Édouard Louis : « Pour la classe ouvrière, la politique est une question de vie ou de mort »

Cette année, ManiFiesta reçoit des pointures du monde littéraire français. À seulement 28 ans, Édouard Louis est déjà reconnu à l’international. Il sera présent à la grande Fête de la Solidarité à Ostende. Nul doute que le jeune écrivain s’y sentira comme chez lui : dans ses romans, Édouard Louis s’en prend aux élites politiques, qu’il considère responsables des grandes inégalités et de la misère qui en découle.

«Je veux surtout montrer que la violence des opprimés n’est qu’un écho de la violence des oppresseurs. » Édouard Louis le répète dans de nombreuses interviews. C’est ce qui l’a finalement incité à prendre la plume, lui, le fils d’une famille ouvrière d’un morne village de Picardie, dans le Nord de la France. Dans son premier roman En finir avec Eddy Bellegueule (2014), Louis retourne dans ce lieu désolé de sa jeunesse, où il a dû tenir bon dans un climat délétère d’agressions, d’alcoolisme, d’homophobie, de sexisme et de racisme.

Jusqu’au début des années 1980, presque tous les habitants travaillaient dans une usine locale. Mais les restructurations se sont succédé et la plupart des gens se sont retrouvés au chômage et dans la pauvreté. Le père d’Édouard a travaillé à l’usine pendant dix ans, jusqu’à ce qu’un accident de travail lui brise le dos. Sa mère était femme au foyer. Édouard a fui son lieu de naissance. Il est parti étudier à Paris et s’est lancé dans la littérature.

Son œuvre est étroitement liée à l’histoire de sa vie. À travers le prisme de son vécu, Louis observe la société et crache impitoyablement sur les injustices structurelles qu’il y voit. Son premier roman l’a fait connaître, mais les suivants lui ont également assuré une renommée mondiale : Histoire de la violence (2016) et Qui a tué mon père (2018). Dans son récent ouvrage Combats et métamorphoses d’une femme, il dépeint la vie de sa mère.

Attaqués par le politique

« La violence et les tensions quotidiennes dans la société sont trop facilement ignorées et niées... Nous vivons dans un monde extrêmement violent, marqué par l’exclusion sociale, la domination de classe, l’homophobie et le racisme. Un monde qui structure et reproduit la violence, en quelque sorte. Pourtant, cette question est à peine abordée dans la littérature et le discours politique contemporains. »

En tant qu’écrivain, Édouard Louis s’est fixé comme objectif de donner à ce monde violent une place dans la littérature. Le non-engagement n’est pas une option. Ses opinions politiques sont mises au premier plan, sans aucune retenue.

Mais pour ce jeune auteur, cela coule de source : « J’ai toujours ressenti la politique directement dans mes os, dans ma chair et mon sang. Pour notre famille, dans le Nord, un nouveau gouvernement pouvait faire un monde de différence. Nous nous sentions constamment attaqués par le politique. Pourrons-nous manger suffisamment à la fin du mois ? Pourrons-nous bénéficier de l’aide sociale ou vont-ils l’abolir ? Rembourseront-ils certains médicaments ? Ça nous préoccupait jour et nuit. Quand on est confronté à ce genre de problèmes, on pense directement à la politique. »

Macron rend les pauvres plus pauvres

Aux yeux d’Édouard Louis, les écrivains ont un rôle social à jouer. La littérature qui se met entièrement au service de l’élite culturelle ne l’intéresse pas. « Celui qui appartient à la classe ouvrière a conscience que la politique est une question de vie ou de mort. C’est pourquoi la politique résonne si fort dans mes livres. Parce que tous ces Parisiens huppés qui écrivent des romans ont rarement vécu la politique dans leur chair. Quel que soit le gouvernement en place, ils pouvaient aller tranquillement au restaurant, et continuer à jouer les grands marxistes. La bourgeoisie est protégée de la politique, alors que les pauvres y sont constamment soumis. »

Édouard Louis ne se contente pas de parler de politique dans ses romans. Par ailleurs, il n’hésite pas à exprimer ses opinions tranchées dans des cartes blanches et des interviews. La politique actuelle le fait littéralement pleurer. L’élection de Macron à la présidence de la France a été pour lui un drame, parce que ce président ne changerait rien.

« Macron méprise l’homme du peuple et les classes inférieures. Il va rendre les pauvres encore plus pauvres. » Édouard Louis est ainsi devenu l’ambassadeur d’une littérature dans laquelle l’homme ordinaire peut se reconnaître, une littérature dans laquelle la vie de la classe travailleuse obtient la place qu’elle mérite. 

Penser la gauche aujourd’hui

Édouard Louis s’entretiendra avec son camarade de lutte Geoffroy de Lagasnerie (photo) à ManiFiesta. Ce dernier est philosophe et sociologue, et montre un intérêt particulier pour les stratégies et les mentalités de la gauche. Leur but ? Aider la gauche à aller de l’avant, remporter des victoires offensives, et pas seulement empêcher les reculs sociaux. Aux yeux de Geoffroy de Lagasnerie, les chercheurs en sciences sociales doivent aussi remettre en question la domination et les injustices du système capitaliste. Ensemble, ils discuteront des défis actuels de la pensée de gauche.

PENSER LA GAUCHE AUJOURD’HUI, conférence à ManiFiesta, le dimanche 12 septembre
Plus d'informations sur www.manifiesta.be.