Grève en Flandre-Orientale : « Défendre ce pour quoi nos (arrière)-grands-parents se sont battus »

Lundi 1er décembre, deuxième journée provinciale de grève en Belgique : Solidaire a fait le tour de la région de la Dendre, dans le sud de la Flandre-Orientale.

Erembodegem (Alost). « Pour les gens des PME »

Erembodegem, près d’Alost, dans la zone industrielle Zuid III. Le directeur de l’intercommunale des déchets, irrité, longe le piquet installé par les syndicats à une entrée de la zone. Son personnel commence à arriver et il veut s’assurer que personne ne fera demi-tour. Ils doivent passer. Les syndicats n'empêchent cependant pas le passage des volontaires. 

« L’ambiance ici au piquet est bonne, mais c’est dans notre entreprise qu’elle ne l’est pas », entame Monique, déléguée CSC-Metea à la câblerie Nexans. Et il ne faut pas chercher la raison très loin : « Les bonus et les bénéfices vont aux employeurs mais, pour les travailleurs, c’est tout juste s’il y a des miettes, alors qu’ils bossent très dur, explique Monique. Chez nous, la pression de travail ne cesse d’augmenter. On ne se voit pas du tout travailler jusqu'à 67 ans. Pour finir, on va devoir mettre des déambulateurs près des machines. On refuse de céder ce pour quoi, dans le passé, les travailleurs se sont battus. »

« La grève est bien suivie, poursuit Monique. Nous avons distribué des tracts et expliqué l’enjeu à nos travailleurs. » Est-ce qu’il aura un résultat ? « Nous continuerons jusqu’à ce qu’il y en ait un. »

Vers 5h30 arrive Erwin Callebaut, président de la FGTB Flandre-Orientale, qui vient rendre visite au piquet d’Erembodegem. « Dans la région d’Alost, il y a, en tout, une centaine de piquets, précise-t-il. Cela a été un énorme défi d’approvisionner tous ces piquets en café et en croissants. Pour vous donner une idée : avec les trois syndicats, nous avons fini par constater qu’ensemble, nous n’avions pas assez de thermos pour tous les piquets. (Rire.) »

Plusieurs PME sont installées dans la zone industrielle. « Dans les entreprises où il n’y a pas de délégation syndicale – et à Erembodegem il y en a quelques-unes – c’est nous qui, en tant que syndicat, menons les négociations avec la direction. Eh bien, avec les mesures gouvernementales actuelles, nous ne devons même plus venir ici, car il n’y a plus de marge de négociation. C'est pourquoi, lors de la grève, nous sommes également de piquet sur ce terrain industriel. Dans une grande entreprise, les travailleurs sont plus forts. Dans une PME, c’est plus difficile. Les gens des PME sont en fin de compte les plus grandes victimes. Nous devons donc aider ces travailleurs. »

Et après le 15 décembre ? « Après le 15, nous évaluerons. Avons-nous pu changer quelque chose ? Mais nous réfléchirons aussi au niveau interne : sur quelle ligne se situe notre base syndicale ? » 

Erpe-Mere. « Nous ne nous attendions pas à ce que vraiment personne ne se présente »

Une dizaine de kilomètres plus loin, le long de l'E40, se situe la zone industrielle d'Erpe-Mere. Devant les portes de l'imprimerie Corelio Printing, il y a un piquet.

« Ici, personne n'est venu travailler. Oui, à un ou deux chefs près, raconte le délégué CSC Arne Loccufier. Pourtant, il y avait pas mal de voix critiques. Mais, au sein de leur équipe, les délégués ont fait de l'excellent boulot pour expliquer d’une façon bien étayée pourquoi il fallait faire grève aujourd'hui. Honnêtement, nous ne nous attendions pas à ce que vraiment personne ne se présente. » 

D’autres délégués en grève de quelques entreprises voisines, comme Aldi et Du Caju Printing, se sont postés au piquet face à Corelio Printing. Danny, par exemple, délégué CSC à Du Caju Printing. « C’est toujours chez les petits qu’ils vont chercher, lance-t-il. Le grand capital, ils le laissent bien tranquille. » Il explique que faire grève dans une petite entreprise est nettement plus difficile pour énormément de gens. Dans son entreprise, il n’y a donc que les délégués qui font grève.

Zottegem. « C'est la première fois que nous menons une action aussi dure. »

Cap ensuite vers Zottegem, où on a entendu dire qu’il y avait des piquets. On en voit un premier, à l’atelier protégé de Zottegem. Ici, nous tombons sur des délégués contents de la détermination à faire grève. Le délégué principal FGTB  Dirk De Spiegeleer : « Tout le monde en a marre que tout retombe sur le dos du simple citoyen, qui économise pour acheter une voiture ou pour rembourser sa maison. Puis, on a encore le saut d'index et le blocage des salaires. C'est grâce à l’index que notre salaire augmente encore un petit peu. Notre frustration, c’est que c'est toujours nous qui devons faire les sacrifices. Nous devons mettre la pression sur le gouvernement. »

Son collègue Rudy Roos de la CSC vient l’épauler : « La prime de soins augmente, au niveau flamand (une taxe d’un montant forfaitaire que tout le monde doit payer en Flandre, NdlR). Tout devient plus cher. Et ce sont les plus faibles qui sont le plus durement touchés. Dans les lieux de travail, les gens sont vraiment mécontents des mesures gouvernementales. Cela, nous le voyons clairement dans la détermination à la grève. C’est la première fois que nous menons une action aussi dure. »

Même si tout le monde n’est pas encore convaincu de la gravité de la situation : un délégué qui ne fait pas grève franchit le piquet sans lever les yeux...

Un peu plus loin, un petit piquet est installé devant l’entrée du personnel de l’hôpital Sainte-Elisabeth. « Aujourd’hui, nous cherchons surtout à informer, explique Patrick Vanholderbeke, secrétaire LBC-NVK pour le non-marchand. Il est très important de raconter l’ensemble des mesures. Les gens n'ont encore qu’une vision incomplète des conséquences des mesures gouvernementales, tant au niveau personnel qu'au niveau professionnel. Un tas de choses vont nous tomber dessus, en plus de ce que nous avons déjà ramassé ces dernières années. Et, quand on explique tout ça, les gens restent bouché bée. »

Pour informer les travailleurs, ici, à Zottegem, les syndicats distribuent un tract. Mais les patients ne sont pas oubliés non plus. Le tract explique en effet aussi pourquoi les gouvernements Bourgeois et Michel-De Wever s’en prennent également aux patients.

Aujourd’hui, ici, la volonté porte davantage sur la nécessité d’informer et, le 15 décembre, de faire grève massivement. Les professionnels des soins sont en colère, nombre de mesures gouvernementales les touchent directement. « Le gouvernement détricote le crédit-temps, les aménagements de fin de carrière et la prépension sont supprimés, rappelle le syndicaliste. Ce sont des choses qui sont très sensibles dans le secteur des soins, car il y a là beaucoup de travail à temps partiel. » 

Grammont. « Si on ne fait rien, on a perdu d’avance »

À Grammont, le zoning industriel de Schendelbeke est clôturé de piquets de tous côtés. Nous nous arrêtons à un piquet composé d’un front commun syndical haut en couleur et de gens de diverses entreprises, comme la firme de béton Concreton, l'entreprise de construction Pan-All, le producteur de produits en mousse Recticel… 

« Nous avons conseillé aux gens de rester chez eux, explique Marc, délégué CSC à Pan-All. Ils plongent dans nos poches, et tout le monde va le sentir passer. C'est pourquoi nous n'avons pas de problèmes à empêcher les gens de passer. » Mais, en fait, la plupart font demi-tour sans rouspéter, au contraire. « La majorité des gens sont solidaires. Quelques-uns ont même dit : "C'est bon pour nous aussi !" »

Un volontaire passe quand même à pied au piquet, d'un pas décidé. « Mon patron m'y oblige », crie-t-il en s'excusant. 

« Le relèvement de l'âge de la pension, le saut d'index, le gel des salaires... Tout ça augmente, mais pas les salaires, tonne le délégué CSC. Puis, ils veulent encore raboter notre index. Mais, chez les ministres, il n'y a pas d'économies, hein, c'est toujours chez les travailleurs qu’on vient. Moi-même, je travaille dans la construction. Vous voyez les gens grimper sur des échafaudages et y bosser toute la journée jusqu'à 65 ans, vous ? »

À Recticel aussi, la grève est bien suivie. « Nous n’avons encore dû empêcher personne de chez nous de passer », précise Jenny, déléguée CSC. Pour elle, c’est clair : « Parfois, il est nécessaire de relever la tête. Si on ne fait rien, on a perdu d’avance. Nous sommes ici pour défendre ce pour quoi nos parents, grands-parents et arrière-grands-parents se sont battus, littéralement battus. S’ils ne l’avaient pas fait, aujourd'hui, nous devrions encore travailler le samedi et le dimanche. Nous devons aussi faire ça pour nos enfants. »

« Qu’on doive faire des économies, je pourrais encore le comprendre, mais pourquoi doivent-elles à chaque fois se faire sur le dos des travailleurs ? Les entreprises, elles, ne doivent contribuer en rien. »

Ninove. « Là, vous êtes vraiment mal barrés ! »

Aujourd’hui, à la boulangerie industrielle La Lorraine à Ninove, où travaillent 500 personnes, la moitié du personnel fait grève. « Ça a été  simple de mobiliser les gens, explique un délégué de la FGTB. Travailler jusqu’à 67 ans, les gens n’apprécient vraiment, vraiment pas. »

Ici aussi, les délégués ont distribué des dépliants et parcouru toutes les sections pour donner des explications à tout le monde. « Et, le 15 décembre, nous seront certainement encore plus nombreux. »

Quelques travailleurs de Vanelor, une filiale de La Lorraine à Erpe-Mere, ont également rejoint le piquet. « Chez Vanelor, il n’y a pas de production, aujourd’hui, déclare le délégué FGTB Guy De Bruycker. Savez-vous ce que j’ai fait pour informer les gens ? La présentation PowerPoint que la FGTB nous a donnée, je l’ai imprimée et accrochée au mur de notre entreprise. Des tas de gens l’ont lue. Même un Hollandais qui était venu livrer chez nous. Il a dit : "Là, vous êtes vraiment mal barrés !" »

Dans la boulangerie industrielle, il y a beaucoup de travail à la chaîne, ce qui n’est pas idéal pour la santé. « Quand tous ces pains-saucisses arrivent sur la bande, il s’agit de trimer ! La plupart des gens qui sont à la chaîne souffrent de problèmes au dos et/ou aux poignets. Plusieurs femmes chez nous ont donné leur préavis pour des raisons médicales. » De Bruycker désigne un collègue au piquet : « Lui, il travaille à la section congélation. On ne fait pas ça sans dégâts jusqu'à l'âge de 50 ans. Si, en plus, il faut le faire jusqu’à 67... »

Pour essayer de casser la volonté de faire grève, la direction de La Lorraine a sans cesse intimidé les travailleurs. « Savez-vous ce qu'ils ont dit à certains ?, lance De Bruycker. "Vous êtes libres de faire grève, mais je suis libre de vous accorder ou pas vos congés." Incroyable ! »

Ninove (bis). « Le monde politique et celui de l’entreprise sont bien trop liés »

Le dernier arrêt de la matinée est pour la zone industrielle de Nederwijk-Oost, à Ninove. C’est ici que se trouve le dépôt de Delhaize, mais il y a aussi l’usine de boissons Refresco, la centrale des bétons Megaton, la boulangerie Bellona Patis… Tous ensemble au piquet, cela crée un lien. « C'est une occasion pour les délégués de faire un peu mieux connaissance », observe Jos Vandevelde, délégué principal CSV chez Delhaize.

Cette année, ceux de Delhaize ont appris ce que c'était de faire grève. Ils ont arrêté le travail à quelques reprises contre la restructuration. Et, maintenant, en plus de ça, voilà que viennent s’ajouter les mesures très dures du gouvernement de droite. 

« Ils prennent dans nos poches de deux côtés à la fois », résume Jos Vandevelde, qui constate que les mesures du gouvernement sont bien accueillies par les patrons. « Prenons le gel des salaires. C'est déjà à l’avantage de Delhaize, hein ! Et pourtant, pour la direction, ce n’est pas encore assez ! »  

« Chez Refresco, la grève est bien suivie, constate le délégué CSC Denny Imbo. C’est la première fois que notre entreprise est à l’arrêt. Les gens étaient très disposés à faire grève avec les autres. »

Imbo critique surtout les mesures gouvernementales qui visent les jeunes. « On fait en sorte que ça devient de plus en plus difficile pour les jeunes de faire des études. Les jeunes qui terminent leurs études ont déjà une perte de salaire avant de commencer à travailler. Et la facture est encore mise sur le dos des jeunes ménages. Essayez donc, actuellement, d’acheter une maison, même petite. Et, en plus, on veut encore réduire les salaires. Les efforts doivent être répartis de manière égale. Il y a différentes classes sociales, et c’est l’élite qui ne doit pas payer. »

Le délégué CSC a, à juste titre, des mots très durs envers la classe politique : « Le monde politique et le monde des entreprises sont tellement imbriqués l’un dans l’autre que nous ne devons pas nous étonner que le monde politique défende les intérêts des patrons. »