Ben Van Duppen : « Les robots ne nous remplaceront jamais, quoi qu’en disent les patrons »

ChatGPT et l’intelligence artificielle (IA) sont au centre de toutes les attentions. Qu’en penser ? Nous avons posé la question à Ben Van Duppen, échevin PTB à Borgerhout (Anvers), physicien et expert en technologie numérique au PTB.

I l est 22 h 30. Ben Van Duppen doit encore envoyer quelques mails. Mais ils doivent être écrits en français. Or, Ben est néerlandophone. Qu’à cela ne tienne : il demande à ChatGPT de les rédiger dans la langue de Voltaire. En un instant, le système lui génère un mail qui semble parfait.

Le neveu de Ben adore lire une histoire avant de s’endormir. « Hé, ChatGPT, tu peux écrire une histoire sur mon chat noir qui part à l’aventure en ville ? » Il reçoit une jolie petite histoire en un clin d’œil. « C’est génial, pas vrai ? »

Allons-nous voir arriver des robots qui réfléchissent de manière autonome ?

Ben Van Duppen. Non. Il faut vraiment se sortir de la tête que l’on construit des programmes informatiques dotés d’une conscience et capables de penser par euxmêmes. Un chatbot (ou agent conversationnel, NdlR) comme ChatGPT est très fort pour analyser d’énormes quantités de textes, mais il ne peut le faire que parce que ces textes ont été écrits par des humains. C’est une nouvelle technologie impressionnante, mais elle reste incapable de remplacer l’humain.

ChatGPT est une intelligence artificielle, qu’on appelle aussi IA. De quoi s’agit-il exactement ?

Ben Van Duppen. L’IA est un peu un terme à la mode, dont le contenu change en fonction des nouvelles technologies qui sont développées. En réalité, il n’y a rien d’artificiel ou d’intelligent là-dedans. C’est juste la manière de traiter les données qui est nouvelle et sophistiquée. Une machine telle que ChatGPT est alimentée par d’énormes quantités de texte. Elle est capable de reconnaître des modèles et d’établir des liens dans toutes ces données, de manière à pouvoir identifier votre question et formuler une réponse. Un moteur de recherche tel que Google fait la même chose. ChatGPT va plus loin en formulant la réponse sous forme de texte « humain », en calculant quel mot est le plus susceptible de suivre le précédent.

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Dans quelle mesure ces réponses sont-elles fiables ?

Ben Van Duppen. ChatGPT répond de manière convaincante à vos questions, mais ces réponses ne sont pas nécessairement correctes. Il faut donc que les gens continuent à penser par euxmêmes, sans perdre de vue la raison pour laquelle ils utilisent ce système. Par exemple, certaines personnes trouvent que Wikipédia ne devrait pas être considérée comme une source d’informations. Rien n’empêche de s’en servir, bien sûr, mais cela dépend pourquoi. Si vous l’utilisez comme source d’informations sur des sujets polarisants, il vaut mieux faire attention. Si vous cherchez des explications au sujet d’un théorème mathématique, par exemple, c’est moins risqué.

Il en va de même pour ChatGPT. Il ne faut pas croire aveuglément les informations que fournit le système. Il y a des limites, le chatbot fait des choix, peut omettre certaines informations ou même inventer des choses qui ne correspondent pas à la réalité. Aujourd’hui, la question de l’utilisation de ce type de système fait débat dans les écoles et les universités. Je pense qu’il est préférable d’apprendre aux élèves comment les utiliser au lieu de les interdire.

L’intelligence artificielle va-t-elle entraîner des pertes d’emplois massives ?

Ben Van Duppen. Je me souviens encore de l’arrivée du moteur de recherche AltaVista, au milieu des années 1990. C’était une révolution. Aujourd’hui, on ne peut plus imaginer se passer des moteurs de recherche. Ils n’ont toutefois pas entraîné la disparition des bibliothèques ni de la recherche.

Ces systèmes sont susceptibles d’apporter du changement. Ainsi, les machines qui effectuent certaines tâches à notre place doivent être correctement entretenues. Les tâches de maintenance sont donc amenées à se multiplier et à prendre plus d’importance. Mais il faut faire attention. Les nouvelles technologies fournissent également aux capitalistes de nouveaux outils pour nous exploiter différemment.

Que voulez-vous dire ?

Ben Van Duppen. La société qui édite ChatGPT voulait éviter que le programme ne diffuse des informations indésirables : récits d’horreur, discours de haine, menaces... Cela ne peut se faire que si des personnes analysent et nettoient les textes. Pendant quelques années, ils ont fait traiter d’énormes quantités de textes douteux à des travailleurs kényans largement sous-payés, afin d’entraîner le programme informatique à ne pas les reproduire. La technologie peut également être utilisée pour faire croire que l’humain n’est plus nécessaire. Ou pour exercer du chantage, du type : « Ne demandez pas une trop grosse augmentation de salaire, sinon, on fera appel aux robots ». Et, bien sûr, pour remplacer les gens par une maind’œuvre moins chère. Les tâches de maintenance sont en effet moins bien rémunérées.

Nous devons prendre conscience que la classe dirigeante a politiquement intérêt à faire apparaître l’IA comme insaisissable et effrayante. Comme quelque chose qui pourrait être utilisé pour faire pression sur nos droits sociaux. C’est un mythe que nous devons déconstruire. Et si l’IA nous permet de produire plus avec moins de main-d’œuvre, nous devrons revendiquer une part de ce progrès.

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L’IA est-elle démocratique si la technologie est entre les mains de grandes multinationales ?

Ben Van Duppen. Aujourd’hui, tout ce qui se trouve sur Internet est entre les mains d’une poignée de géants de la technologie. Les serveurs informatiques sur lesquels tournent la totalité des sites web sont la propriété de trois entreprises seulement : Amazon, Google et Microsoft. Les progrès sont entre les mains de celui qui possède le plus d’argent et de puissance informatique. Seuls des géants de ce secteur sont capables de fournir la puissance de calcul nécessaire à des chatbots tels que ChatGPT. Microsoft utilise ChatGPT pour attaquer le robot de recherche de Google. Et Google réagit avec sa propre IA, « Bard ». C’est un combat entre géants, mais, au final, c’est tout de même un mastodonte qui gagne et peut alors tout dominer. Que pouvons-nous faire ? Dans le livre Fais le switch (www.faisleswitch.be), nous expliquons ce qui pourrait constituer une première étape. Internet est basé sur de l’infrastructure : les câbles dans la rue, les serveurs... Selon le PTB, cette infrastructure devrait être publique. Nous pourrons ensuite construire des plateformes alternatives sur cette base, afin de proposer une alternative à ces mastodontes.

Quels sont les avantages de cette technologie ?

Ben Van Duppen. Il s’agit notamment d’un excellent outil de traduction, dont les résultats sont nettement supérieurs à ceux de Google Translate, par exemple. Il y a beaucoup d’avenir dans ce domaine. Cela nous permettra de communiquer de manière beaucoup plus efficace entre nous au niveau international.

Nous assistons également à la transition numérique au niveau des autorités. À Anvers, les guichets ont été fermés et remplacés par une borne. Cela augmente la distance entre la population et l’accès aux services. Pourquoi ne pas utiliser un tel chatbot pour aider le personnel au guichet, afin qu’il perde moins de temps à tenter de s’y retrouver dans les structures administratives complexes de la ville et ait plus de temps pour aider les gens ? On y gagnerait en termes d’efficacité, mais aussi de qualité de service. En résumé, il s’agit de savoir comment on va utiliser cette technologie. Va-t-on l’utiliser pour faire des économies, licencier des gens et faire plus de profits, ou pour aiderles gens à avancer de manière positive ? Pour travailler moins et avoir plus de temps à consacrer à d’autres choses, par exemple. Ce sera l’enjeu des luttes sociales. Nous ne devons pas craindre les robots, il faudra toujours de la main-d’œuvre. Les humains ne seront jamais complètement remplacés. La classe travailleuse sera toujours essentielle.