Ce que signifie le « service garanti » en cas de grèves dans les services publics

Le gouvernement a prévu dans son programme l’instauration d’un « service garanti » en cas de grèves à la SNCB, dans les prisons et à Belgocontrol. Pour le bien des usagers. Vraiment ? Syndicats, juristes et usagers se posent la question.

Une des raisons avancées par le gouvernement pour justifier sa mesure est que les voyageurs sont mécontents des retards à répétition. Mais le rapport de ponctualité d’Infrabel de 2013 ne mentionne pas les grèves comme une cause importante de retards. (Photo Solidaire, Antonio Gomez Garcia)

Prenons le cas de la SNCB. Que faudrait-il exactement garantir ? Un train sur deux ? Celui de Paul qui se rend à son travail est-il plus important que celui de Jessica qui rend visite à sa sœur hospitalisée ? Garantir la moitié des wagons ? Priorité aux abonnés première classe ? Faire rouler les lignes directes vers Bruxelles et pas les autres ? Supprimer les trains entre 9h et 16h ? Rouler selon l'horaire du dimanche ? Vous imaginez le chaos sur les quais ? C'est déjà du sport en temps « normal » de monter dans certains trains et d'y trouver une place assise. Il suffit de regarder la pagaille que la suppression d’un seul train occasionne en heure de pointe pour comprendre que, si la moitié des trains ne circulent pas à ces heures, la sécurité des voyageurs et du personnel d’accompagnement serait mise en péril. Ce serait la même chose pour les bus, trams et métros.

À Québec où cette mesure existe déjà, certains partis réclament toujours plus de moyens de transport. Ils demandent que 80 % des transports soient opérationnels, le service minimum mis en place n’étant jamais suffisant.

Ceux qui parlent de continuité du service en cas de grève vont supprimer demain le service pour certains utilisateurs

Pour faire circuler des trains, il ne faut pas uniquement un train et un conducteur et un accompagnateur de train mais aussi toute une série de travailleurs dans les cabines de signalisation, dans les ateliers et dans les gares. Si, par exemple on organise un service « de dimanche » les jours de grève, cela impliquerait que plus de la moitié des cheminots devraient être réquisitionnés. Les autorités devraient faire intervenir des huissiers, policiers, etc pour obliger les cheminots à prendre leur service. Verra-t-on alors un policier à côté de chaque conducteur ou contrôleur réquisitionné ?

Ce ne sont pas les grèves qui causent le plus de retards

Une des raisons avancées par le gouvernement pour justifier sa mesure est que les voyageurs sont mécontents des retards à répétition. Mais le rapport de ponctualité d’Infrabel de 2013 ne mentionne pas les grèves comme une cause importante de retards. En revanche, sont mentionnées comme causes importantes : le matériel SNCB, des dérangements à l’infrastructure, des retards en provenance des réseaux étrangers, les conditions climatiques, des heurts de personne, des personnes circulant sur les voies... En 2007, en France, sur 6000 incidents ayant mené à des annulations ou retards de train à peine 2 % résultaient de mouvements sociaux.

Le gouvernement va de toute façon diminuer le service au public

Les mesures gouvernementales vont diminuer l'offre de service de la SNCB, faire augmenter les tarifs, diminuer la sécurité. Ceux qui se profilent aujourd’hui comme les défenseurs des voyageurs en proposant un service garanti feront en sorte que, demain, les voyageurs n’auront plus qu’un service diminué pendant 365 jours par an. Ceux qui parlent de continuité du service en cas de grève vont supprimer demain le service pour certains utilisateurs en supprimant leur train sous prétexte qu’il n’est pas assez fréquenté. Qui prend qui en otage, finalement ?

L'attaque a pour but de casser la résistance contre le démantèlement de la SNCB, d’affaiblir l’un des acteurs principaux du mouvement social et d’attaquer globalement le droit de grève

Même chose dans les prisons : le personnel et les détenus doivent faire face à des conditions dégradées qui sont régulièrement dénoncées par les gardiens et les défenseurs des Droits de l’homme. Des bâtiments insalubres, une surpopulation galopante, l’absence d'encadrement adéquat qui empêche une réintégration des détenus et entraine un taux de récidives élevé… Les enjeux sont nombreux et leur résolution urgente.

À Belgocontrol, la menace plane d’une libéralisation de pans entiers de la navigation aérienne. En effet, le projet de « ciel unique » européen vise à instaurer un recours au marché privé dans de nombreux services annexes au contrôle aérien, malgré les risques prévisibles pour la sécurité, dénoncés par les syndicats européens.

La grève, dans ces services publics, comme ailleurs, est bien sûr une réaction à ces problèmes structurels de la part des travailleurs, qui revendiquent un service public de meilleure qualité. Les travailleurs de la STIB ou de la SNCB ne font pas grève parce qu’ils ne veulent pas travailler, ils font grève car il leur devient tout bonnement impossible de rendre un service correct et de garantir la sécurité au vu des diminutions budgétaires qui leur sont imposées.

Le gouvernement ne peut continuellement imposer des conditions de travail de plus en plus pénibles aux travailleurs et un service dégradé aux usagers, il est temps de s'attaquer aux vrais enjeux et d’investir massivement pour des services de qualité. De meilleures conditions de travail feront d’ailleurs drastiquement diminuer le nombre de grèves.

La SNCB, et puis ?

D'abord, on s'attaque aux grèves « sauvages » (sans préavis), puis aux grèves tout court. Descheemaecker (N-VA), ancien administrateur-délégué de la SNCB, parle ainsi de la limitation des grèves en général (aussi celles annoncées à l’avance) en introduisant par exemple une procédure comme en France. Là, les grévistes doivent s’annoncer à l’avance et un service des trains est organisé avec le personnel non-gréviste. Et si le personnel non gréviste n'est que de 5 % du personnel ? Et si, par exemple, aucun conducteur de train n'est non gréviste ?

Historiquement, ce sont bien souvent les services publics, et en particulier les cheminots, qui ont été parmi les locomotives du mouvement de contestation. L'attaque a dès lors pour but de casser la résistance contre le démantèlement de la SNCB, d’affaiblir l’un des acteurs principaux du mouvement social et d’introduire la notion de service garanti pour attaquer globalement le droit de grève. Cette mesure fait donc logiquement partie d'une idéologie qui détricote peu à peu l'ensemble des acquis et droits sociaux, ainsi que les services publics.

La grève reste aujourd’hui l’ultime moyen de pression dont disposent les syndicats pour faire entendre la voix des travailleurs

Demain, le gouvernement s’attaquera sans doute à d’autres secteurs. Même dans le privé. Pourquoi pas, en effet, un service minimum dans les banques « pour garantir à chacun l'accès à son argent » ? Ou sur les chaînes de montage automobile « pour que la voiture arrive à temps chez le client » ? Ou dans les grands magasins ? En octobre 2010, Sarkozy a par exemple réquisitionné les travailleurs des raffineries de pétrole pour pouvoir garantir l'approvisionnement des pompes à essence « afin de garantir la possibilité pour tous de se rendre au travail ». La logique qui oppose le droit de grève au droit individuel de l'usager ou du client est une vision dangereuse qui participe à l’individualisation de la société et détruit la solidarité.

L’introduction du service minimum sert donc à affaiblir le mouvement syndical en général et à s’attaquer à nos droits démocratiques et sociaux.

En Angleterre, Margaret Thatcher a débuté sa politique de destruction des acquis sociaux et de privatisations en s’attaquant à la force des syndicats et au droit de grève, en interdisant des grèves de solidarité et en imposant des votes à bulletin secrets. Elle a aussi permis le blocage des comptes bancaires des syndicats, rendant impossible le financement des actions syndicales.

Si, comme à Québec, 80 % des travailleurs sont exclus du droit de grève, si on réquisitionne le personnel manu militari, si on fait payer des amendes aux grévistes, peut-on encore réellement parler de droit de grève ?

Une grève qui ne fait pas de vague, qui ne crée pas d’embarras, ce n’est pas une grève. Les syndicats en ont conscience, faire grève n’est jamais une décision prise à la légère. Mais, face à un gouvernement et à un patronat de moins en moins enclins à négocier, la grève reste aujourd’hui l’ultime moyen de pression dont disposent les syndicats pour faire entendre la voix des travailleurs. C’est grâce à elle que nous avons conquis les droits dont nous jouissons aujourd’hui : droit de vote, journée de 8 heures, semaine de 38 heures, congés payés, congé de maternité, conventions de salaire minimum, mais aussi le droit d'avoir accès à des services publics de qualité.

Une violation du droit international

Leila Lahssaini, avocate chez Progress Lawyers Network, a lu la déclaration gouvernementale avec attention. « On remarque l’utilisation du terme “service garanti” et non “service minimum”, terme qui était utilisé jusqu’alors. Ce changement de vocabulaire laisse sous-entendre que le service en question sera assuré aux usagers de façon large, ce qui est une grave entrave à l’exercice du droit de grève.

De plus, le principe de l’instauration d’un service garanti est imposé, ne laissant qu’une marge de négociation très étroite aux interlocuteurs sociaux. Concernant les prisons, le principe du service minimum ne sera même pas négocié, seules ses “modalités” seront fixées en concertation.

Concernant la SNCB et Belgocontrol, l’espace de négociation semble a priori plus large et on rappelle qu’il ne s’agit pas de remettre en cause le droit de grève (précision qui n’est pas inscrite pour le personnel des prisons, doit-on comprendre qu’il n’y a pas droit ?). Mais il est clair que ce soi-disant “dialogue social” a l’obligation d’aboutir rapidement, sinon le gouvernement imposera par la loi le service garanti. Il prétend donc favoriser le dialogue avec les acteurs de terrain, alors que, dans les faits, seuls les détails à la marge peuvent être abordés, avec la menace de passer en force si le résultat des négociations ne satisfait pas. Cela illustre parfaitement l’absence de confiance du gouvernement envers les représentants des travailleurs et la volonté d’imposer ses mesures en dehors du cadre de négociation collective. »

« Le droit de grève, poursuit l’avocate, est un droit fondamental reconnu et protégé par la convention n° 87 de l’Organisation internationale du Travail et dans la Charte sociale européenne, toutes deux signées par la Belgique. Notre Cour de Cassation a également reconnu son existence en tant que droit individuel. Il peut donc être exercé également en dehors de toute structure syndicale. Ce droit fondamental ne peut être limité qu’à de très rares exceptions et, dans les services non vitaux pour la société, sa limitation éventuelle doit être le fruit de la concertation. La volonté du gouvernement de passer en force sur ce sujet est donc une violation du droit international et d’un droit social fondamental.

L’exercice effectif du droit de grève est un élément indispensable d’une société démocratique. Il s’agit d’un outil essentiel dont disposent les travailleurs pour résister aux attaques et agir pour le changement social, entre autres face aux coupes dans les services publics opérées par les mesures d’austérité. »

Le « service garanti » dans le texte

Le gouvernement prévoit « un service garanti dans les prisons, le corps de sécurité et le centre national de surveillance électronique afin de sauvegarder les droits de base des détenus », tout en se bornant de préciser que « les modalités du service garanti seront déterminées en concertation avec les partenaires sociaux. »1

Concernant la SNCB, « le gouvernement demandera aux deux entreprises publiques ferroviaires de formuler, en concertation avec les partenaires sociaux, une proposition visant à prévoir un service garanti en cas de grèves. Si aucun accord n’a été trouvé dans un délai raisonnable, le gouvernement prendra lui-même une initiative législative.
La priorité est ainsi donnée au dialogue social et ces dispositions ne remettent aucunement en cause le droit de grève. »2

Enfin, en ce qui concerne Belgocontrol, « le gouvernement demandera à Belgocontrol de formuler, en concertation avec les partenaires sociaux, une proposition visant à prévoir un service garanti en cas de grèves ». Il est ici aussi ajouté que « la priorité est ainsi donnée au dialogue social et ces dispositions ne remettent aucunement en cause le droit de grève. »3

1. Chapitre 6.2.4 de l’accord du gouvernement fédéral. •  2. Chapitre 10.2.6. • 3. Chapitre 10.3.2.