Comment le gouvernement veut privatiser la police
Le gouvernement planche sur un nouveau projet : celui de privatiser un maximum de tâches de police, en les confiant aux entreprises privées comme G4S ou Securitas. Le service d’étude du PTB a réalisé un dossier qui montre comment ce juteux commerce de la surveillance privée se fera au détriment de la sécurité pour tous.
C’est le ministre de l’Intérieur, Jan Jambon (N-VA ), qui porte ce projet de plan de privatisation. Mais chaque parti de la majorité arrive avec sa propre liste de tâches de police qui pourraient être privatisées. Pour le CD&V, des agents privés pourraient ainsi demander à des citoyens de montrer leur carte d’identité, mais pas question d’aller plus loin (ils ne pourraient contraindre à la montrer). Au contraire, l’Open VLD veut confier au privé « toute forme de surveillance et de contrôle des personnes en vue d’assurer la sécurité ». Pour la N-VA et l’Open-VLD, fouiller les entrées d'un complexe de cinéma, examiner les caméras de surveillance, transporter les détenus ou les sans-papiers arrêtés … sont toutes des tâches de police qui pourraient être confiées aux trois « grands » que sont Securitas, G4S et Seris Security.
Le service d’étude du PTB a réalisé un dossier qui montre comment ce juteux commerce de la surveillance privée se fera au détriment de la sécurité pour tous. Paul Ponsaers, professeur émérite de l’université de Gand, explique notamment : « Si on abonde dans le sens de l’idéologie commerciale et qu’on délègue des tâches au privé pour des raisons financières, on se retrouve vite sur une pente savonneuse et on ne tarde pas à tout mesurer à l’aune de la « productivité » et de la « performance ». Dans les tâches policières et judiciaires, ce qui compte, par exemple, c’est la qualité d’un procès-verbal et non pas le nombre de procès-verbaux traités quotidiennement. »
Dossier : privatisation, centralisation et militarisation de la police
En Belgique, les plans en vue d’une réforme radicale de la police existent depuis longtemps, bien avant les attentats du 13 novembre 2015 à Paris. Mais les circonstances actuelles permettent de présenter ces plans comme une réponse au terrorisme. Un des axes principaux de cette réforme en vue est une centralisation plus grande de la police locale, en réunissant ou en faisant coopérer davantage les zones locales de police. Un autre axe consiste à renforcer la militarisation de la police, grâce à une plus grande présence militaire dans les rues et à un armement plus lourd. Troisième axe, des tâches policières seront massivement supprimées ou déléguées à des firmes de surveillance et à d’autres entreprises privées.
Le fameux « accord de Noël » de décembre 2015 présente un certain nombre des mesures de cette réforme. Il y aura un nouveau « corps de sécurité » de 1 600 hommes, venus surtout par mutation de la Justice et de la Défense nationale, qui dépendra de la police fédérale, et sera chargé de la surveillance et de la protection des bâtiments. La police locale bénéficiera de 450 hommes supplémentaires et la police fédérale de 400 autres. Mais, surtout, une importante série de tâches seront déléguées au secteur privé de la surveillance. D’après des spécialistes, ces réformes vont désormais nous confronter à une tout autre police et ce ne sera pas nécessairement à l’avantage de notre sécurité et de la démocratie. Dans cet article, nous discuterons surtout de la privatisation et de la militarisation de l’appareil policier.
G4S : la nouvelle police de la N-VA ?
Une montée progressive jusqu’en 2014
Sécurité à vendre et non-droit
Big Brother G4S en Grande-Bretagne
Paul Ponsaers : « La police privée ne devrait pas remplacer l’agent de quartier »
L’appel en faveur de la loi et de l’ordre
La N-VA sur la brèche pour une nouvelle gendarmerie ?
G4S : la nouvelle police de la N-VA ?
Dans le journal De Tijd du mardi 20 octobre 2015, le plan de privatisation du ministre Jambon est présenté comme un « plan pour une police bien huilée », sous la devise « plus de bleu en rue », grâce au dégraissage de tout ce qui ne fait pas partie des « tâches centrales de la police », qui ne sont d’ailleurs pas précisées davantage. Quant à la logistique, au service du personnel et à la médecine, il entend les confier au privé. Dans la sélection des agents, par exemple, seuls les vraies décisions et le screening des candidats seront encore confiés à la police. La médecine sera, elle, entièrement sous-traitée.
Le ministre entend également supprimer un certain nombre de tâches, comme l’accompagnement des demandeurs d’asile déboutés ou celui des transports de valeurs pour lesquels on ne craint aucune menace. L’accompagnement des huissiers de justice et des notaires ne sera encore assuré que si la présence d’un « bras fort » est nécessaire. L’engagement de la police lors des grèves dans les prisons sera réduit par l’obligation faite au personnel des prisons d’effectuer un service minimum. La police à cheval est supprimée et remplacée par des patrouilles cyclistes. La police ne devra plus s’occuper non plus de l’éducation routière ni des pistes d’apprentissage à la circulation.
Des agents privés seraient chargés de l’examen des images des caméras de surveillance dans les endroits publics.
D’autres tâches seront sous-traitées à des firmes de surveillance, comme la sécurisation des tribunaux, des institutions juives ou des lieux très fréquentés, telles les rues commerçantes en période de fin d’année. Sous le contrôle d’un policier, des agents privés formés pourraient se charger de l’examen des images des caméras de surveillance dans les endroits publics, comme cela se fait déjà à l’occasion de certains événements. De même, la surveillance des zones industrielles et des quartiers où les gens sortent, même s’il n’y a pas d’ « enceinte physique », doit pouvoir être confiée au privé et des firmes de gardiennage pourraient remplacer la police pour régler la circulation dans les aéroports.
Jambon veut que bpost se charge de la restitution d’objets, de la gestion des radars automatiques, du traitement et de la rédaction des procès-verbaux pour excès de vitesse ainsi que de la perception des amendes.
En outre, il entend économiser sur les bâtiments, dans l’achat, le loyer, la sécurité, la surveillance et surtout l’entretien.
Une partie du plan de sous-traitance de Jambon va déboucher sur la militarisation du maintien de l’ordre. La surveillance statique des bâtiments sera désormais confiée à un nouveau corps de sécurité constitué surtout d’anciens militaires. Il avait été d’ailleurs envisagé initialement de confier ces tâches à l’armée. D’après Jambon, la menace terroriste est de toute façon une menace de type « violence guerrière » pour laquelle, depuis son unification en 2000, la police ne dispose plus du matériel et du savoir-faire nécessaires. De même, le soutien aérien à la police n’est pas une tâche policière.
Une importante percée
En Belgique, 72,5 % de tout le personnel sécuritaire travaillent pour l’État et 27,5 % pour le privé.
La Belgique emploie plus de fonctionnaires de police que bien d’autres pays européens. 72,5 % de tout le personnel sécuritaire travaillent pour l’État et 27,5 % pour le secteur sécuritaire privé. Au Royaume-Uni, 30,8 % travaillent pour l’État et 69,2 % pour le privé. En Suède et aux Pays-Bas, on en est environ à 50-50 et, en Allemagne, à 60 % pour l’État. En moyenne, pour toute l’Europe, le secteur privé est légèrement prépondérant (52 %).
La Belgique compte un membre du personnel de sécurité (public ou privé) pour 193 habitants. La moyenne européenne est de un pour 150 habitants. La moyenne européenne en ce qui concerne la police publique est d’un agent pour 356 habitants. En Belgique, il y en a un pour 266 habitants. La moyenne européenne pour le secteur privé est d’un agent de sécurité pour 290 habitants. En Belgique, on compte un agent du privé pour 703 habitants.
Les trois « grands » sont Securitas, G4S et Seris Security.
En 2010, notre pays comptait 220 entreprises de surveillance privées reconnues, dont 187 actives, avec une autorisation. Les « grands » sont Securitas, Group4-Securicor (G4S, également connu pour sa surveillance du mur illégal en territoire palestinien et dans les prisons israéliennes) et Seris Security (1). Le volume d’affaires de ces firmes connaît une croissance constante : 410 millions d’euros en 2000 et 591 millions en 2009. Comme activités principales, ces firmes assurent la surveillance de la protection des biens mobiliers ou immobiliers (74 %), la gestion des centrales d’alarme (15 %) et l’inspection des magasins (4,5 %). Les autres activités, plutôt négligeables, sont le transport des valeurs (0,13 %) et la sécurité de certains événements (0,43 %). Leur clientèle est surtout constituée d’entreprises (81,6 %), de personnes privées (16,7 %) et, de façon plutôt marginale, de l’État (1,6 %). Les services de surveillance privés employaient, en 2010, 15 411 agents, soit environ un tiers du fichier total du personnel de police.
Une montée progressive jusqu’en 2014
Sous les gouvernements Martens VII, VIII et IX (1987-1992), la loi sur les services de surveillance privés, également appelée loi Tobback, est entrée en vigueur en 1990. En 1998, après l’affaire Dutroux, elle a été suivie de la réforme des polices : la gendarmerie a été dissoute, la police fédérale mise en place et la police locale élevée à un niveau supérieur (la zone). Et ces polices ont été mieux rémunérées. Suite aux économies sur les dépenses de l’État, un débat sur leurs tâches centrales a été lancé dans le but de laisser de côté un certain nombre de tâches de base et de faire exécuter celles-ci à un prix moindre, grâce, entre autres, à l’incorporation d’agents de prévention et des vigiles urbains.
Dans la loi de 1990, le contrôle des entreprises de gardiennage et de sécurité, tout comme le contrôle des services de surveillance interne, répond à divers objectifs, dont les principaux sont un mécanisme efficace de contrôle et de sanction, la sanction des abus de pouvoir, la limitation des collusions possibles entre public et privé et la garantie de la qualité dans le gardiennage privé.
Les services privés de surveillance n'ont en fait ni plus ni moins de compétence que tout autre simple citoyen.
La surveillance dans les centres commerciaux ou le gardiennage des terrains d’entreprise et des marchandises ont été de plus en plus déléguées à des services privés de surveillance. Le rôle des services privés dans le domaine public est toutefois resté limité. Ils ne sont pas habilités à demander une carte d’identité et certainement pas à effectuer des arrestations administratives. Les contrôles de personnes sont limités au contrôle de l’accès « à l’intérieur » et ne peuvent être exercés sur la « voie publique ». La surveillance des VIP — la protection d’une personne contre d’éventuels dangers en faisant écran devant elle — peut toutefois être effectuée par des personnes armées. Les services privés de surveillance n’avaient en fait ni plus ni moins de compétence que tout autre simple citoyen. On a également introduit une limitation aux possibilités de passage de la police régulière vers les entreprises privées de sécurité. Cela ne peut se faire qu’après une période de cinq ans.
Sous le gouvernement Verhofstadt I (1999-2003), un Plan de sécurité et de détention a été instauré en 2000. Il y était expressément question de la sous-traitance au privé de certaines tâches policières (comme le transport des détenus).
Puis il y a eu un tournant en 2004, sous Verhofstadt II, où la collaboration entre le public et le privé a été non seulement rendue possible, mais même encouragée. La compétence de la surveillance privée dans l’espace public a été considérablement étendue. Elle ne se limitait plus alors au contrôle des accès. D’autres formes de contrôle sont devenues légales, par exemple la surveillance du comportement des gens dans un centre commercial, la sécurité des événements et l’inspection des magasins, le contrôle des accès et les fonctions de surveillance dans les complexes de cinéma, les galeries commerçantes ou les parcs de loisirs, les activités « sécuritaires » dans les concerts, les fêtes et les bals. Il est resté toutefois interdit de porter une arme durant l’exécution de ces tâches de contrôle des personnes.
Depuis la loi de 2004, les autorités communales peuvent aussi faire appel à des services privés de surveillance. Avec l’accord du ministre de l’Intérieur, ces services peuvent, au profit des communes, surveiller des biens mobiliers et immobiliers et protéger des personnes dans « des endroits accessibles au public ». Des agents de surveillance privés désignés par le conseil communal peuvent également faire une « déposition » auprès du fonctionnaire de police ou de l’agent de police auxiliaire en cas de nuisance. Les dépositions sont limitées aux « constats qui ont trait exclusivement à la situation immédiatement observable de biens dans le domaine public, en mission pour le compte de l’autorité compétente ». Les patrouilles sur la voie publique ont été autorisées, mais uniquement quand elles ont trait à la surveillance des biens. Les agents de surveillance ne peuvent pas de leur propre initiative constater des infractions, ils ne peuvent recourir à la violence ni à la contrainte, même contre des personnes qui se rebiffent lors des contrôles d’accès. Dresser un procès-verbal reste réservé à la police publique. Les constats établis par les agents de surveillance ont seulement une valeur de suspicion, ils n’ont pas valeur de preuve et pas plus de valeur que celle d’une déclaration faite par n’importe quel citoyen. Certains perçoivent quand même ici une extension importante des compétences de la surveillance privée au détriment de la police publique.
Le gouvernement Di Rupo (2011-2014) a présenté en 2014 un nouveau projet de loi « de réglementation de la sécurité privée et particulière ». La loi est entrée en vigueur en février 2015. Elle prévoit une extension du domaine d’application : la possibilité d’effectuer des tâches de surveillance limitées sur la voie publique. Les agents ne disposent toutefois toujours pas de la compétence d’effectuer des constats.
Aujourd’hui, alors que le gouvernement Michel franchit un nouveau pas, certains parlent d’une importante percée. Dans l’explication de sa politique, Jambon a toutefois garanti que la philosophie de « police communautaire » (police axée sur la collectivité) serait maintenue, ce qui fait notamment que le rôle de la police de proximité sera renforcé.
Sécurité à vendre et non-droit
En Belgique, l’évolution vers la privatisation s’est donc faite très progressivement, au contraire des Pays-Bas et de la Grande-Bretagne. Dans ces pays, les entreprises privées de sécurité s’occupent depuis longtemps déjà du transport de valeurs, de la gestion du stationnement, fournissent des surveillants et des coaches de rue, entraînent et fournissent des agents pour la Recherche spéciale (BOA) (2), assurent la surveillance électronique des personnes munies d’un bracelet de sécurité, s’occupent de gestion du risque et donnent des conseils de sécurité aux autorités, assurent des visites à domicile chez les gens en résidence surveillée, surveillent les tunnels et les autoroutes, fournissent des caméras de surveillance et divers outils technologiques. Depuis 1999, l’État belge donne la possibilité aux communes de louer les services de sociétés de sécurité privées pour assurer la surveillance des espaces publics. En 2010, une étude constatait que 14 % des communes avaient engagé une entreprise privée de sécurité pour des tâches de surveillance dans les domaines publics. Aux Pays-Bas, outre l’important corps des agents de la Recherche spéciale, cela fait bien plus longtemps déjà que des services privés de surveillance patrouillent sur la voie publique.
La sécurité n’est plus une tâche uniquement réservée à la police et à la justice, c’est devenu du big business.
Un article publié voici quelques années (3) décrit l’évolution inquiétante de la poussée vers la privatisation chez nos voisins du nord. Depuis longtemps, la sécurité n’est plus une tâche uniquement réservée à la police et à la justice, c’est devenu du big business. Celui qui a de l’argent achète sa sécurité auprès d’entreprises disposant des technologies les plus récentes et des meilleurs enquêteurs, comme dans les quartiers chics de Rotterdam où patrouillent des surveillants de la firme de gardiennage Randon. Les services d’un de ces hommes coûtent aux riverains participants deux cents euros par mois. Les moins nantis, eux, sont renvoyés à une police appauvrie qui doit assurer les tâches difficiles
À Tilburg, les collaborateurs faisant partie d’une agence d’intérim d’agents de recherche ont accès au système informatique secret BPS de la police, en leur qualité d’agents de la Recherche spéciale (BOA). Ils peuvent ainsi consulter les procès-verbaux, les rapports journaliers, les noms et les auditions de suspects.
Les centres commerciaux, les espaces récréatifs, les complexes industriels se chargent de plus en plus eux-mêmes de leur propre sécurité.
Les techniques spécialisées de recherche sont confiées de plus en plus aux bureaux d’étude privés. Des cabinets d’audit comme Deloitte et KPMG investissent beaucoup dans la lutte contre la criminalité informatique. Bientôt, tout le savoir-faire et le métier se retrouveront dans le privé, ainsi que toutes sortes de nouvelles technologies dans le domaine du dépistage, comme les appareils d’écoute et l’informatique.
Les employeurs font suivre leurs travailleurs pour les prendre en flagrant délit de vol ou de fraude.
Les spécialistes néerlandais mettent en garde contre la montée de la justice privée. Les employeurs font suivre leurs travailleurs pour les prendre en flagrant délit de vol ou de fraude. Pour ce genre d’indélicatesses internes, les entreprises ne se rendent plus guère à la police. « Mais qui garantit la protection juridique d’un travailleur suspect, si son patron le fait surveiller par une entreprise et ensuite le congédie en douce ? », s’interroge le chef de corps de la région de police du sud de la Gueldre.
Même dans le domaine de l’analyse des traces, le secteur privé va déjà très loin. Il existe des entreprises spécialisées auxquelles on peut demander une contre-expertise quand on doute du résultat d’une enquête ADN par l’Institut médico-légal des Pays-Bas. Pour autant qu’on ait de l’argent, bien sûr.
Des agents et des inspecteurs quittent la police pour le privé où ils bénéficient de meilleures conditions. Mais, avec leur départ, les enquêtes complexes deviennent plus difficiles à mener. Et, par conséquent, la tentation est de plus en plus grande de demander l’aide de collègues du privé financièrement mieux nantis et donc mieux équipés. Le mauvais usage d’informations sensibles constitue un grand danger dans la collaboration de plus en plus fréquente entre la police et les firmes privées. Comment empêcher que tel chef de police n’en dise trop à son partenaire du privé, et ne fournisse ainsi une information qui, pour un autre commanditaire, vaut beaucoup d’argent. Et la partialité est presque inévitable. Une enquête peut-elle être honnête si des entreprises particulières savent ce que le commanditaire veut entendre ?
Qui contrôlera les entreprises privées de sécurité si la police doit recourir à leurs services pour l’exécution de ses tâches légales ?
Pour le syndicat de la police néerlandaise Nederlandse Politie Bond (NPB), des gardiens de parking et des agents de gardiennage privés peuvent opérer sur des terrains d’entreprise. Mais l’extension vers le domaine public doit être enrayée. La solution pour tempérer la prolifération du secteur particulier serait d’octroyer davantage de fonds à la police. Sinon, « qui contrôlera encore les entreprises privées de sécurité si la police doit recourir à leurs services pour l’exécution de ses tâches légales ? », se demande le NPB (4).
On peut craindre à juste titre de voir le secteur privé s’arroger tous les services lucratifs et bien vus du public et de voir en revanche la police continuer à faire le sale boulot et les tâches ingrates. « Nous perdons nos oreilles et nos yeux en rue, parce que toute la surveillance se fait par des gardiens particuliers. Et, du fait que nous avons le monopole de l’utilisation des armes, et donc le monopole de la violence, nous sommes toutefois bons pour intervenir de façon répressive », rajoute le NPB.
Mais qui prétend encore que seule la police pourra frapper et tirer ? « Tout le monde fait à sa guise et, par la suite, c’est souvent aplani par des réglementations. Nous ne voulons pas de gardiens armés mais, vu la prolifération de tels actes, cette situation se rapproche quand même de plus en plus. »
Big Brother G4S en Grande-Bretagne
En Grande-Bretagne, dans le cadre d’un programme radical d’économies, le gouvernement a sous-traité des commissariats de police complets à la firme de sécurité G4S qui est la première entreprise de sécurité au monde (5). C’est la police du comté du Lincolnshire qui en a eu la primeur, en avril 2012 : G4S va y construire un nouveau bureau de police avec trente cellules et fournir plus de la moitié des 980 collaborateurs sans uniforme. L’encadrement légal restera du ressort de policiers formés et G4S fera le reste : prendre des photos ou des empreintes digitales et gérer les détenus. Le projet va rapporter énormément à G4S : sur 10 ans, c’est un montant total de 200 millions de livres qui est en jeu, montant qui comprend le fonctionnement d’un bureau central, d’une section pour les amendes routières, d’un tribunal du service de sécurité, d’une section d’enregistrement des autorisations concernant les armes à feu et, enfin, de l’administration générale du bureau de police.
En Grande-Bretagne, G4S a repris une large gamme de services précédemment assurés par la police.
L’organisation Open Democracy mentionnait en mars 2013 un article du Guardian selon lequel « G4S a repris la fourniture d’une large gamme de services précédemment assurés par la police, comme enquêter sur des délits, arrêter des suspects, établir des dossiers, répondre à des incidents et enquêter sur ces incidents, soutenir des victimes et des témoins, gérer des individus à haut risque, patrouiller dans des quartiers, gérer des renseignements, gérer l’engagement envers le public, de même que des fonctions plus traditionnelles de service d’appui, comme la gestion des tâches médico-légales, la fourniture d’un avis juridique, la gestion du matériel roulant, des finances et des ressources humaines. […] Outre les tâches policières, le transport des détenus aux tribunaux et la formation des magistrats, G4S assure également des services médico-légaux. La société gère quatre prisons en Angleterre. Les services de probation seront soumissionnés. G4S s’est également vu confier une bonne partie des nouveaux subsides du gouvernement pour élaborer un programme dont on prétend qu’il contribuera à mettre un terme au “cercle vicieux de la récidive”. » (6)
G4S est un acteur important sur le marché de la reconnaissance automatique des numéros de plaques de voitures. Sa position prépondérante sur le « marché de l’asile » (hébergement, surveillance…) ne cesse de se consolider. Beaucoup de choses dans nos existences sont sous l’influence de cette société.
Cette vague de privatisations résulte d’un programme d’austérité plus que radical du gouvernement britannique qui entend réduire le budget de la police de 20 % en 2015.
Paul Ponsaers : « La police privée ne devrait pas remplacer l’agent de quartier »
Une interview de Lies Michielsen (7)
Nous avons demandé au professeur émérite Paul Ponsaers son avis sur ce qu’on appelle aujourd’hui les nouveaux plans de privatisation. Jusqu’en 2012, il a été professeur ordinaire à l’université de Gand. Il a travaillé au ministère de l’Intérieur où il a collaboré à la remise en ordre de l’appareil policier belge après la période des tueurs du Brabant wallon. Il a publié de nombreuses contributions dans le domaine, entre autres, de la police, de la criminalité financière et économique, de l’analyse de la criminalité et de la politique sécuritaire.
Paul Ponsaers. Le rapport d’évaluation de la loi sur la sécurité privée n’est pas encore disponible. Je n’ai encore vu aucun document sur la réforme. Mais d’après ce qu’on a déjà pu découvrir, on peut aisément affirmer qu’il s’agit d’une importante percée pour le secteur privé.
À Londres, la police doit acheter les images si elle veut les examiner.
Dans bien des pays, beaucoup de choses sont déjà aux mains de ce secteur. À Londres, par exemple, la surveillance urbaine par caméras est gérée par une firme privée. La police doit acheter les images si elle veut les examiner. À Almere, aux Pays-Bas, le bourgmestre loue les services d’une firme privée pour emmener les gens au commissariat de police lors des contrôles dans les quartiers de vie nocturne, de sorte que la police peut rester sur place. Les personnels du privé portent le même uniforme que la police et on ne peut donc pas les distinguer les uns des autres.
Ces entreprises privées sont organisées au niveau international, ce qui leur permet de se rendre compte qu’il existe de nombreuses possibilités d’étendre leurs parts de marché dans d’autres pays, notamment en Belgique. Chez nous, certaines tâches policières ont déjà été privatisées. À Laethem-Saint-Martin et à Knokke, des firmes privées sont engagées par de riches résidents ou par les autorités communales pour la surveillance de certains quartiers et de la digue. À Knokke, c’est surtout le cas l’été, lorsqu’il y a beaucoup de monde. La société SNCB Securail — semi-privée — gère les caméras dans les gares, mais la police bénéficie d’un accord lui permettant d’en examiner les images. Cela pourrait changer.
Le ministre Jambon dit que la philosophie de la police de proximité restera inchangée.
Paul Ponsaers. Lors de la réforme Octopus, en 1998, après la débâcle dans l’affaire des enfants disparus, il y a eu un consensus entre tous les partis de la majorité et de l’opposition autour d’une « police de proximité ». On peut difficilement revenir là-dessus. En 1998, la N-VA n’existait pas encore mais, à ma connaissance, elle ne s’est jamais exprimée contre ce concept. Selon moi, les tâches centrales, les tâches essentielles de la police de proximité doivent en tout cas rester du ressort de la police publique. On justifie souvent la privatisation par la nécessité de « davantage de bleu en rue ». Mais alors, pour commencer, la police privée ne devrait pas remplacer l’agent de quartier ! Il est essentiel que ce soit l’agent de quartier qui contrôle l’adresse domiciliaire. Il ou elle doit laisser sa carte, il ou elle doit connaître son quartier, pour savoir, par exemple, où existe un risque de violence conjugale. La police locale a également une fonction d’accueil. Les bureaux doivent être accessibles, y compris, de temps en temps, en dehors des heures de bureau. Les gens doivent pouvoir y trouver des conseils, être orientés de façon judicieuse en toute connaissance de cause, y rencontrer une police compétente qui puisse accompagner les victimes et leur dire à qui elles doivent s’adresser. Ce principe de « police de proximité » est un argument pour les syndicats soucieux de défendre les emplois.
L'espace public doit être géré par les autorités publiques, par la police donc, et non par des services de surveillance privés
La police doit également apporter son soutien à la commune, en fournissant des indications et des informations, par exemple sur le plan de circulation. Outre un rôle verbalisant, elle a par exemple également pour tâche de lui signaler les carrefours dangereux.
En ce qui concerne le maintien de l’ordre public, je suis partisan d’une gestion négociée de l’espace public, tant que cela n’entraîne pas, naturellement, des atteintes à la liberté d’expression. La police publique doit en tout cas conserver le monopole de la violence légale. Il faut maintenir le principe selon lequel l’espace public doit être géré par les autorités publiques, par la police donc, et non par des services de surveillance privés. Faire surveiller des banques, des discothèques, des grands magasins par des services de surveillance privés, des caméras, c’est d’accord. On a la liberté de choix de le faire ou pas. Mais cela ne doit pas être le cas pour l’espace public, comme les rues et les places. D’autant plus qu’il y a déjà une érosion de l’espace public et de moins en moins d’espace accessible au public. Finalement, la liberté de mouvement est une condition essentielle pour l’exercice des libertés fondamentales des citoyens. Or, un grand nombre de ces choses sont détricotées par la réforme qui s’annonce.
La CSC et la CGSP qualifient ces mesures d’ « attaque directe contre le secteur public », avec un risque de suppression de 10 000 emplois. Les tâches policières privatisées ne seront finalement pas meilleur marché ni plus performantes. Et, tout compte fait, il restera à peine « plus de bleu en rue », affirment-elles.
Paul Ponsaers. La privatisation se fait naturellement aussi, sans aucun doute, pour réaliser des économies. Les salaires et les primes dans la police publique sont plus élevés que dans le secteur privé. La réforme de la police de 1998 a abouti à un nivellement des salaires vers le haut. Je ne suis pas contre le fait que certaines tâches soient dévolues au privé, à condition que la police conserve ses tâches de proximité essentielles. Aujourd’hui, cela se passe déjà ainsi jusqu’à un certain point. Ainsi, la loi sur le football autorise les stewards dans les stades mais, en dehors du stade, la police publique est présente. De cette manière, le souci de sécurité est en partie pris en charge par les organisateurs, ce qui est normal dans un sport lucratif comme le football. De même, dans l’accompagnement des transports d’argent, l’incorporation du privé semble relativement sensée, car les banques doivent payer une partie des coûts.
« Je suis pour un système de police pluraliste plutôt que de trop sous-traiter au privé. »
Je ne donne ces exemples que pour indiquer qu’il vaut mieux que la discussion ne soit pas menée en termes généraux, mais en relation avec des tâches spécifiques. La tendance européenne est très clairement à la privatisation. Nous devons prendre la discussion au sérieux et examiner quel secteur est éventuellement concerné et quelles tâches peuvent éventuellement être remplies par d’autres. Mais ces autres tâches ne doivent pas nécessairement être des services dévolus au privé. Le back-office, les services d’appui, le travail administratif de la police ne doivent pas nécessairement être réalisés par du personnel aux compétences policières, mais ils ne doivent pas non plus nécessairement être confiés au privé. Ce travail peut également être effectué, par exemple, et selon les cas, par du personnel communal ou le service civil de la police. De même, en collaborant entre divers corps, il est possible de travailler de façon plus efficace. Aujourd’hui, c’est déjà le cas entre les zones. Je suis pour un système de police pluraliste plutôt que de trop sous-traiter au privé. Nous devons également examiner ce qui existe déjà du côté des instances publiques. Pourquoi, par exemple, le Selor, le service de recrutement de l’État, ne pourrait-il pas se charger de la sélection des aspirants ? Il n’existe vraiment aucune nécessité de privatiser cette tâche.
Si on abonde dans le sens de l’idéologie commerciale et qu’on délègue des tâches au privé pour des raisons financières, on se retrouve vite sur une pente savonneuse et on ne tarde pas à tout mesurer à l’aune de la « productivité » et de la « performance ». Dans les tâches policières et judiciaires, ce qui compte, par exemple, c’est la qualité d’un procès-verbal et non pas le nombre de procès-verbaux traités quotidiennement.
Une fois le marché conquis, le privé pourra demander plus de compétences et plus d’armes.
En outre, pour le privé, seule compte l’application stricte du contrat. La police, qui agit ou est censée agir au nom de l’intérêt général et en conformité avec des lois policières spécifiques, peut prendre en compte des intérêts en jeu et négocier dans certaines situations conflictuelles (en tout cas, pour certains corps). Alors que, de son côté, le privé exécutera uniquement ce qui est stipulé dans le contrat.
La privatisation des tâches policières n’est-elle pas un important problème pour la démocratie ? N’est-ce pas une façon de remplacer une police en principe démocratiquement contrôlée par une police privée ?
Paul Ponsaers. Depuis la loi de 1998, la police belge est en théorie l’un des organes les plus contrôlés. Il existe un service de contrôle interne, le Comité P du Parlement et l’Inspection générale. Le privé n’a pas un tel service. Cependant, le privé est lui-même partisan de plus de contrôle afin de pouvoir éliminer de nombreuses petites entreprises qui ne peuvent satisfaire aux conditions. La stratégie du secteur privé est de s’emparer tout d’abord du marché pour, seulement ensuite, élargir l’instrumentaire. Par exemple, aujourd’hui, le privé ne peut recourir à la violence sauf s’il obtient à l’avenir une adaptation de la loi. Une fois le marché conquis, il pourra demander plus de compétences et plus d’armes. Cette discussion n’est pas actuellement à l’ordre du jour, mais elle le sera dans le futur.
La Ligue des droits de l’homme indique que le contrôle sur la police ne donne pas satisfaction.
Paul Ponsaers. Le principal problème réside dans la politisation au sein du Comité P. Le mieux serait qu’il y ait en son sein également des ONG indépendantes. Il y a aussi un grand problème avec le fait que la majorité (environ 85 %) des plaintes adressées au Comité P sont déclarées irrecevables. J’estime toutefois qu’il y a souvent de bons rapports rédigés par le Comité P, mais, en même temps, il ne se passe souvent rien au niveau de la commission de suivi au Parlement. Jusqu’à un certain niveau, ce n’est pas tant un problème de manque de contrôle qu’un manque d’efficacité politique. La sous-traitance au privé présente aussi le réel danger du fichage et de la conservation de données, car le secteur privé n’est pas tenu par la loi sur le service de police intégré. La loi Tobback de 1990 s’est attaquée aux principaux abus dans le secteur de la surveillance, mais nous nous trouvons actuellement dans une nouvelle phase, qui est différente et qui requiert sans aucun doute un nouveau cadre légal.
L’appel en faveur de la loi et de l’ordre
En Belgique, pour la première fois depuis trente ans, des militaires patrouillent à nouveau dans les rues où l’on voit ici et là des véhicules de l’armée. Cette image ne disparaîtra sans doute pas de sitôt des esprits. Cette tendance existe d’ailleurs depuis bien avant les attentats contre Charlie Hebdo de janvier 2015. Les ministres N-VA du gouvernement surfent là-dessus.
Les tâches et fonctions de l’armée et de la police semblent donc de plus en plus se chevaucher.
Les tâches et fonctions de l’armée et de la police semblent donc de plus en plus se chevaucher (8). La police se militarise et l’armée reçoit de plus en plus un rôle de maintien de l’ordre à l’intérieur des frontières nationales. Jusqu’à la fin du dix-neuvième siècle, l’armée est intervenue en cas de trouble à l’ordre public, souvent avec des morts comme conséquence. Avec la montée du mouvement ouvrier, la police moderne s’est développée et le rôle de l’armée dans les affaires internes a diminué. L’armée assure la protection contre des ennemis extérieurs, alors que la police est responsable de l’ordre public intérieur. Naturellement, pour l’essentiel, la tâche de la police reste le maintien de l’ordre existant contre le mouvement ouvrier, contre les mouvements en faveur du changement social. Mais il y a une différence entre les tâches, la structure et les procédures des deux institutions. Les éléments clés traditionnels de l’armée sont l’obéissance, la disponibilité, la force physique, les limitations du droit à la liberté d’association, du droit de grève et de la liberté d’expression. À cela vient s’ajouter la capacité d’exercer de la violence et la préparation en ce sens, grâce à l’entraînement, la motivation et l’endoctrinement. Bien sûr, un corps de police peut lui aussi être fortement influencé par le modèle militaire. Il peut également n’être conçu que comme un exécuteur de la loi, avec des procédures dont la contrainte et la violence font partie. Cette conception aboutit au recours à des principes militaires dans l’exécution des tâches policières, au recours à la violence et aux armes pour résoudre des problèmes, à une pensée définie en termes d’ennemis et à une approche qui se limite aux symptômes : résoudre des problèmes sociaux en s’en prenant à ce qui perturbe l’ordre public. Cette vision de la police constitue une menace pour la démocratie et peut mener à un pouvoir parallèle qui se positionne même au-dessus du pouvoir politique au point de pouvoir le manipuler. Ce fut le cas de la gendarmerie jusqu’à sa suppression à la fin des années 1990.
Cette vision de la police constitue une menace pour la démocratie.
Cependant, depuis les années 70, cette vision a été remise en question sous la pression du mouvement démocratique et a été remplacée par le community policing (COP), la police de proximité. Dans une tribune destinée à De Redactie du 7 décembre 2015 (9), Paul Ponsaers décrit cette philosophie, qui est à la base du système policier belge introduit en 2001 à l’occasion de la réforme des polices. « Pour l’essentiel, le fil rouge qui parcourt cette vision du COP est que la police doit assumer un large mandat au niveau de la société, mandat qui tire sa légitimité de l’accord de la population. Le COP est essentiellement un modèle d’approbation, un modèle de “consentement”. Dans cette façon de voir les choses, la police travaille au sein de la communauté, elle est à son service, elle est socialement impliquée et est orientée vers la promotion de la sécurité et vers le bien-être de la population. Le centre de cette pensée consiste à empêcher les délits et à maintenir la paix par une présence en rue constante et visible de policiers en uniforme et, en principe, non armés. Le COP voit la police comme l’un des partenaires du vaste monde associatif sociétal qui tente de maîtriser les causes de la criminalité, de l’agitation et du désordre social. Le COP comporte donc une mission préventive essentielle : empêcher que des problèmes se concentrent dans certains groupes ou endroits spécifiques et contribuer à en réduire les causes. Cela signifie que, en cas de risque de radicalisation des jeunes, il faut intervenir contre le creuset qui alimente cette radicalisation. Très concrètement, cela revient à procurer de l’emploi, un enseignement de qualité, des logements sociaux décents, de l’aide et des soins. Naturellement, ce n’est pas la mission exclusive de la police, mais c’est une tâche commune des pouvoirs publics et, en grande partie, de la politique locale. Maisons de quartier, travailleurs de proximité, éducateurs, centres d’intégration et centres d’aide et bien d’autres choses y contribuent, en même temps que toutes sortes de services communaux. La police doit alors veiller à ce que n’apparaissent pas de fissures dans la texture de la société, à ce que les droits de chacun soient garantis, à ce que ne naissent pas de tensions ou de courts-circuits, etc. » Dans cette vision, la police devait donc travailler en partenariat, dans le sens d’un service, à la résolution des problèmes tout en rendant des comptes. Naturellement, au niveau pratique, cela n’a été concrétisé nulle part dans sa globalité. Et, malgré les bonnes intentions et l’engagement de nombreuses forces démocratiques, la police reste l’appareil qui doit appliquer les lois établies généralement par et pour l’élite dirigeante dans son propre intérêt.
C’est sous l’influence de la révolution conservatrice entamée depuis Reagan et Thatcher que l’on a emprunté la voie conduisant à une police militarisée.
C’est surtout sous l’influence de la révolution conservatrice entamée depuis Reagan et Thatcher que l’on a emprunté la voie conduisant à une police militarisée. Le point de vue sécuritaire est devenu de plus en plus prioritaire et, pour contrer les menaces réelles ou surévaluées (trafic d’humains organisé, trafic d’armes et de drogue, terrorisme), le recours à des méthodes spéciales et à une violence accrue a été encouragé. De plus en plus, on a parlé en termes de guerre : guerre contre la drogue, guerre contre le terrorisme, etc. La guerre a fourni l’argument en faveur de la restauration du travail policier en tant que lutte contre les symptômes, de la pensée en termes de « nous et eux ! » et du recours à la violence. Des unités antiterroristes, comme les SWAT américaines (Special Weapons And Tactics, armes et tactiques spéciales), le GIGN français (Groupe d’intervention de la Gendarmerie nationale), ont été renforcées. De plus en plus de voix se sont élevées pour engager l’armée à soutenir la police dans cette guerre contre le terrorisme.
Aux États-Unis, alors que cette police militarisée a déjà fait beaucoup de victimes innocentes, aucune attaque terroriste n’a pourtant été déjouée grâce à cette militarisation ou aux armes lourdes, et le trafic de drogue ne s’est jamais aussi bien porté. L’étalage de la force dans les rues de la petite ville américaine de Ferguson, où, après l’homicide d’un jeune Noir, des agents d’élite en tenue de camouflage ont attaqué des citoyens non armés, est le résultat de ces années de militarisation de la police. Ce durcissement de la répression des mouvements sociaux par la police, qui date de 1997, est aussi la conséquence d’un programme de transfert de matériel militaire vers la police. Depuis 2006, la police américaine dispose de 435 véhicules blindés, de 533 avions et hélicoptères et de 93 763 mitrailleuses. Tout ce matériel est utilisé pour accomplir de simples tâches policières. Les MRAP sont des véhicules équipés contre les mines, les embuscades et les bombes, ils n’ont pas été conçus pour garder une foule sous contrôle. Depuis leur création dans les années 60, les unités SWAT utilisent des techniques militaires. En 1975, on comptait 500 unités SWAT aux États-Unis, aujourd’hui, il y en a un millier. Actuellement, elles sont engagées pour un oui ou pour un non : dans 80 % des cas, il s’agit tout simplement d’effectuer des perquisitions, au cours desquelles les accidents ne sont pas rares et font des victimes innocentes, ce qui aboutit à plus de violence encore dans les communautés de couleur. On applique de plus en plus aussi des tactiques militaires dans la répression des mouvements sociaux comme Occupy.
L’armée en tant que corps de police
Cette évolution se produit en parallèle avec la modification des tâches des armées occidentales. Outre les guerres ordinaires, ces armées se voient de plus en plus confier de prétendues « missions de paix », comme au Kosovo, au Liban, dans l’est du Congo. Ce sont des troupes qui sont en quelque sorte un mélange de policiers et de militaires, et qui peuvent effectuer des opérations allant de la guerre au maintien de l’ordre et même à l’octroi d’aide. Cette transformation s’appuie sur les principes développés par l’officier britannique Kitson en Malaisie, à l’époque de la lutte d’indépendance : l’armée devait contribuer à « gagner les esprits et les cœurs de la population » par des initiatives économiques, politiques et humanitaires, dans le but de les détourner de la guérilla qui combattait pour l’indépendance. C’est dans cet esprit, mais avec peu de succès, que les armées occidentales ont opéré après la guerre en Irak et en Afghanistan : en Afghanistan, les militaires néerlandais patrouillent, si c’est possible, à pied ou même à bicyclette, construisent de petites huttes dans lesquelles ils invitent des hôtes afghans et leur servent du thé, des noix et des fruits séchés. Il faut se mouvoir parmi les gens si on veut les influencer, telle est la devise. Mais le peuple est indocile et les Néerlandais ont été forcés d’adapter leur tactique.
Des militaires sont également de plus en plus entraînés dans des opérations de police. Ils reçoivent une « formation de contrôle des foules et des émeutes », nécessaire pour affronter des insurgés et des manifestants. Fin 2014, le site Internet Apache publiait une photo des forces spéciales belges qui s’entraînaient à Amman, en Jordanie, pour se perfectionner dans l’advanced urban combat, qui est constitué de techniques de combat particulières en zone urbaine. « Il y a très peu de chances pour qu’un jour, on les engage aussi en Belgique, ou est-ce que je me trompe…? », déclarait Karl Van den Boeck, le rédacteur en chef de ce site (10). Effectivement, en Europe occidentale, l’engagement de militaires dans des activités de sécurité interne figure aujourd’hui également à l’ordre du jour. On ne sait pas encore très bien quelle forme permanente cela revêtira. Y aura-t-il une collaboration avec la police existante ? Dans quelles limites ? La police elle-même va-t-elle se transformer davantage en un appareil aux allures musclées et militaires au sein même de nos frontières ?
La N-VA sur la brèche pour une nouvelle gendarmerie ?
La ville d’Anvers fait figure de précurseur sur le plan de la militarisation du maintien de l’ordre.
Dans notre pays, et cela ne surprendra personne, la ville d’Anvers, qui est dirigée par le bourgmestre De Wever, fait figure de précurseur sur le plan de la militarisation du maintien de l’ordre. Les autorités communales y ont approuvé l’achat, pour le corps de police, d’armes militaires de calibre 300 (magnum), qui sont toujours des armes létales. Aux États-Unis et au Canada, elles sont très populaires chez les chasseurs de gros gibier : un seul coup d’un tel fusil à lunette tue un élan de 475 kilos à une distance de près d’un kilomètre. Sur le plan de l’engagement de l’armée pour le maintien de l’ordre, Anvers fait aussi figure de force motrice : c’est là en mars 2014 que cela s’est produit pour la première fois, lors de l’occupation des voies d’accès à Anvers par des forains qui protestaient contre le fait que la Sinksenfoor (la foire de la Pentecôte) devait déménager. De Wever avait alors déploré ne pouvoir engager l’armée avec du matériel lourd de déblaiement. Et il avait à nouveau insisté après l’attentat contre le musée juif à Bruxelles.
Il jure ses grands dieux qu’il ne veut pas d’une nouvelle gendarmerie qui pourrait intervenir militairement contre les grèves et les mouvements sociaux. Cela ne semble toutefois pas très crédible quand, après la grande manifestation d’octobre 2014 et lors des grèves tournantes provinciales, ses collègues de parti, les ministres Jambon et Vandeput, ont plaidé tous deux en faveur de l’engagement de militaires à l’intérieur même du pays.
Bien avant les attentats contre Charlie Hebdo, le ministre de l’Intérieur N-VA Jambon proposait déjà de faciliter l’engagement de l’armée dans des tâches de sécurité intérieure. À l’époque, la loi imposait d’importantes limitations et, jusqu’en 2014, l’armée ne pouvait être engagée que lorsque le niveau de menace 4 était annoncé par l’organe de coordination pour l’analyse des menaces (OCAM). Le ministre de l’Intérieur pouvait alors demander à son collègue de la Défense d’engager des soldats pour la surveillance des sites stratégiques, « dans l’intérêt de la sécurité nationale ». Mais un tel mandat devait être approuvé par le gouvernement, son contenu comme sa durée devaient être limités et il ne pouvait être prolongé qu’avec l’accord du gouvernement. Aussi, au début de 2015, Peter Mertens, président du PTB, a-t-il interpellé Bart De Wever à propos du respect des conditions imposées par la loi. Il était clair qu’à l’époque, la présence de militaires dans les rues pour l’exécution de tâches policières avait été décidée de façon illégale.
Donc, fin 2014 déjà, avant les attentats à Charlie Hebdo, Jambon voulait que l’aide de l’armée puisse être demandée à partir du niveau de menace 3, sans mandat limitatif et de façon illimitée dans le temps, sur base d’une décision du Conseil national de sécurité (et non plus, par conséquent, du gouvernement tout entier), sans décision gouvernementale spécifique pour chaque opération, ou sur demande d’un bourgmestre ou de la police fédérale (11). À l’époque, son collègue de parti Vandeput, ministre de la Défense, n’y était pas encore favorable, car il pensait que « les gens ne sont pas prêts à voir des militaires armés dans le paysage urbain ». Les gens auraient-ils changé depuis lors ?
Outre des objections légales à l’engagement de militaires dans la sécurité intérieure, de nombreuses autres objections peuvent être soulevées. Les soldats reçoivent une formation très spécifique, qui les prépare à la confrontation avec d’autres parties armées (armées, insurgés, guérilla), avec un matériel qui n’est pas conçu pour être engagé contre une population civile. L’armée ne peut pas garantir la proportionnalité de la réaction armée, c’est comme vouloir tuer au marteau une mouche sur une vitre. Vincent Gilles, le président du syndicat de la police SLFP, a déclaré que les agents de police et les militaires n’ont pas les mêmes tâches et que le mieux serait de donner à la police les moyens nécessaires pour pouvoir assurer la sécurité intérieure.
Un large débat social et politique est nécessaire
Cette évolution a lieu en l’absence de tout débat politique digne de ce nom, alors qu’une discussion sur l’efficacité de la militarisation dans la lutte contre le terrorisme et contre la criminalité serait bien nécessaire. Il suffit de penser aux cas des États-Unis ou de la France : en France, il y a 25 ans, on a introduit le système Vigipirate dans le but de prévenir et de combattre les actes de terrorisme. Le coût en avait été estimé à l’époque à plus de 25 000 euros par jour. Cela fait donc 25 ans déjà que des policiers et des militaires lourdement armés patrouillent dans les villes françaises. Aucune de ces mesures n’a pu cependant déjouer l’attentat à Charlie Hebdo, où la plupart des journalistes, se sachant menacés depuis des années, avaient pourtant des gardes du corps personnels.
Toujours dans la même tribune du 7 décembre 2015 (12), Paul Ponsaers s’interroge : « Longtemps déjà avant l’enfer parisien du 13 novembre 2015, il était clair que la politique d’économies du gouvernement belge érodait constamment la philosophie qui était à la base du système policier belge introduit en 2001 à l’occasion de la réforme de la police, à savoir celle d’une police de proximité ou community policing (COP) (voir plus haut). […] Aujourd’hui, le modèle de “contrôle” s’infiltre dans le processus décisionnel politique, avec une certaine insistance sur la lutte contre le crime et le maintien de l’ordre public (Law & Order Police) et la police finit par se retrouver plus éloignée du public. […] Aujourd’hui, nous voyons que les autorités […] élaborent aveuglément toutes sortes de mesures surtout orientées vers le développement du volet répressif de la lutte contre le terrorisme et qui laissent carrément de côté le volet préventif. Ainsi, il est question du développement d’une banque de données pour les gens qui reviennent de Syrie, alors que nous aurions dû empêcher que des jeunes se rendent en Syrie grâce à la vigilance et au soutien des enseignants et des parents. Nous engageons des militaires dans des missions de surveillance d’espaces publics afin de décharger la police, alors que nous aurions dû renforcer la police dans sa mission de prévention avant que le mal ne soit fait. Nous étendons la liste des méfaits terroristes, introduisons des techniques de recherche et d’information dans les opérations antiterroristes, élargissons le recours à des appareils d’écoute et d’autres mesures encore. Toutes ces mesures s’appuient sur la même foi aveugle dans la force dissuasive des recherches et des sanctions contre des jeunes déjà radicalisés qui, sans la moindre peur, font exploser la ceinture d’explosifs qu’ils portent sur eux. Quel genre de sanctions devraient-ils craindre ? La quasi-totalité des experts est d’accord pour dire que seule la prévention peut être efficace et, pendant ce temps, le gouvernement regarde sans rougir dans l’autre direction. […] Nous savons que l’influence de la police sur la criminalité est très limitée, parce que les causes de la criminalité se situent en dehors de la sphère d’influence de la police. Une police de proximité remplit au contraire un très grand nombre de tâches, comme le maintien de la paix ou des tâches sociales qui, généralement, n’ont rien à voir avec la délinquance et qui la mettent de plusieurs manières en contact avec des personnes vulnérables de la société. Un accent exagéré sur la lutte contre la délinquance aliène la police vis-à-vis de la population. »
De plus, le fait que la centralisation de la police soit encouragée par le gouvernement sous prétexte d’économies à réaliser donne matière à réflexion. Ponsaers explique : « Aux Pays-Bas, Gerard Bouman, le chef de corps de la police, qui a entre-temps été organisée au niveau national, a démissionné après la faillite publique du nouveau système national. La création d’une police nationale a été présentée comme la solution miracle à tous les problèmes de la police néerlandaise, alors qu’en même temps, le modèle du “consentement” était rejeté sur la défensive au profit d’un modèle de “contrôle” de plus en plus poussé. »
La police de proximité se retrouve grandement sous pression.
Ajoutez à cela que le passage à une échelle plus grande affaiblit le contrôle démocratique sur la police. Le contrôle politique sur la police organisée en « zones de police » s’en trouve affaibli.
Mais, dit encore Ponsaers, « le principal problème réside dans le fait que, de plus en plus, l’État impose des économies dans le champ des services sociaux. De ce fait, la police de proximité se retrouve grandement sous pression. Les partenariats avec des écoles, des travailleurs en milieu de jeunes, des maisons de quartier et autres sont ramenés à une pure rhétorique symbolique du fait que ce monde associatif social n’a plus de marge de manœuvre financière. La tâche de la police se réduit de plus en plus à combattre des symptômes par manque de moyens suffisants pour prêter sa collaboration à un projet urbain réel. […] Il en résulte que, dans certains quartiers de la région bruxelloise, le cancer de la radicalisation a pu proliférer sans que l’on intervienne contre les racines du mal. »
Le gouvernement ne cesse de parler d’une police meilleure et plus efficace. Mais le plan présenté revient toutefois et surtout à appliquer des économies et il mènera à une situation dans laquelle ceux qui peuvent payer seront les seuls à être protégés.
Les gouvernements de droite veulent moins de dépenses publiques parce qu’il y a moins de rentrées du fait qu’ils veulent, une fois de plus, réduire les impôts au profit des multinationales. Moins de dépenses publiques et un dégraissage des services publics signifient aussi moins de prestations de services. Le détricotage de la sécurité sociale et des services publics aboutit à l’insécurité sociale et à la peur. Ni les parents, qui ont de plus en plus de mal à combiner famille et travail, ni les écoles sous-financées, ni les travailleurs sociaux de moins en moins nombreux ne peuvent continuer à traiter les problèmes d’un système économique qui plonge de plus en plus de monde dans la marginalité. La pénurie croissante d’emplois et le fait qu’un impôt sur les grosses fortunes est tabou font que la concurrence se joue surtout entre les pauvres et ceux qui le sont un peu moins. Les travailleurs doivent renoncer à leur emploi et à leur revenu parce que les actionnaires veulent 15 % de rendement sur leur capital. En même temps, dans leurs quartiers, ils sont victimes de cambrioleurs de voitures encore plus pauvres qu’eux et qui ne sont pas équipés pour aller faire leurs coups dans les quartiers riches, mieux sécurisés et mieux gardés. La société actuelle est de plus en plus dure en raison des inégalités croissantes, de l’égoïsme qui se répand de plus en plus et du fait qu’on a de moins en moins conscience de la norme.
Ce gouvernement s’appuie sur la vision néolibérale selon laquelle une police publique démocratique coûte trop cher. La police est évaluée selon son rendement, comme une entreprise privée. Mais la police n’est pas une entreprise privée et le rendement économique ne peut en aucun cas être son point de départ. Le gouvernement ne cesse de parler d’une police meilleure et plus efficiente. Mais le plan présenté consiste surtout à faire des économies et la privatisation débouchera sur une situation où seuls ceux qui peuvent payer seront protégés. Il est essentiel au contraire que l’on mette l’accent sur l’aspect « police de proximité », c’est-à-dire sur une police compétente qui puisse accompagner les victimes et les orienter judicieusement, une police qui apporte son soutien à la commune dans le domaine de la circulation en lui signalant, par exemple, les carrefours dangereux, une police qui joue un rôle d’accueil, avec des locaux accessibles et ouverts régulièrement aussi en dehors des heures de bureau, une police qui donne des avis en toute connaissance de cause (13). Tout cela sera érodé par la réforme qui se prépare.
Dans un trop grand nombre de quartiers, les choses ne vont pas bien.
Dans un trop grand nombre de quartiers, les choses ne vont pas bien et la population se sent en insécurité. Les agents de quartier doivent avoir suffisamment de temps à passer en rue, dans leur quartier. Un agent de quartier qui connaît les gens de son voisinage et qui, de même, est connu des gens peut prévenir nombre de problèmes. Il doit y avoir davantage d’agents de quartier et il conviendrait d’installer nombre de petits postes de police supplémentaires. Ce n’est que pour une petite partie des infractions à la loi que la police parvient à mettre la main sur un suspect. De ce petit pourcentage, un plus petit encore se retrouve devant le juge. Par manque de capacité, la police pose désormais des priorités et des affaires restent en suspens. La capacité de la police et de la justice doit être étendue et toutes les dépositions doivent pouvoir être traitées.
Face à la grande criminalité organisée, la force de frappe et l’expertise doivent s’accroître. Il convient de s’attaquer davantage à la criminalité sur Internet, aux pratiques de blanchiment et aux imbrications de la criminalité organisée avec le monde des affaires.
Un grand nombre de délits sont commis à partir d’un bureau, comme la fraude dans la construction, les faillites frauduleuses ou la fraude immobilière. La lutte contre cette fraude en col blanc, qui entraîne chaque année la perte de milliards d’euros, doit donc être une priorité. Il faut donc augmenter le nombre d’experts dans la police, dans le ministère public et dans le pouvoir judiciaire, et ces experts ne doivent pas être cédés au privé. La démocratie et l’appareil de l’État ont un coût mais ne doivent pas être gérés avec une logique d’entreprise. L’État doit travailler de façon efficiente sans pour autant aller à l’encontre de la démocratie, sinon la démocratie est prise en otage, comme c’est déjà le cas au sein d’organisations comme le VOKA. Finis alors les longs débats sur le fond, finie la minutie dans le travail de la police, nous aurions droit à la place à des décisions prises rapidement pour chercher à faire des économies, car le droit de s’opposer au nom de la démocratie coûte temps et argent.
Le rôle du bourgmestre et du conseil communal dans le contrôle disciplinaire de la police constitue également un aspect important du contrôle démocratique et ne doit absolument pas être restreint.
La privatisation de la police et des tâches policières, le fait de remplacer par une police privée une police publique en principe démocratiquement contrôlée, même si c’est de façon insuffisante, est un important problème pour la démocratie, car le privé n’est pas lié par la loi sur le service de police intégré. Le mieux serait que des ONG comme la Ligue des droits de l’homme puissent elles aussi siéger dans le comité de contrôle de la police.
Les fonctionnaires qui sont au courant de délits de fraude ou de corruption devraient être tenus à une obligation de parole, sans bien sûr avoir à en subir de conséquences négatives.
Jobs, jobs, jobs ?
Au lieu de laisser certaines tâches s’en aller vers le privé, le ministre pourrait appliquer une réorganisation interne, avec maintien du statut public. Les tâches d’appui (le back office) de la police ne doivent pas nécessairement être assumées par des policiers, mais pas non plus nécessairement par le secteur privé. Elles peuvent être effectuées, par exemple et selon le cas, par des vigiles urbains, par du personnel communal, par le personnel civil de la police. Le ministre pourrait également examiner ce qui existe, par exemple, du côté de Selor, le service de recrutement de l’État, pour opérer la sélection (14).
Les syndicats de la police s’opposent totalement au plan de réforme de Jambon. Pour de nombreux policiers, la privatisation sera un grand pas en arrière sur le plan des salaires et sur le plan des conditions de travail. Par ailleurs, la CSC parle d’un risque de suppression de 10 000 emplois et la CGSP prétend que les fameux 2 500 postes nouveaux promis ne seront que des mutations d’un corps vers un autre. De même, avec 450 nouvelles recrues pour la police locale et 400 pour la police fédérale, on est bien en dessous du chiffre de 1 600 qui avait été prévu pour 2015, alors même que 2 500 policiers auront droit à la pension cette année et 3 500 autres d’ici à 2019. Les syndicats déplorent également le manque d’investissements dans le matériel scientifique et il est à craindre que, comme dans d’autres pays, la police ne coure loin derrière les services privés de sécurité.
1 Jens De Koker, Marktanalyse van de private veiligheidszorg in België, Université de Gand, 2008, http://lib.ugent.be/fulltxt/RUG01/001/315/621/RUG01-001315621_2010_0001_....
2 Des fonctionnaires compétents pour la découverte de faits punissables dans certains domaines, comme la chasse, l'environnement, les parkings…
3 Ferdi Schrooten, « Veiligheid te koop », Wegener Dagbladen, 24 février 2000, http://www.tegenwicht.org/10_amerikanisering/veiligheid.htm.
4 Ibid.
5 Beveiliging Nieuws, vendredi 22 juin 2012.
6 Matthew Taylor. « How G4S is 'securing your world' », The Guardian, 20 juin 2012. http://www.theguardian.com/uk/2012/jun/20/g4s-securing-your-world-policing.
7 Avocate à People’s Lawyers Network à Anvers.
8 La source de cette description de l’évolution générale est le texte suivant : Marleen Easton et René Moelker, « Constabularisering en militarisering: groeien politie en krijgsmacht naar elkaar toe ? », http://expertise.hogent.be/files/5987734/Constabularisering_en_Militaris...
9 Paul Ponsaers, « De politie, nog altijd uw vriend? », De Redactie.be, 7 décembre 2015, http://deredactie.be/cm/vrtnieuws/opinieblog/opinie/1.2517293.
10 Karl Van den Broeck, « Het leger waakt over binnenstad en begroting », Apache, 8 décembre 2014, http://www.apache.be/2014/12/08/het-leger-waakt-over-binnenstad-en-begro....
11 Projet de loi contenant le budget général des dépenses pour l’année budgétaire 2015, rapport, Chambre des représentants, 12 décembre 2014, https://www.dekamer.be/flwb/pdf/54/0496/54K0496036.pdf.
12 Paul Ponsaers, op. cit.
13 Voir Paul Ponsaers, encadré, plus haut.
14 Ibid.
Réagir à cet article ? Envoyez un mail à redaction@solidaire.org.