Grève à bpost : « Tous les matins, j’arrive plus tôt que prévu en sachant finir plus tard que prévu... »

Les facteurs des bureaux de poste Liège 1, Liège 2 et 3 se sont mis en grève ce lundi 5 décembre. D’autres actions en front commun syndical suivent depuis, et visent à dénoncer les priorités de bpost, prête à racheter l’entreprise postale néerlandaise PostNL pour plus de 2 milliards alors que les conditions de travail des postiers ne font qu'empirer. Explications.

85% des agents étaient à l’arrêt dans les bureaux 1, 2 et 3 de Liège le 5 décembre. Une sorte de grève tournante s’est ensuite mise en place et s’est poursuivie avec la mise à l’arrêt du service des transports. Le mouvement s’est étendu par la suite avec le blocage du centre de tri d’Awans. La colère et l’inquiétude sont généralisées chez bpost, d’autant que la menace de privatisation se précise de plus en plus.

Des conditions de travail alarmantes

L'image moderne et rutilante que voudrait offrir bpost est à mille lieues des réalités que vivent les postiers au quotidien.

Laurent a 26 ans et travaille pour bpost en région liégeoise depuis six mois : « Quand je suis venu prendre mon service, hier matin, je dois avouer que le cœur n'y était pas. Comme tous les matins depuis mon entrée chez bpost, je me suis présenté une demi-heure à l’avance avec la certitude de finir ma journée en retard. Il m'est déjà arrivé de faire des journées de 10 heures, alors que je suis payé pour 7h36 de travail. Et pas la peine de penser pouvoir prendre une pause. »

Thierry, 46 ans et statutaire : « La surcharge de travail sur le terrain est bien réelle. La réorganisation permanente que nous connaissons depuis plus de 10 ans, avec notamment les plans "Géoroute" successifs, a pour conséquence de voir la masse de travail augmenter sans fin. Cette année, pour le même temps de travail, on a encore allongé ma tournée de 200 boîtes. Même si on aime bien nous rabâcher que le courrier diminue, nous avons de plus en plus de colis et, avec les fêtes, nous sommes vraiment dans un pic. J'ai de la bouteille et je n'ai pas peur de laisser du courrier au bureau pour ne pas dépasser continuellement mon temps de travail, même si je sais que ce n'est pas bien vu par mes chefs. Mais la pressions qu'on met sur les nouveaux qui ont des contrats précaires est pire. Pour eux, c'est très difficile de refuser. »

Myriam, 34 ans : « Dans mon bureau, les syndicats ont tenté une action de sensibilisation il y a quelques semaines, à l'occasion d'Halloween, pour dénoncer la situation catastrophique dans laquelle nous nous trouvons suite à la réorganisation permanente. Cette action était différente des traditionnelles actions de grève. Elle dénonçait sur un ton humoristique les conditions de travail qui sont de plus en plus difficile. Mais cela a été plutôt mal perçu par la direction, qui c’est montrée indignée. »

bpost, une boîte qui rapporte

Koen van Gerven, le CEO de bpost, peut se targuer d'un salaire annuel brut de près 750 000 euros. Laurent, lui, à la fin du mois devra s'en sortir avec 1346 euros net. Pourtant, c'est grâce au travail de centaines de postiers comme Laurent, Thierry ou Myriam, que bpost peut afficher une santé de fer. Une santé qui se traduit par 258 millions d’euros de dividendes versés à ses actionnaires pour l’année 2015 et qui lui permet même de prétendre au rachat de PostNL pour 2,546 milliards d’euros.

« Face aux déclarations de reprise de la poste néerlandaise, les agents estiment que cet argent devrait d'abord servir à améliorer les services que les clients de bpost méritent. » C’est ce qu’indiquait le communiqué de presse des syndicats en lien avec la grève du 5 décembre. Au Nord du pays, on partage la même inquiétude. L’ACOD (l’aile néerlandophone de la CGSP) s’inquiète elle aussi des conséquences d’une telle offre, et ne sait pas dans quelle mesure le personnel sera à nouveau pénalisé pour pouvoir la payer.

La fête, mais pas pour tout le monde

En période de fêtes, la masse de colis augmente fortement. C’est bien sûr le moment idéal pour se faire des cadeaux et, avec l’explosion de l’e-commerce, la charge de travail croît en conséquence pour les postiers. Cette situation rend les problèmes de personnel encore plus aigus.

Malgré certains gestes plutôt symboliques de la direction, on est loin du nombre d’agents qu’il faudrait pour effectuer la distribution du courrier excédentaire dans des conditions acceptable. De plus, le personnel engagé en renfort ne l’est que sur une courte période et est peu qualifié. Pourtant, les colis sont le segment dont le chiffre d’affaire augmente le plus chez bpost, et est celui sur lequel elle se base pour construire son avenir.

Inquiétudes

Les syndicats s’inquiètent à juste titre des négociations en cours avec PostNL, surtout qu’une grande partie s’est faite en secret. Ils craignent que ce ne soit qu’un nouvel épisode dans le processus de privatisation auquel ils assistent depuis les années 1990. La fusion avec PostNL ne diminuera certainement pas la souffrance au travail, car le travail indépendant est la norme dans cette entreprise.

La manière dont Koen Van Gerven traite actuellement son personnel n’inspire en tout cas pas confiance au PTB quant aux perspectives de cette fusion. Le parti de gauche n’est pas opposé part principe à la fusion, mais pas sans garanties pour le personnel et pour les usagers. Le ministre Alexander de Croo avait garanti aux postiers le maintien de leur statut. Mais comment compte-il y arriver, avec seulement 40 % d’actions appartenant à l’État belge, et un management très orienté vers les intérêts du privé ?