Grains noirs : « Ce n’est pas parce que l’entreprise est en difficulté que l’on doit baisser son pantalon »

Le mardi 17 mars, la direction de l’atelier traiteur Grains noirs situé à Molenbeek licencie 9 travailleurs, dont 3 délégués syndicaux de la FGTB-Horval pour faute grave. Leur crime ? Avoir mangé dans l’atelier... Dès le lendemain, la grosse majorité des ouvriers de l’atelier se met en grève. Les 9 travailleurs seront finalement réintégrés le samedi suivant. Solidaire a rencontré Baudouin Ferrant, permanent syndical FGTB-Horval, pour revenir sur cette victoire.

Les travailleurs de l’entreprise Grains noirs préparent des produits frais pour des enseignes comme Delhaize ou Pain Quotidien, des pains surprises pour des particuliers. Si les 9 travailleurs sont mis à pied pour deux semaines, ils sont surtout réintégrés. Retour sur cette victoire, et sur la solidarité qui en a été le moteur.

Pour quelle raison pensez-vous que la direction a tenté de licencier ces travailleurs ?

Baudouin Ferrant. Ce n’est malheureusement pas la première fois que nous avons des problèmes avec cette entreprise. Il y a une quinzaine d’années déjà, sous une autre direction, des travailleurs s’étaient plaints de prester des heures non déclarées et de ne pas recevoir l’entièreté de leur salaire. L’inspection sociale avait fait son travail jusqu’à ce que l’employeur disparaisse dans la nature. Après avoir été rachetée par la multinationale américaine Hain Celestial, Grains noirs, au bord de la faillite, est passée il y a un an sous la direction de 3 managers actionnaires.

La direction a installé pas moins de 31 caméras qui enregistrent, tous les jours, les faits et gestes des travailleurs

Au fur et à mesure des années, le nombre de travailleurs a diminué dans l’entreprise, passant en à peine 5 ou 6 ans d’une nonantaine à environ 70 travailleurs. Ils sont moins nombreux et la pression augmente pour ces travailleurs qui font face à des conditions difficiles : flexibilité, cadences soutenues, petits salaires, travail dans le froid, pas de cantine ni de vestiaire dignes de ce nom… La direction a installé pas moins de 31 caméras qui enregistrent, tous les jours, les faits et gestes des travailleurs. Ca en dit déjà beaucoup sur l’atmosphère de travail ! Malgré cette situation, les travailleurs ont toujours été combatifs et très solidaires. Ils n’ont par exemple pas hésité à faire grève en décembre pour protester contre les mesures d’austérité du gouvernement. La combativité des travailleurs et de la délégation syndicale dérange fortement la direction qui ne cherche qu’à augmenter son chiffre d’affaire. Les managers qui dirigent ne savent pas ce qu’est la concertation, ils veulent montrer que ce sont eux qui dirigent.

Qu’est-ce qui a obligé la direction à les réintégrer ?

Baudouin Ferrant. La solidarité, c’est ça la clé de notre victoire. La direction a été surprise par le mouvement de grève. Malgré leur petit salaire, c’est quasiment l’ensemble de l’atelier qui s’est mis en grève pour protester contre le licenciement de leurs collègues et délégués. Et dans une entreprise de just in time (méthode de gestion et d’organisation de la production industrielle qui limite au maximum le stockage) comme Grains noirs, les conséquences d’un arrêt de travail se font beaucoup plus vite ressentir. Le just in time, c’est un peu le talon d’Achille du capitalisme !

La réaction de la direction, sous pression, ne s’est pas fait attendre. Deux jours après le début de la grève, elle propose la réintégration des 3 délégués licenciés et le maintien du licenciement des 6 autres travailleurs, qui seront convoqués individuellement dans le but de trouver un arrangement. Mais tous les 6 sont déterminés à se défendre jusqu’au bout contre l’accusation qu’ils réfutent. Ils ne cèdent pas à la pression de la direction.

​Le just in time, c’est un peu le talon d’Achille du capitalisme

Mais la solidarité, nous l’avons aussi ressentie au piquet. Coups de klaxon, visites d’anciens collègues, plusieurs visites de solidarité dont celles du PTB et des travailleurs de la maison médicale de Médecine pour le Peuple Molenbeek. Ca fait chaud au cœur, et ça a encouragé les travailleurs dans leur combat.

Les attaques contre les délégués sont-elles plus fréquentes ces derniers temps ?

Baudouin Ferrant. C’est ce qu’on appelle un peu ironiquement « la période des soldes »… Plus les élections sociales se rapprochent, moins cher coûte aux employeurs le licenciement d’un délégué. Donc, oui, il y a plus de pression et d’intimidation envers les délégués, mais pas uniquement. Ce n’est pas seulement une période à risque pour les délégués, mais pour l’ensemble des travailleurs. Nous ne sommes pas naïfs. Si la direction persévère dans son objectif de se débarrasser des travailleurs, il n’y aura bientôt plus de Comité pour la prévention et la protection au travail (CPPT) à Grains noirs. L’enjeu est important pour les moyennes entreprises, puisqu’il faut un minimum de 50 travailleurs pour pouvoir élire un CPPT. Et ce n’est pas sans intérêt pour les travailleurs, d’autant que sans Conseil d’entreprise (CE) dans le cas de moins de 100 travailleurs, c’est le CPPT qui reprend ses missions les plus importantes (situation économique et emplois). Le CCPT s’occupe de tout ce qui concerne la sécurité, l’environnement, la santé et la qualité de vie au travail. En sachant cela, protéger l’emploi de chacun des travailleurs est évidemment dans l’intérêt de tous les travailleurs d’une entreprise.

Plus les élections sociales se rapprochent, moins cher coûte aux employeurs le licenciement d’un délégué

J’ai bientôt 63 ans, j’en ai connu des luttes syndicales. J’ai pu voir dans ma carrière que les patrons ne manquaient jamais de créativité pour faire pression sur les travailleurs en grève. Très souvent, ils brandissent la menace de la restructuration, la délocalisation, même quand l’entreprise fait des bénéfices. Cette victoire à Grains noirs prouve que même dans un conflit où l’entreprise est en déficit, c’est possible de gagner. Ce n’est quand même pas parce que l’entreprise est déficitaire que l’on doit baisser son pantalon, et accepter de perdre injustement son emploi.