"En tant que soignante, ma préoccupation est la santé de mes patients" | Coronavirus, des nouvelles du front (12)

Perle Gillet, médecin généraliste, nous partage son quotidien et la pression qui est mise sur le personnel des maisons de repos à cause du Coronavirus. Elle nous relate ici le cas d'une travailleuse de maisons de repos qu'elle a eu en consultation.

Lundi, je suis en téléconsultation avec une travailleuse en maison de repos. Elle a du mal à finir ses phrases car elle est essoufflée, elle ne se sent pas bien et vient de faire un pic de température. Je la mets directement sous certificat d’incapacité pour une semaine et je l’envoie faire un test covid à l’hôpital. Celui-ci s’avère négatif mais ses symptômes sont parlants. Je lui explique qu’il y a 30% de tests « faux négatifs », qu’elle est quand même peut-être atteinte et que je la rappellerai régulièrement pour prendre des nouvelles.

Jeudi, je reçois un appel de la RH de cette maison de repos, elle a appris que le test de son employée était négatif. Elle me dit : « vous comprenez, on a beaucoup de résidents, et ce n’est pas possible de fonctionner sans personnel, il faut que vous fassiez un certificat de reprise de travail »… Je lui réponds que je suis désolée, mais que ma patiente ne reviendra pas cette semaine. Je comprends son désarroi, mais il ne faut pas confondre les rôles, en tant que soignante, ma préoccupation est la santé de mes patients.

Elle enchaine sous un autre ton : elle m’explique qu’elle a téléphoné à l’AVIQ et à l’ordre des médecins le matin même et qu’ils sont formels, le personnel des maisons de repos doit travailler, même si le test covid se révèle positif (!), tant que les travailleurs ont le matériel adéquat à disposition. Elle me raconte alors qu’elle a sonné à d’autres médecins qui ont accepté de faire des certificats de reprise, mais que c’est moi qui décide… Encore bien ! Déjà, je trouve ces recommandations insensées, ensuite, elle n’a pas à savoir pourquoi ma patiente est sous certificat, et enfin, ce n’est certainement pas son rôle de me dire comment travailler.

Je recontacte la patiente, elle n’est vraiment pas bien, je la verrai même en consultation le lendemain car son état m’inquiète. Bilan de cette entrevue, je la prolonge d’une semaine… Coronavirus ou pas (j’ai la conviction que oui), elle n’a clairement pas l’énergie nécessaire pour travailler. Et par-dessus tout, je ne prendrai pas la responsabilité de la mettre en contact avec des personnes déjà affaiblies par ce confinement, avec pour seule protection un masque chirurgical à porter 8 heures d’affilée…