Koen De Kinder (CSC BIE) : « Il faut tout faire pour que les mesures de sécurité soient contraignantes partout »

Dans de nombreux secteurs clés, les gens travaillent dur : soins, magasins, services publics, production essentielle, nettoyage... Et puis il y a l’industrie chimique. Celle-ci fournit des matières premières et des produits indispensables aux secteurs alimentaire et pharmaceutique. Nous nous sommes entretenus avec Koen De Kinder, secrétaire fédéral à la CSC BIE pour le secteur de la chimie.

Travailler dans la chimie implique, dès le départ, des risques supplémentaires, des produits dangereux et des horaires flexibles. Qu'est-ce que cela signifie aujourd'hui, dans les circonstances exceptionnelles que l’on connaît ? L'industrie chimique est l'un des secteurs où les règles de sécurité sont les plus strictes. Y travailler n'est pas sans danger. Les travailleurs sont souvent exposés à des substances très agressives et à des niveaux de température et de pression élevés. Dans ces conditions, il est difficile de respecter les mesures de sécurité en matière de distanciation sociale. Par exemple, les travailleurs doivent s'aider mutuellement pour mettre les équipements de protection nécessaires. Le respect des mesures de sécurité augmente désormais les risques pour le personnel.

Actuellement, les gens qui travaillent dans ce secteur sont-ils en sécurité ?

Koen De Kinder. Au niveau de la manière dont les entreprises communiquent pour faire respecter toutes les mesures de sécurité, tout va bien. Elles donnent énormément de directives visant à ce que le travail puisse être effectué en toute sécurité. Toutefois, nos délégués nous disent ne pas toujours être en mesure de les respecter en pratique. Au cours des dernières semaines, les membres du syndicat ont beaucoup travaillé au niveau de la concertation sociale afin de clarifier les flous. Ils ont répertorié toutes les situations dangereuses et consulté les employeurs. Je dois dire que les choses se sont améliorées ces derniers jours, grâce à l'intervention des délégués syndicaux.

Dans les entreprises de production disposant de délégations syndicales fortes, des adaptations ont eu lieu dès le début de la crise. Les directions partaient du principe qu'à la fin de la crise, il devait rester suffisamment de personnel opérationnel pour assurer la production. Mais cela n'a pas été le cas dans toutes les entreprises. Nous avons parfois dû faire appel au conseiller en prévention ou au médecin du travail. Dans certaines entreprises, nous avons demandé à la police ou à l'inspection du travail de venir constater la situation. Une fois ces constats faits, les employeurs ont pris les mesures nécessaires pour améliorer la sécurité au travail.

Vous avez toujours insisté sur le fait qu'il n'est pas juste de considérer l'ensemble du secteur comme essentiel.

Koen De Kinder. Cette catégorisation est importante, car elle détermine le caractère contraignant ou pas des mesures de sécurité. Les secteurs vraiment essentiels sont les hôpitaux, les secteurs des soins et les services de sécurité, où il est évidemment difficile de garder une distance de 1,5 mètre si vous devez vous occuper de patients.

Le secteur chimique n'est pas indispensable dans le contexte actuel et aurait dû être inclus parmi les secteurs non essentiels, afin que toutes les mesures de sécurité y soient contraignantes. Il appartient alors à l'employeur de veiller à ce que toutes les mesures de sécurité soient garanties.

Le décret ministériel contient une liste de biens et de services essentiels, dont certains sont liés à la production chimique, pharmaceutique et plastique pour les secteurs de l'emballage et de l'alimentation. Ces produits sont importants, c’est évident. Mais ce qui ne va pas, c'est que la liste est basée sur des commissions paritaires, ce qui signifie que l'ensemble du secteur est considéré comme essentiel. Pour nous, c’est excessif. Certains domaines de l'industrie chimique, comme la production de bougies ou de boîtes en plastique, ne peuvent tout de même pas être qualifiés d'essentiels.

Nous devons nous concentrer sur ce qui est vraiment crucial, notamment en raison de la pénurie de masques et d'équipements de protection dans les soins de santé. Ils sont bien trop rares pour qu’on les gaspille pour fabriquer des choses dont on n’a pas un besoin urgent. Alors nous avons proposé ceci : mettons ces productions non essentielles à l’arrêt et donnons ces masques et ces équipements de protection au secteur des soins de santé et aux forces de police, qui en ont bien plus besoin. C'était notre pari : lutter contre le gaspillage de matériel utilisé pour produire des biens dispensables. Après que nous avons soulevé cette question, un certain nombre d'entreprises ont fourni elles-mêmes des équipements de protection au personnel soignant et c’est une bonne chose.

L'ensemble du secteur étant classé comme essentiel, les entreprises ne sont donc pas obligées de respecter toutes les règles de sécurité. Cela sert-il d'argument pour ne pas les appliquer ?

Koen De Kinder. Au début de la crise, il y a environ trois semaines, c’était effectivement le cas. On nous a dit : nous sommes un secteur essentiel, nous devons assurer la production à tout prix. Pendant un temps, cet argument a effectivement servi à ne pas mettre en place les mesures de sécurité recommandées par les autorités. On a par ailleurs remarqué que les entreprises les moins essentielles étaient souvent les pires élèves de la classe. À cette époque, tout le monde n’avait pas encore saisi la gravité de la situation. Jusqu'à la semaine dernière, il y a eu des exemples de ce genre dans le secteur de la chimie, mais ce problème semble désormais résolu.

Vos membres se posent-ils beaucoup de questions par rapport au chômage temporaire et à la perte de salaire ?

Koen De Kinder. Certaines entreprises du secteur sont fermées, donc leur personnel doit se rabattre sur le chômage temporaire (70 % du salaire + 5,63 euros par jour). Depuis la semaine dernière, un accord a également été conclu par rapport à des adaptations sectorielles pour les personnes mises en chômage temporaire. Tous les ouvriers et employés reçoivent maintenant 11 euros par jour, qui sont assimilés pour le calcul de la prime de fin d'année.

Il n’est naturellement pas question que ce système soit utilisé de manière abusive. Ce matin encore, j'ai été alerté au sujet d'une entreprise qui doit produire plus que d'habitude et où le personnel en stand-by est habituellement payé à 100 %. Or, la direction détourne maintenant le système pour mettre ces personnes en chômage temporaire, alors qu’on ne peut pas y faire appel s'il n'y a pas de réduction de la production. Quelques membres du personnel restent à la maison et c’est le gouvernement qui paie. Ça, c’est abuser du système.

Quelles seront vos principales préoccupations pour les travailleurs pour la période à venir ?

Koen De Kinder. Que les mesures de sécurité et la distanciation sociale puissent continuer à être respectées. Je crains le pire au moment où le Conseil national de sécurité parle d’assouplir les consignes actuelles et autoriser davantage de choses. Le gouvernement risque de précipiter la levée des mesures de sécurité au nom du profit et pour satisfaire les actionnaires. Par ailleurs, je ne sais pas ce qu’il prépare actuellement en termes de relance. Comme nous représentons un secteur essentiel, nous risquons de voir notre protection légale assouplie. Je crains particulièrement la mise en place de mesures visant à augmenter la flexibilité des travailleurs.

Actuellement, on reçoit énormément de conseils de spécialistes et de virologues. Mais il y a aussi beaucoup de pressions de la part des employeurs pour sauvegarder la production autant que possible. Ils insistent sur le fait qu’ils doivent continuer à fonctionner à tout prix. Ils nous disent : « En tant que syndicat, vous ne voudriez tout de même pas voir des emplois disparaître ? » Mais nous, nous avons le sentiment que bien souvent, ce qui les intéresse, ce ne sont pas les pertes d’emplois, mais bien leurs profits.