La crise du coronavirus ne peut pas être une excuse pour porter atteinte à nos droits fondamentaux | Les débats du Corona

Outre les décisions dans le domaine de la santé, le gouvernement belge prend également des mesures qui s’attaquent aux droits de la population : contrôles à domicile, appels de dénonciation, drones détectant les sources de chaleur, applications pour tracer les citoyens, restriction de l'accès à la justice... Des mesures qui appellent à la vigilance.

Bien sûr, la distanciation sociale est très importante et tout à fait justifiée pour protéger la santé de la population. Mais le gouvernement a aussi rapidement lancé des idées qui soulèvent de sérieuses questions, et la police met certaines de ces idées en pratique.

Tout d'abord, la police pourrait procéder à des perquisitions sans l'autorisation d’un juge. Il est également fait usage d'appels de dénonciation et de drones détectant les sources de chaleur pour contrôler le nombre de personnes présentes à certains endroits. Des amendes ont aussi été mises en place, comme celle de 250 euros pour ceux qui ne respectent pas les mesures, sur base des directives secrètes de la task force de la police intégrée (qui regroupe les polices fédérale et locale). Certains tribunaux veulent juger les contrevenants via la procédure accélérée. Par ailleurs, le gouvernement réfléchit à la mise en œuvre d’une application pour identifier les personnes infectées. Enfin, le gouvernement a décidé que toutes les affaires en cours devraient être traitées par écrit par le tribunal, c'est-à-dire sans plaidoiries orales.

Toutes ces mesures vont à l'encontre de nos droits fondamentaux.

Toutes ces mesures vont à l'encontre de nos droits fondamentaux. La proposition de contrôles à domicile constitue une violation flagrante de l'un des droits les plus importants, à savoir l'inviolabilité du domicile. Notre maison ou appartement constitue une partie centrale de notre vie privée, et la police ne peut y effectuer de contrôle sans l'autorisation d'un juge. Les appels de dénonciation, les drones détectant les sources de chaleur et les applications traçant nos déplacements mettent également en danger le droit à la vie privée. Une procédure écrite au tribunal se fait par ailleurs au détriment des citoyens qui veulent se défendre ou pour lesquels une plaidoirie est d'une grande importance. Il suffit de penser aux affaires familiales ou aux affaires concernant des travailleurs et leur emploi. S'ils peuvent faire valoir leur point de vue devant tribunal, il leur est bien plus aisé d’obtenir gain de cause. Toutes ces mesures font l’objet de critiques et à très juste titre. L'association des magistrats (ASM) a ainsi déclaré que le ministre Koen Geens (CD&V) mettait en danger les droits des plus vulnérables et l'indépendance du pouvoir judiciaire. Le Conseil supérieur de la magistrature fait aussi partie de ses détracteurs.

Une efficacité douteuse

Les contrôles domiciliaires, appels de dénonciation, drones et applications ne sont pas efficaces. Au contraire, elles augmentent la méfiance de nos concitoyens, alors que ce dont nous avons le plus besoin maintenant, c'est de solidarité, de confiance entre les gens et envers le gouvernement.

Pour que le confinement soit respecté aussi longtemps que nécessaire, la confiance de la population dans le gouvernement est cruciale.

Pour que le confinement soit respecté aussi longtemps que nécessaire, la confiance de la population dans le gouvernement est cruciale. Des enquêtes indiquent par ailleurs que la grande majorité de la population fait preuve de solidarité et suit les consignes. Pour que les efforts soient maintenus, il faut que le gouvernement montre qu'il instaure des règles claires qui s'appliquent à tous, que les mesures sont efficaces et que les droits ne sont pas restreints de manière abusive.

Deux poids deux mesures

Pour être efficaces, les mesures prises doivent avant tout concerner les grands acteurs, en particulier les grandes entreprises. Celles-ci emploient des centaines, parfois des milliers de personnes sur un même lieu de travail. Il doit donc être possible d'y travailler en toute sécurité.

Officiellement, les mesures comme la distanciation sociale s'appliquent autant aux entreprises qu’aux citoyens. Les deux catégories risquent des amendes si elles ne les respectent pas. Mais dans le cas des entreprises essentielles, la distance sociale ne doit être respectée que « dans la mesure du possible », tandis que pour les citoyens, elle doit toujours être totalement respectée.

Le fait que les citoyens soient traités beaucoup plus sévèrement que les entreprises est fortement lié aux ambitions des gouvernements en place.

Le décalage devient encore plus évident lorsqu'on examine les chiffres des contrôles. Entre le 23 mars et le 3 avril, les services d'inspection ont effectué 750 contrôles à distance et 328 contrôles sur place dans les locaux des entreprises. 280 entreprises ont reçu un avertissement, 52 ont reçu un délai pour se mettre en règle, 20 ont été fermées et seulement 1 PV a été établi. La ministre de l’Emploi Nathalie Muylle (CD&V) a déclaré sans équivoque qu'aucune amende n'avait été émise parce que « l'imposition d'amendes n'a guère de sens ». En revanche, 5 000 dossiers pénaux ont été ouverts contre des citoyens au cours de la même période. Ceux-ci ont également été obligés de payer l'amende immédiatement, ce qui est illégal, contrairement à ce que le ministre de l’Intérieur Pieter De Crem (CD&V) avait déclaré le 5 avril dans l’émission de la VRT De Zevende Dag.

Le fait que les citoyens soient traités beaucoup plus sévèrement que les entreprises est fortement lié aux ambitions des gouvernements en place. Ceux-ci veulent en effet relancer l'économie le plus rapidement possible, peu importe que la protection de la santé des travailleurs et de la population ne soit pas suffisamment garantie. Avec un tel parti pris idéologique, il n'est pas question de sanctionner les entreprises, et on se centre plutôt sur les citoyens.

La stratégie du choc pour imposer son agenda antidémocratique

Si des mesures dangereuses pour nos droits ont été prises bien plus rapidement que certaines mesures dans le domaine de la santé, c'est parce qu'elles sont préparées depuis longtemps. Elles s'inscrivent dans la logique des mesures prises par le gouvernement Michel-De Wever depuis 2014. On a ainsi voulu permettre aux forces de l’ordre d'effectuer des perquisitions – sans l'intervention d'un juge – pour appréhender des personnes sans papiers et ceux qui sont « suspectés » de les héberger. Ce n'est qu'après de nombreuses protestations que ce projet de loi a été mis de côté.

Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Jan Jambon (N-VA), a donné à la police les moyens d’investir dans l’installation massive de caméras de surveillance, la reconnaissance des plaques d'immatriculation, les empreintes digitales électroniques, etc. L'un des grands projets du ministre Geens était « The Court of the Future », un tribunal dans lequel toutes les affaires seraient traitées principalement par écrit. Geens veut un tribunal pour une poignée de gens, pas pour la majorité de la population. Le gouvernement voit-il dans cette crise du coronavirus l’occasion d’imposer son agenda ?

Quand le temporaire devient définitif

Selon le CRISP, les mesures prises en Belgique sont « du jamais vu depuis la Seconde Guerre mondiale ».

Dans son livre La Stratégie du choc, Naomi Klein met en garde à juste titre contre la tendance des régimes néolibéraux à abuser des situations de crise, dans lesquelles la population est prête à renoncer à ses droits ou leur accorde moins d'attention, afin de prendre certaines mesures qui sont préparées depuis longtemps. Après la fin de la crise, ces mesures ne seront pas supprimées, car les gens s'y seront « habitués ». Dans un récent article, le journaliste américain Glenn Greenwald a expliqué que ce danger était très réel pendant la crise du coronavirus. L'exemple le plus connu est celui de la Hongrie, où le Premier ministre Orban a complètement mis le Parlement hors jeu et où il peut maintenant gouverner pour une durée indéterminée. Selon le Centre de recherche et d'information socio-politique (CRISP), les mesures prises en Belgique sont « du jamais vu depuis la Seconde Guerre mondiale ». Que se passera-t-il une fois que la crise du coronavirus sera terminée ?

Lors du vote des pouvoirs spéciaux, le gouvernement a solennellement déclaré que les mesures seraient levées à la fin de la situation de crise. Pieter De Crem voit d’ores et déjà les choses autrement. Dans le journal Het Laatste Nieuws du 4 avril 2020, il déclare : « Bien sûr, il est préférable de revenir à la normale aussi vite que possible, mais une société évolue aussi. Permettez-moi de faire une autre comparaison. Pendant la crise de la dioxine, des mesures de santé publique ont aussi été prises, et elles n’ont pas été supprimées par la suite. Aujourd'hui, il n'y a pas un seul œuf qui ne soit pas traçable, et nous trouvons que c'est tout à fait normal. »

Si la remarque peut avoir une certaine pertinence, on peut tout de même se dire que comparer des êtres humains avec des œufs n'est pas très rassurant. Car De Crem oublie en effet de mentionner la précédente situation de crise majeure : les attentats terroristes de mars 2016. À ce moment-là, par exemple, la possibilité de priver une personne de sa liberté (détention préventive) a été portée de 24 à 48 heures, ce qui a eu un impact durable sur nos droits. En ce qui concerne les drones à capteurs thermiques, De Crem a souligné dans l’émission de la VRT Ter Zake que nous y étions déjà habitués. La plus grande prudence s'impose donc. Avec un peu de créativité, les perquisitions de domiciles peuvent être utilisées contre des citoyens ou des mouvements de protestation. Il en va de même pour les appels de dénonciation et les applications qui enregistrent les déplacements.

Le danger des pouvoirs spéciaux

Les pouvoirs spéciaux permettent au gouvernement d'aller très loin dans les mesures qui restreignent nos droits. Le PTB a été le seul parti à voter contre ces pouvoirs spéciaux, précisément parce que l’on craint que le gouvernement profite de la situation actuelle pour s’attaquer à nos droits sur la base d'un agenda déjà dans les cartons, et qu'il maintienne les mesures temporaires même après la crise.

Au Parlement, Raoul Hedebouw a clairement expliqué que le PTB mènerait une opposition constructive. Le parti soutiendra toutes les mesures qui protègent la santé des gens, mais pas celles qui portent atteinte aux droits de la classe des travailleurs et de la population. Le PTB n'est pas le seul à être préoccupé par la préservation de nos droits fondamentaux. Les syndicats, la Ligue des droits humains et plusieurs professeurs d’université appellent également à être extrêmement attentif à ce que la crise actuelle ne serve pas des desseins antidémocratiques.

Au lieu de restreindre nos droits fondamentaux, le gouvernement devrait se concentrer sur la lutte contre cette crise sanitaire d’une ampleur sans précédent et à mettre en œuvre ce que demandent les gens : la protection de la santé et du pouvoir d'achat de la population. Cela permettrait d'accroître l'efficacité des mesures et de ne pas créer une crise démocratique en plus de la crise sanitaire.