Jan Cap : « Nous ne voulons pas seulement plus de pain, nous voulons toute la boulangerie » | Quand la classe travailleuse écrit l'histoire

Jan Cap a commencé à travailler à l’âge de 14 ans. Son père lui a donné ce conseil : « Tu entres maintenant dans la vie adulte. Tu dois faire de ton mieux. Écouter, regarder et te taire. » À la Jeunesse ouvrière chrétienne, on lui apprend à voir les choses tout autrement : il s’agit à présent de « voir, juger, agir ». Une règle d’or qui deviendra la devise de sa vie.

À l’âge de 23 ans, Jan part travailler au Boelwerf, le chantier naval de l’entreprise Boel, à Temse (Flandre-Orientale). Il est très impressionné par les imposants navires construits par des centaines d’ouvriers. Il devient membre actif du KWB, le Mouvement ouvrier chrétien qui, en 1963, organise un large débat autour d’un manifeste intitulé KBEers op zoek naar een nieuwe ondernemingsvorm (« Les membres du KWB en quête d’une nouvelle forme d’entreprise »).

«  Dans notre vie professionnelle, nous sommes confrontés quotidiennement à l’insécurité, à l’exploitation, à l’agitation sociale, au mépris et au désenchantement  », peut-on lire dans le texte. Et plus loin : « Le système capitaliste nous détruit. [...] Dans un tel système, nous ne sommes ni libres, ni indépendants, ni autonomes. En plus de cela, nous sommes en partie privés du fruit de notre travail. » Le manifeste ne tarde pas à être surnommé « le petit livre rouge », suscitant de vives discussions au sein du Mouvement ouvrier chrétien.

Les discussions battent également leur plein au sein de la section CSC de Boelwerf. Un groupe autour de Jan Cap, Karel Heirbaut et Désiré Gijsen, se base sur le manifeste pour soutenir un syndicalisme renouvelé et combatif. Au terme d’âpres discussions, ce groupe remporte le plaidoyer et, en 1967, Jan Cap est élu délégué principal. Un vent de renouveau souffle alors sur l’action syndicale.

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D'où vient la richesse ?

C’est la classe travailleuse qui fait tourner le monde : l’idée devient de plus en plus claire dans les consciences. « C’est aux mains et à l’esprit de la classe travailleuse que l’on doit le progrès, le développement et la richesse. Or cette richesse est pillée par une minorité.  » Cette idée ne tarde pas à se propager à travers le chantier naval, au moment où celui-ci est scindé en quatre sociétés distinctes, en 1969.

« D’où vient le capital nécessaire pour construire un tel empire ? », s’interroge Jan Cap. « De la plus-value, de la richesse que les ouvriers ont créée, souvent au prix de leur santé ou de leur vie. Et des milliards qui sortent des caisses publiques pour finir entre leurs mains (celles du patronat) sous forme de crédit naval. » Lors des réunions avec les ouvriers, Jan parle des «  quatre fosses à poissons » d’où le patronat peut désormais extraire beaucoup plus de richesses. Cette vision de la classe ouvrière conduit à une position syndicale en faveur de la liberté, de l’égalité et de l’unité, sans condition.

Notre unité en tant que classe

Jan a le don d’écouter les gens et de répondre à leurs préoccupations par l’action. Les gens refusent d’être traités de manière inéquitable. C’est ainsi qu’ils réussissent à ramener les 45 catégories salariales différentes à huit. Il n’est plus possible, pour les sous-traitants, d’accéder au chantier naval s’ils ne reçoivent pas la même rémunération que les salariés de Boel. Discriminer sur base de l’origine est totalement interdit. Avec les ouvriers turcs d’une entreprise de sous-traitance, ils réussissent à faire appliquer l’égalité des salaires. « Cette expérience nous a appris que nous sommes tous amenés, quelle que soit notre nationalité, à vendre notre travail aux mêmes capitalistes. C’est là que réside notre unité de classe. »

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Alors que des frégates pour la marine sont en construction au chantier naval de Boel (Boelwerf), une société de sécurité apparaît soudainement, et les ouvriers sont tenus de s’identifier à l’aide d’un laissez-passer spécial. Il s’ensuit une véritable guérilla, avec des actions quotidiennes et des manifestations hautes en couleur. Jusqu’à ce que les vigiles et les « laissez-passer » disparaissent.

Jan ne travaille jamais seul. Tout le travail se fait en équipe. Tout est discuté collectivement et les tâches sont réparties. Cette approche permet de diffuser le message à travers l’ensemble du chantier naval. Cela contribue aussi à créer un lien de confiance fort entre Jan, les militants de son équipe et les ouvriers. Ce n’est qu’ainsi qu’il leur est possible, en 1981, de mener une action de grève de cinq mois, pour protester contre 128 licenciements.

« Les êtres humains ne sont pas une marchandise »

Lorsque le plan de restructuration est rendu public, il est ressenti comme la première étape vers la rationalisation progressive et, à terme, la fermeture du chantier naval. Une grève éclate, qui allait durer cinq mois entiers, et qui suscite un vaste élan de solidarité. La grève est menée par un comité de 50 ouvriers. Au terme de cinq mois de grève, 62,5 % des effectifs votent la poursuite de la grève. Cependant, l’exécutif syndical de l’époque refuse de continuer à soutenir le mouvement. Amèrement déçus mais la tête haute, les ouvriers reprennent le travail. Dix ans plus tard, le Boelwerf ferme irrévocablement ses portes.

Jan savait traduire en chants de lutte les sentiments des ouvriers et le message qu’ils voulaient transmettre. Comme lors de la mobilisation devant le siège social de l’entreprise Intergarde, où ils étaient quelque 2 000, le poing levé, à entonner :
 « À bas les pouvoirs qui asservissent
Les ouvriers réclament leurs droits
Nous sommes pour la libération de l’être humain
La classe ouvrière se battra pour cela
La liberté est notre bien ultime
C’est en elle que nous voulons vivre
Tout pouvoir qui viole cette règle se met à dos chacun et chacune d’entre nous »

« C'est le champ entier qui doit être labouré »

Jan Cap était bien conscient que les ouvriers n’étaient pas seulement confrontés à leur propre patron, mais à tout un système. «  Notre combat a commencé comme celui entre un maître et son serviteur. Mais entretemps, c’est bien plus qu’à un patron que nous avons eu affaire. Nous avons contre nous tout un système capitaliste.  » Il faut que ça change. « Chaque grève est une leçon, un coup de “pelle”. Cependant, on finit bientôt par se rendre compte que le champ entier doit être labouré. » Le 1er mai 1985, Jan devient membre du PTB. Il a alors la sensation de rentrer au bercail  : «  En tant que classe ouvrière, nous avons besoin des deux  : d’un syndicat fort et combatif, mais aussi d’un parti anticapitaliste. J’ai parcouru un long chemin pour arriver à cette conclusion. Cependant, la conclusion à laquelle je suis arrivé est que les ouvriers doivent faire de la politique. Contre le capitalisme, il faut un vrai parti ouvrier. Avec une vision claire de la manière dont nous devons évoluer vers une société différente. Parce que nous ne voulons pas seulement plus de pain, nous voulons toute la boulangerie. »

Le 17 mai 2018, Jan Cap est décédé à l’âge de 87 ans. Lors de la cérémonie d’adieu, le président du PTB, Peter Mertens, a déclaré  : «  ll y a des personnes qui déplacent une pierre dans la rivière. D’autres déplacent un rocher, et changent le cours de la rivière. Et puis, en de très rares occasions, il y en a qui déplacent la rivière elle-même. »

En tant que délégué principal au Boelwerf, à Temse, Jan Cap a contribué à écrire l’histoire syndicale de ce qui a été pendant des décennies un bastion du militantisme ouvrier. Ce livre retrace l’histoire de la carrière de Jan Cap et ses idées syndicales et politiques. Au nom de ma classe, éditions EPO 12 euros

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