BM&S a voulu « tromper la Justice » qui donne raison… aux grévistes

BM&S, cette entreprise de nettoyage dont les ouvriers sont en grève depuis le 21 août, a « tenté de tromper le président du Tribunal de Première Instance de Bruxelles » et « a essayé d’introduire des briseurs de grève ». Un jugement tranchant dans un conflit social devenu un dossier-symbole pour défendre le droit de grève et l’action syndicale.

La décision intervenue ce lundi 8 septembre a été accueillie avec joie et soulagement par les travailleurs de BM&S. Ils ont même dansé à l’entrée des ateliers SNCB de la Gare de Schaerbeek. Après trois semaines de grève, ils ont enfin obtenu une première victoire.

L’origine de la grève

Les travailleurs de BM&S nettoient les trains sur le chantier de la SNCB à Schaerbeek. Il s’agit d’un chantier accordé par la SNCB à l’entreprise qui a fait la meilleure offre. En avril dernier, BM&S a gagné le marché de nettoyage des trains sur le site de la Gare de Schaerbeek « en rabotant le prix de près de 40 % par rapport à ce qui était facturé par son prédécesseur ». Un prix qui a surpris nombre d’observateurs. Les ouvriers, eux, l’ont directement senti : compression des coûts, pression au travail, va-et-vient constant de nouveaux intérimaires et d’étudiants, non-reconnaissance des délégués syndicaux… A plusieurs reprises, le syndicat a dû rappeler à la direction : « Vous devez respecter les délégués. » Quelques mois plus tard, BM&S licenciait deux délégués syndicaux et suspendait les contrats de trois intérimaires de longue durée.

Retour au 19ème siècle

« On se croirait revenu au 19ème siècle » nous confiait Dominique Fervaille, Secrétaire régionale FGTB pour le secteur du nettoyage, à propos du conflit. Effectivement, dans ce conflit, c’est toute la protection sociale construite le siècle dernier qui est remise en question :

1° BM&S qui refuse toujours de reconnaître les délégués syndicaux, les licencie en inventant des « délits graves et de sabotage du travail ». Devant la pression syndicale lui demandant d’apporter des preuves, l’entreprise avoue : elle n’en a aucune.

2° Lorsque les travailleurs débutent la grève fin août, BM&S décide d’appeler des intérimaires afin de remplacer les grévistes. Ce qui est illégal. Il est en effet interdit de recourir au travail intérimaire lors d’une grève.

3° Pour contourner cette contrainte légale, BM&S aurait par la suite donné à ces travailleurs un contrat de durée déterminée. L’employeur est venu avec un huissier de justice afin de faire pression sur les grévistes.

4° BM&S fait aussi appel à la justice et obtient le 27 août un jugement en référé imposant une astreinte de 500 euros par personne et par jour si les travailleurs ne lèvent pas le piquet de grève. Dans cette décision obtenue sur base des seules allégations de BM&S, les grévistes sont accusés de « violences » et de « tentatives d’intimidation ».

5° Cette première décision de justice ne suffira cependant pas à BM&S. L’employeur introduit une seconde requête au Tribunal de Première Instance et obtient la condamnation de… la Ville de Bruxelles et de la commune de Schaerbeek. Ce jugement inédit inflige une astreinte de 10 000 euros si les communes font obstacle à ce que la police déloge les grévistes.

Un conflit devenu « symptomatique »

On le sait : le droit de grève est sous pression. La FEB, la Fédération des entreprises de Belgique, a tout récemment publié une carte-blanche dans La Libre Belgique appelant à un « débat démocratique, sans tabous ni contre-vérités sur le service minimum ». Tout fait d’actualité est utilisé pour relancer le débat et même l’étendre. L'UGBN, l’Union générale belge du nettoyage, qui rassemble les patrons du secteur, a donc envoyé elle aussi un communiqué condamnant la grève des travailleurs de BM&S. L’UGBN a utilisé le conflit pour appeler explicitement le monde politique à s’attaquer au droit de grève des travailleurs : « Cette situation (…) est symptomatique pour de nombreuses entreprises. Elle démontre encore une fois que la politique doit intervenir d’urgence pour fixer des règles impératives concernant l'exercice du droit de grève et la conduite d'actions sociales, comme cela existe d'ailleurs déjà depuis des années dans tous nos pays voisins ». « Ces mesures ne doivent pas uniquement valoir pour le secteur public, mais également pour le secteur privé », rajoute le communiqué. La référence aux discussions sur le service minimum envisagé par le futur gouvernement de droite dans certains services publics comme les prisons ou la SNCB est explicite. Cela « démontre que l’introduction du service minimum à la SNCB ouvrira la porte à une remise en question du droit de grève dans tous les secteurs », note la CGSP Cheminots, qui ajoute que « cela donnera les mains libres au patronat et aux hommes politiques ultra libéraux, pour s’attaquer à nos emplois, nos pensions, notre sécurité sociale et notre pouvoir d’achat ».

Un débat « sans contre-vérités » ?

Le jugement en référé du 8 septembre a donc annulé sa décision du 27 août. Le Tribunal soulève que BM&S a voulu faire appel à des intérimaires afin de casser la grève et qu’en agissant de la sorte, l’entreprise a enfreint la loi étant donné l’interdiction de recourir au travail intérimaire lors d’une grève. A ce propos, la décision précise : « Cette pratique démontre que BM&S a non seulement essayé d’amener des briseurs de grève mais que l’entreprise a aussi tenté de tromper l’huissier opérant ainsi que le président du tribunal sur les véritables enjeux liés aux prétendues voies de fait. » Le jugement conclut donc qu’il « n’est pas démontré que les participants au piquet de grève aient dépassé les limites de leur droit constitutionnel à l’association et à la libre expression. » La Centrale Générale de la FGTB s’est félicitée de ce jugement qui « rappelle que l’action syndicale est un droit fondamental qui ne peut pas être bafoué, certainement pas via des requêtes unilatérales, des jugements en référé qui ne laissent pas de place à la défense et encore moins via des huissiers et des astreintes. »

Ce jugement est aussi un beau pied-de-nez à tous ceux qui voulaient instrumentaliser le conflit de BM&S pour exiger que le politique s’attaque au droit de grève et imposer un débat « sans tabous ni contre-vérités sur le service minimum ». En matière de contre-vérités, il n’y a pas meilleur exemple que BM&S qui voulait tromper le juge sur ses véritables enjeux. Nous voilà avertis.

Les Cheminots solidaires des nettoyeurs

Depuis le début du mouvement, la CGSP-cheminots de Bruxelles est solidaire avec les travailleurs en grève de BM&S et demande la réintégration immédiate des délégués et des intérimaires, avec de vrais contrats. « Nous sommes  présents aux piquets, afin de montrer que les cheminots sont solidaires des travailleurs qui nettoient jour après jour les trains dans un atelier SNCB, et ce avec des contrats précaires. Tant pour le nettoyage ou les petits entretiens techniques à l’atelier de Forest, que pour le nettoyage des espaces publics des gares, nous avons toujours rejeté le recours à la sous-traitance, parce que la pratique nous démontre qu’elle mène souvent au dumping social, voire la fraude sociale. Nous défendons et nous demandons l’engagement de personnel sous statut SNCB pour effectuer ces travaux », soulignent les permanents du secteur.