Cachemire : l’Inde et le Pakistan sur le pied de guerre

Ce lundi 5 août, le Parlement indien a voté la révocation de l’autonomie de l’État du Jammu-et-Cachemire (la partie indienne de la région du Cachemire), au nord de l’Inde. Cet État est depuis sous le contrôle direct et autoritaire du gouvernement indien, dirigé par le parti nationaliste hindou BJP. Avec un nationalisme renforcé en Inde et au Pakistan et des islamistes fondamentalistes au Cachemire, la situation risque de dégénérer en un conflit local et international.

L’actuel conflit du Cachemire remonte à 1947, lorsqu’après la longue lutte des mouvements de libération dans les Indes britanniques, l’Inde et le Pakistan (devenu les actuels Pakistan et Bangladesh) accèdent à l’indépendance. Au Cachemire, dont le roi avait un accord avec les Britanniques pour ne pas être directement sous le contrôle direct de ceux-ci, certaines forces ont alors voulu un Cachemire indépendant, d’autres voulaient faire partie de la république indienne, d’autres encore voulaient le rattachement au Pakistan.

En 1975, un conflit entre l’Inde et le Pakistan a résulté sur la situation actuelle : la plus grande partie du Cachemire est dirigée par l’Inde, le reste par le Pakistan et par la Chine. La région est depuis continuellement ravagée par des conflits frontaliers et des opérations menées par l’un ou l’autre pays qui tous deux revendiquent le Cachemire. Pour l’Inde et pour le Pakistan, la région est une source d’eau indispensable. Tant l’agriculture indienne que pakistanaise dépendent en effet des rivières du Cachemire pour leur approvisionnement en eau. Par ailleurs, les forces conservatrices des deux pays revendiquent le Cachemire. Les islamistes pakistanais veulent annexer la région afin que les musulmans du Pendjab soient réunis au sein d’un seul pays, les nationalistes hindous de l’Inde veulent annexer Cachemire, région où se situent les lieux d’importants pèlerinages hindouistes.

Nouvelles escalades en 2019

En février 2019, l’organisation terroriste islamiste Jaish-e-Mohammed a commis un attentat-suicide au Cachemire qui a tué quarante policiers indiens. Cet attentat a été condamné tant par l’Inde que par le Pakistan, mais le Premier ministre indien Modi a accusé le Pakistan d’être responsable de celui-ci. Jaish-e-Mohammed est considéré par les observateurs comme un groupe terroriste qui a été directement crée et est soutenu par l’ISI, les services secrets pakistanais, dans le but d’arracher le Cachemire à l’Inde. L’Inde a aussi mené quelques actions contre des soldats pakistanais à la frontière en représailles.

Le  Bharatiya Janata Party (BJP), le parti de droite nationaliste hindou du Premier ministre Narendra Modi, a largement utilisé cette l’attaque dans sa campagne pour attiser encore la division entre musulmans et hindous (lire plus ici). L’attaque est d’ailleurs considérée comme une des causes de la victoire du BJP lors des élections nationales en mai. Ce parti a obtenu une majorité absolue, ce qui fait que les nationalistes hindous sont plus forts que jamais. Ceux-ci mettent désormais leur important poids politique en œuvre pour annexer unilatéralement les États autonomes. La veille de la suppression du statut autonome de l’État du Jammu-et-Cachemire, Modi avait déjà envoyé des milliers de soldats dans la région, le gouvernement indien décrétait un couvre-feu, les lignes téléphoniques étaient coupées et les dirigeants politiques de tous les partis dans la région, à l’exception du BJP, ont été arrêtés. Le Pakistan a réagi à la manœuvre de l’Inde en rompant quasiment toutes les relations diplomatiques avec ce pays.

Pour les habitants du Cachemire, cette situation n’est rien moins qu’une occupation. Les familles qui sont ailleurs en Inde n’ont reçu aucunes nouvelles en raison du black-out total. Personne d’extérieur au Cachemire ne peut encore entrer dans la région. Les marchandises ne pouvant plus être acheminées au Cachemire, c’est l’armée qui a entamé la distribution des denrées alimentaires. Le peu que l’on sait de ce qui se passe dans la région provient de journalistes « undercover » de médias locaux qui doivent faire leur travail dans l’anonymat. Cette situation rappelle l’occupation de la Palestine par Israël. En supprimant le statut spécial de la région, l’Inde fait en sorte que les Indiens peuvent acheter sans problème des terres au Cachemire, ce qui ne fera que renforcer la mainmise de l’Inde sur ce territoire.

L’opposition indienne se fait entendre

La communauté internationale suit de très près la situation au Cachemire. Un conflit entre l’Inde et le Pakistan pourrait déclencher un conflit encore plus important, puisque la Chine dirige elle aussi une partie du Cachemire. La Chine et le Pakistan sont de vieux alliés, mais la Chine veut entretenir de bonnes relations tant avec le Pakistan qu’avec l’Inde afin de pouvoir former un rempart contre les États-Unis qui, depuis l’entrée en fonctions du président Trump, exercent une pression de plus en plus forte sur la Chine. Les États-Unis ont déjà proposé leur médiation dans ce conflit, ce que l’Inde refuse, affirmant que la discussion sur le Cachemire est une affaire interne. Pour le BJP, toute autre déclaration saperait la revendication de l’Inde sur le Cachemire. L’absence de médiation internationale empêche ainsi de rechercher une solution aux tensions entre l’Inde et le Pakistan.

Le BJP ne peut heureusement pas faire tout ce qu’il veut. En dépit de sa majorité au Parlement indien, il y a beaucoup de résistance en Inde pour essayer d’empêcher l’annexion unilatérale du Cachemire. Les partis de l’establishment ne voient aucun problème à l’annexion du Cachemire, mais les différentes coalitions de partis de gauche et communistes des États indiens sont descendues dans la rue les 5 et 7 août pour exiger l’annulation de la décision du Parlement et la libération de tous les prisonniers politiques. Entre-temps, les deux présidents des deux plus grands partis communistes, Sitaram Yechury (CPI(M)) et Doraisamy Raja (CPI), ont été arrêtés le 9 août alors qu’ils se préparaient à aller rendre visite à un camarade malade dans la région.

La gauche indienne voit dans l’annexion unilatérale du Cachemire un avant-goût de ce que va devenir l’Inde sous le BJP, un pays où seuls les plus forts et les hindous seront considérés comme des citoyens à part entière, et les autres traités comme des citoyens de second rang, chassés ou même tués. Ils ne se sont pas laissé déstabiliser par la victoire du BJP, et ils savent qu’exercer la pression d’en bas sur Modi représente la seule solution pour sortir de l’impasse et éviter provisoirement la guerre avec le Pakistan.