Caroline Vrijens : « Rendre nos villes vraiment accueillantes pour les plus jeunes, c’est urgent. »

Pour la Commissaire flamande aux droits de l'enfant, quelque chose ne tourne pas rond : enfants et jeunes ont été les grands oubliés pendant la crise du coronavirus. En collaboration avec les organismes spécialisés dans les droits de l’enfant, elle a lancé une enquête à grande échelle.

En une semaine, vous avez reçu plus de 44 000 réponses. Plutôt le signe que les gens avaient besoin d'être entendus, non ?

Caroline Vrijens. « Enfin, on en parle ». C'est une réaction que j'ai beaucoup entendue. La crise a eu un impact énorme sur les enfants et les jeunes. Ne plus aller à l'école, ne plus pouvoir voir ses amis, devoir rester à la maison, ne plus avoir de loisirs, ne pratiquement pas pouvoir sortir... Ce sont des atteintes graves aux droits des enfants et des jeunes, surtout les plus fragilisés. C’est d’autant plus difficile quand il n’y a pas de jardin à la maison, quand on est pauvre ou victime de violence, ou encore quand on vit dans une structure d’aide.

A-t-on sous-estimé l'impact des mesures sur les enfants et les jeunes ?

Caroline Vrijens. Beaucoup de gens nous ont contactés pour nous dire : « Mon enfant ne peut plus jouer avec ses copains depuis deux mois, c'est terrible ». Jouer est essentiel pour les enfants. Certains n'ont pas de chambre à eux et n’ont que la plaine de jeux du quartier. Les priver de ça, c’est traumatisant pour eux. Au début de la crise, on n’en a pas suffisamment tenu compte.

On a tendance à penser que nos enfants vivent dans un monde virtuel. Or, l'enquête montre qu'ils préfèrent les contacts humains dans la vraie vie.

Caroline Vrijens. L’ennui, la solitude, la colère ressentis pendant le confinement... Aucun contact virtuel ne peut remédier à ça. D’un autre côté, ça fait plaisir de voir que les enfants et les jeunes préfèrent les rencontres physiques. On a aussi constaté que les réseaux sociaux avaient été bénéfiques. Par exemple, l’enseignante de ma fille de dix ans avait organisé un contact vidéo juste pour discuter, pas pour donner cours. J'ai trouvé ça bien qu'elle s'intéresse à ce que faisaient les enfants le week-end et à comment ils allaient.

On a aussi vu que certains enfants et adolescents se sentaient beaucoup mieux pendant le confinement.

Caroline Vrijens. On met trop de pression sur nos enfants et nos jeunes. Pendant le confinement, on s’est rendu compte à quel point nos vies étaient surchargées. Beaucoup d’activités ont été annulées, ce qui nous a aussi permis de nous reposer. C’est ce que disent un tiers des jeunes. Je pense que c'est une leçon importante à retenir. Alléger un peu notre emploi du temps pourrait nous faire du bien. Par ailleurs, des enfants ont dit qu’ils se sentaient mieux pendant le confinement parce qu’ils n’étaient plus harcelés par les autres. Ça pose vraiment question. Ça veut dire que c’est quelque chose qui se produit avant tout là où les enfants se rencontrent physiquement. On doit en tenir compte si on veut lutter contre ce phénomène.

Le confinement semble avoir particulièrement affecté les enfants et les jeunes fragilisés. Ce n’est pas une surprise...

Caroline Vrijens. Dès le début, on a eu une pensée pour tous ces enfants qui vivent une situation familiale difficile. L'école est leur seule échappatoire... On a aussi pensé à ces parents qui ne peuvent pas faire face parce qu'ils ont eux-mêmes trop de problèmes. On était vraiment inquiets. On a tout de suite fait remonter ça vers les ministres compétents, en expliquant tous les témoignages qu’on recevait. Les problèmes rencontrés dans les centres pour réfugiés, dans l'enseignement, et dans l'aide à la jeunesse, notamment.

"Les enfants ne sont pas juste des extensions des adultes. Ce sont des individus à part entières qui ont leurs propres besoins."

Pour vous, quels sont les points à retenir concernant les enfants et les jeunes fragilisés ?

Caroline Vrijens. D’abord, un jeune sur dix a déclaré avoir subi des violences, physiques ou verbales, pendant le confinement. C'est pour ça qu’on doit impérativement maintenir le lien et mettre vraiment l’accent sur les moyens de communication à portée des jeunes pour qu’ils puissent trouver de l'aide. Ensuite, à Anvers, entre un et trois élèves de primaires sur cinq n’a pas pu accéder aux cours en ligne. Quand les cours vont reprendre en septembre, il va y avoir un énorme travail de rattrapage à faire. Ça ne va pas se faire en un claquement de doigts. Pour certains enfants, le retard accumulé va avoir des conséquences. On doit y faire attention pendant la reprise. Enfin, l'espace public est très important pour nos jeunes, surtout les plus fragilisés. Rendre nos villes vraiment accueillantes pour eux, c’est urgent.

Beaucoup de gens voient cette crise comme une opportunité de rompre avec ce qui se faisait avant. Vous êtes d’accord avec ça ?

Caroline Vrijens. Bien sûr. Au niveau du Commissariat aux droits de l'enfant, on met le focus sur les enfants et les jeunes vulnérables. Parce qu’ils risquent d’être plus impactés par la crise, à long terme. J'espère que nos politiques comprennent aujourd’hui qu’il y a des injustices, et que certaines choses doivent changer. Chaque enfant doit pouvoir vivre dans un logement de qualité et pouvoir apprendre. La lutte contre la pauvreté infantile doit être renforcée.

Parmi les réactions que vous avez reçues, lesquelles vous ont particulièrement touchée ?

Caroline Vrijens. « Merci d'avoir organisé ça, ça m'a vraiment aidé » J’ai trouvé ça fort. C'est génial qu’on ait pu permettre aux enfants et aux jeunes de s’exprimer. Une fille a dit aussi : « Il devrait y avoir un conseil national de sécurité pour les enfants. Parce qu’aujourd’hui, toutes les règles sont faites pour les adultes. ». Les enfants ne sont pas juste des extensions des adultes. Ce sont des individus à part entières qui ont leurs propres besoins. On doit en tenir compte.