquelle j’aime être étiqueté. Ce n’est pas parce que nous chantons en flamand que tout doit être « flamand, flamand, flamand ». Au contraire. Avec mon beau-frère français, j’ai traduit beaucoup de nos chansons en français, et nous avons ainsi pu jouer dans des grands festivals en France et au Maroc. Et ça a marché, en plus…

Donc, s’il y a beaucoup de francophones dans le public à ManiFiesta, on pourra aussi éventuellement chanter quelques morceaux en français (rires). Je trouverais cela très chouette, parce que nous n’avons jamais fait cela dans notre propre pays.

A Nantes, nous avons fait la clôture d’un grand festival et, au moment de terminer notre concert, l’organisateur est venu nous dire « Continuez ! ». Je lui ai répondu qu’on avait déjà chanté toutes nos chansons traduites en français. Mais bon, on a encore joué une petite heure en flamand, tout ça à Nantes. Et ça a très bien marché.

D’ailleurs, Goran Bregovic vient aussi à ManiFiesta, et je suppose que ses chansons sont écrites dans une des langues des Balkans. Tout le monde ne peut donc pas comprendre les paroles, ce qui n’empêche pas qu’il y aura sûrement une ambiance d’enfer.

Y a-t-il des concerts d’artistes à l’affiche de ManiFiesta auxquels vous aimeriez vous-même assister ?

Bart Peeters. Nous écoutons toujours avec beaucoup de plaisir les artistes qui jouent avant et après nous. Je vois que Jan De Smet est à l’affiche avec un hommage à Pete Seeger. Pete Seeger était, et encore plus que Bob Dylan, la figure de proue de la chanson contestataire. Je suis sûr que Jan De Smet va faire des choses fantastiques avec ce répertoire. Il se trouve que je le connais aussi très bien, il n’habite pas loin de chez moi. Je suis très heureux qu’il soit aussi présent.

Et puis il y a Slongs Dievanongs. C’est incroyable, la manière qu’elle a de traduire ce son Lauryn Hill/soul/reggae en anversois. Je peux aussi imaginer qu’un francophone qui entend Slongs Dievanongs puisse se dire : « Je ne comprends pas très bien, mais ça, ça décoiffe ! »

Quand à Goran Bregovic, nous avons déjà joué ensemble au vélodrome du Kuipje, à Gand. C’est de la top-musique !

Quand j’ai demandé à Rik Vermeersch, directeur de ManiFiesta, pourquoi il voulait depuis si longtemps mettre Bart Peeters à son programme, il a répondu : « Sa musique est optimiste, elle parle de la vraie vie et dans une langue que les gens comprennent. » Il vous a qualifié d’artiste idéal pour ManiFiesta.

Bart Peeters. Eh bien, je suis très honoré. Nous nous réjouissons à l’idée de venir jouer et d’offrir une belle soirée aux gens. Y a-t-il plus beau métier ? On peut certes dire que les médecins sauvent des vies, ce qui est à un niveau encore bien supérieur. Mais leur travail, c’est de soigner des gens malades. Dans notre cas, il s’agit de personnes de bonne humeur – puisqu’elles viennent à un festival. Et nous pouvons les rendre encore de meilleure humeur ! C’est vraiment un job merveilleux. Nous sommes en fait une sorte de médecin pour des gens qui ne sont même pas malades…

Bart Peeters joue le samedi 19 septembre à 18h30 sur la Main Stage de ManiFiesta

Article publié dans le mensuel Solidaire de septembre 2015. Abonnement.