Chypre : une solide opposition de gauche à la frontière de l’Europe et de l’Asie

A Chypre, un tiers de la population a voté pour les communistes. Un cas unique en Europe. Le parti communiste AKEL y travaille donc dans un cadre particulier. Coup d’œil sur une île d’où décollent les avions de chasse britanniques pour aller bombarder la Syrie…

A Chypre aussi, la Commission européenne impose sa volonté à la population. En mai 2013, l’île de la Méditerranée a ainsi été soumise à une politique d’austérité extrêmement dure en échange d’un soi-disant programme d’aide. Deux ans plus tard, 16% de la population active est sans emploi et le chômage des jeunes s’élève même à 50%. Quant à ceux qui ont du travail, ils doivent accepter des conditions de plus en plus mauvaises. Le parti communiste, l’AKEL, s’oppose à cette politique d’austérité. Selon l’AKEL, « dans un pays où de l’Etat n’investit pas dans le développement, où les banques ne prêtent pas d’argent pour l’économie et où les plus faibles ne reçoivent qu’une aide minimale, la possibilité d’une reprise de l’emploi est loin d’être en vue. »  

Un parti pour la paix dans une région en guerre

Mais Chypre ne subit pas seulement la politique européenne des mémorandums. Deux bases militaires situées sur l’île, à Akrotiri et à Dhekelia, appartiennent officiellement à la Grande-Bretagne. Les deux bases occupent à elles deux une superficie d’environ 250 km2, soit quelque 3% du territoire total chypriote, et ont leur propres instances de décision.

C’est au départ des bases d’Akrotiri et de Dhekelia que les avions de combat britanniques – et également des forces aériennes d’autres Etats membres de l’Otan, comme la Norvège – ont pris part en 2011 aux bombardements sur la Libye. C’est également le cas pour les actuels bombardements menés par les avions de chasse britanniques sur l’Irak.

Le 2 décembre, à peine quelques heures après le vote à la Chambre basse britannique autorisant une intervention militaire en Syrie (397 voix pour, 223 voix contre), les avions de chasse britanniques décollaient d’Akrotiri pour aller bombarder des cibles syriennes. L’île constitue littéralement une tête de pont pour l’Otan au Moyen-Orient. A peine 150 km la séparent en effet des côtes syriennes et libanaises (voir carte).

L’AKEL est un parti qui s’engage pour la paix dans la région. Il demande donc la fermeture de ces bases militaires britanniques et s’oppose à la présence de l’Otan à Chypre. Il veut également que le Moyen-Orient devienne une zone sans armes nucléaires. Cela ne concerne pas seulement l’arsenal nucléaire d’Israël, mais aussi la présence des flottes américaine et britannique dans l’Est de la Méditerranée, qui peuvent également avoir des armes nucléaires à bord.

Par ailleurs, l’AKEL a vivement condamné la déclaration du gouvernement chypriote après les attentats de Paris. Pour la première fois dans l’histoire, le gouvernement veut appliquer la clausule de « solidarité mutuelle » du traité de l’Union européenne (article 42,7) et mettre ses propres installations à la disposition des Etats européens membres de l’Otan qui voudraient bombarder la Syrie.

Le fait que le gouvernement chypriote se réfère à cette clausule montre à quel point l’Union européenne suit, via l’Otan, la politique de guerre des Etats-Unis. « S’ils veulent rendre crédible leur priorité affirmée d’anéantir l’EI, la première chose que devraient faire les Etats membres de l’Otan, c’est de mettre fin au financement, à l’armement et au commerce qui alimentent ce mouvement », souligne un communiqué de presse de l’AKEL. Le parti communiste a aussi condamné le fait que l’armée turque ait abattu un avion de chasse russe : « La Turquie est en train de détruire la paix à l’Est de la Méditerranée, et l’Otan applaudit. »

A l’encontre de toute surenchère nationaliste dans un pays divisé

Au cours des siècles, Chypre s’est peuplée de groupes linguistiques divers : 68% de la population parle le grec, 27% le turc et 5% est constituée d’autres minorités, parmi lesquelles des Arméniens. Depuis l’invasion par l’armée turque en 1974, les Chypriotes sont surtout préoccupés par l’occupation militaire du nord de l’île par la Turquie. L’AKEL œuvre d’arrache-pied à la réunification du pays via une politique de rapprochement, à l’encontre de toute surenchère nationaliste.

Au centre de l’action politique d’AKEL figurent la lutte sociale, la lutte contre l’occupation du nord du pays, et le caractère bilingue de l’île. Le 21 octobre, le parti a encore pris l’initiative de réunir deux des plus importants représentants des communautés grecque et turque au Parlement européen. Ceux-ci ont dialogué avec entre autres des dizaines de représentants de la communauté chypriote, tous d’opinions différentes.

L’AKEL mène aussi une lutte active contre le chauvinisme des partis chypriotes grecs de droite. Lorsque, le 18 novembre, des étudiants chypriotes grecs ont attaqué, sans le moindre motif, des Chypriotes turcs, l’AKEL a fustigé la propagande nationaliste de droite d’à peu près tous les partis politiques. « Les esprits des jeunes sont empoisonnés par le national-chauvinisme. Dans nos écoles, le fasciste Grivas¹, assassin de Turcs et de communistes, est présenté comme un héros. Maintenant, le ministre de l’Enseignement se dit choqué, mais pourquoi est-il choqué ? »

Dans une interview, Andros Kyprianou, secrétaire général de l’AKEL, met en garde contre le danger que représentent les organisations fascistes, comme ELAM. « Pourquoi font-ils des exercices militaires ? Pourquoi agissent-ils comme des unités militaires ? Nous avons vu comment le parti Aube dorée est apparu en Grèce. A Chypre, le mouvement d’extrême droite ELAM est une section d’Aube dorée en Grèce. »

1. Grivas était un militaire chypriote grec qui, durant les années 1950 et 1960, a été le leader du mouvement grec d’ultra-droite

La lutte et l’expérience d’AKEL sont sans conteste très intéressantes pour nous en Belgique comme dans toute l’Europe.

Les 8 et 9 décembre, une cinquantaine de jeunes Chypriotes grecs et turcs, membres de l’AKEL et de son mouvement de jeunes EDON, effectueront une visite à Bruxelles. Ils viendront au siège du PTB pour témoigner de la situation dans leur pays. Venez les rencontrer et discuter avec eux de leur travail politique, de leur engagement pour l’unité de Chypre, de leur lutte sociale…