Le marché européen du carbone : une plaisanterie coûteuse pour le climat et la classe travailleuse

Ce n'est pas en multipliant les échanges de quotas d'émission en Europe que l'on va améliorer le climat. Cela ne fera qu'augmenter la facture des Européens à la pompe et pour se chauffer. Pendant ce temps, TotalEnergies, Engie et compagnie voient leurs profits doublement protégés dans l'Union européenne. Il est grand temps de sortir la transition climatique des griffes du marché.

Le 18 décembre, le Parlement européen et les États membres de l'UE sont parvenus à un accord sur la réforme du système européen d'échange de quotas d'émission (ETS). LʼUnion européenne choisit ainsi de poursuivre et d'élargir ses politiques climatiques fondées sur le marché, fondamentalement inefficaces et antisociales. C'est encore un pas en arrière par rapport à la réduction rapide des émissions nécessaire pour éviter au climat de se dérégler de manière incontrôlable. En outre, cela reporte encore davantage le coût de la pollution générées par les multinationales fossiles sur les citoyens européens, qui souffrent déjà des prix inabordables de l'énergie.

Une taxe carbone sur les carburants et le chauffage

Depuis la fin de l'année dernière, le marché européen du carbone destiné aux entreprises a un petit frère, l'ETS2, qui, cette fois, concerne aussi les citoyens. Dans le cadre de sa politique climatique fondée sur le marché, l'Union européenne veut faire payer aux citoyens leurs émissions de CO2 liées au transport et au chauffage. Un ménage belge moyen qui se chauffe au gaz paiera chaque année encore 170 euros de plus sur sa facture déjà exorbitante. À la pompe également, l'essence coûtera du jour au lendemain 10 centimes de plus du litre, tandis que l'augmentation sera de 12 centimes du litre pour le diesel. Alors que la crise de l'énergie a montré que la hausse des prix n'incitait pas les gens à opter pour des solutions durables, l'Union européenne veut pérenniser l'énergie chère au nom du climat. En effet, l'UE s'attend à ce que la crise énergétique soit terminée d'ici 2027 et juge le moment propice pour instaurer une taxe carbone.

Et voici la taxe carbone qui fait son grand retour, même si elle n'avait jamais vraiment disparu. Le président français Emmanuel Macron a tenté d'instaurer une telle taxe en 2018, mais s'est heurté au mouvement des Gilets jaunes. En Belgique, la ministre fédérale du Climat, Zakia Khattabi, a mis sur la table une taxe carbone dès son entrée en fonction. Mais sous la forte pression de l'opposition PTB, la ministre Ecolo a dû retirer immédiatement sa proposition. Depuis, la Vivaldi ne s'est pas risquée à introduire une taxe belge sur le carbone, mais a discrètement milité en faveur d'une taxe carbone au niveau européen. Le plan climatique fédéral, adopté par tous les partis de la Vivaldi, compte même là-dessus pour atteindre les objectifs climatiques de 2030. Bien que plusieurs gouvernements nationaux aient refusé une taxe carbone dans leur pays, craignant une colère massive de leur population, ils la font entrer par la fenêtre de l'Europe.

Vous n'entendrez jamais l'UE parler d'une taxe carbone. Comme une telle mesure s'expose toujours à de vives protestations, l'UE se sert d'un subterfuge pour instaurer discrètement cette taxe. Contrairement à la tarification routière classique, les automobilistes ne paieront pas la taxe carbone directement à l'État. La taxe carbone n'apparaîtra pas non plus comme une ligne supplémentaire sur votre facture d'énergie. L'UE taxe les distributeurs de carburant, qui répercutent ensuite ces frais sur leur prix de vente, comme le font les entreprises dans le cadre du système traditionnel d'échange de quotas d'émission.

Le principe sacré du « pollueur-payeur »

Le système européen d'échange de quotas d'émission repose sur le principe du « pollueur-payeur ». Le premier système d'échange de quotas d'émission (ETS) a été introduit en 2003. Depuis, les entreprises de l'industrie lourde et du secteur de l'énergie doivent acheter des droits d'émissions pour chaque tonne de CO2 qu'elles émettent. Ces droits sont ensuite commercialisés sur un marché européen du carbone. Chaque année, l'UE réduit l'offre de droits sur ce marché, dans le but d'inciter les entreprises à investir pour devenir plus vertes et avoir ainsi de moins en moins besoin de ces droits. La diminution progressive de l'offre de quotas d'émission est également censée rendre ceux-ci plus coûteux, ce qui devrait dissuader les entreprises de continuer à polluer. Le marché permet également aux entreprises de se revendre des quotas entre elles. Cela permet aux entreprises qui émettent moins de revendre leurs surplus de quotas aux entreprises qui émettent davantage. Le système récompense ainsi les bons élèves en matière de climat et fait payer les gros pollueurs. En théorie, du moins.

Les profits aux actionnaires, les pertes pour le climat

En pratique, le principe du « pollueur-payeur » consiste plutôt à laisser le payeur polluer, voire carrément à payer le pollueur. Tout d'abord, dans le capitalisme, les entreprises ne s'intéressent qu'à leurs profits à court terme. Elles préfèrent donc racheter leurs émissions au lieu d'investir massivement pour parvenir à des émissions nulles à long terme. Lorsque les gouvernements leur offrent de l'argent, comme dans le cas du Green Deal européen ou du plan de relance, les entreprises consentent à réaliser les investissements nécessaires pour devenir plus écologiques. Par exemple, le plus gros pollueur de notre pays, ArcelorMittal à Gand, veut faire plus d'un milliard d'euros d'investissements verts mais compte pour cela sur 350 millions d'euros du gouvernement flamand, ainsi que sur le soutien européen.

Deuxièmement, en pratique, les entreprises s'acquittent rarement de leurs droits d'émission. En effet, l'UE est sensible aux menaces de délocalisation des entreprises européennes qui affirment que, si l'UE les oblige à payer pour leurs émissions, elles seront désavantagées par rapport aux entreprises situées en dehors de l'Europe. C'est pourquoi l'UE offre à l'industrie jusqu'à 98 % de ses droits d'émission.

Par exemple, selon une enquête menée par Knack en 2021, à en croire la base de données officielles de la Commission européenne, ArcelorMittal (le plus gros émetteur d'Europe) a dû acheter des droits d'émission pour à peine 4 % des 50 millions de tonnes de CO2 qu'il a émises. Dix autres entreprises sidérurgiques européennes, dont l'allemande Thyssen Krupp, ont reçu encore plus de droits que nécessaire pour couvrir l'ensemble de leurs émissions. Dans le domaine de la chimie, les sites européens de BASF ont eux aussi aujourd'hui un surplus de droits d'émission gratuits à garder en guise de poire pour la soif.

Troisièmement, l'industrie répercute également les droits d'émission qui lui sont offerts sur ses clients. C'est tout profit pour elle : l'industrie fait payer les consommateurs pour quelque chose qu'elle a elle-même reçu gratuitement. Selon une étude du bureau de recherche néerlandais CE Delft, publiée dans Knack fin 2020, le système d'échange de quotas d'émission aurait déjà rapporté 2,1 milliards d'euros au total à l'industrie belge. L'ONG Carbon Market Watch a calculé qu'entre 2008 et 2019, l'industrie à forte consommation d'énergie en Europe avait encaissé jusqu'à 50 milliards d'euros de surprofits grâce au système européen d'échange de quotas d'émission.

Et le secteur n'a pas investi ces surprofits pour rendre sa production plus écologique. Avant que le Covid ne ralentisse le moteur économique, les émissions de l'industrie avaient baissé d'à peine 2 % en dix ans. Or, nous devons parvenir à une réduction de 100 % d'ici à 2050. Dans l'aviation, un secteur qui a été ajouté plus tard à l'ETS, les émissions ont même augmenté d'un quart. Le seul secteur où les émissions ont diminué dans le cadre de l'ETS est celui de l'énergie. Mais cela est entièrement dû à la percée des énergies renouvelables grâce à d'autres politiques. Même les experts qui soutiennent le principe de l'échange de droits d'émission s'accordent à dire que l'ETS n'a pas encore contribué à réduire les émissions dans le secteur de l'énergie. Jusqu'ici, le marché européen du carbone a été un échec sur toute la ligne pour le climat.

La politique climatique préférée du patronat

Au lieu de tirer les leçons de l'échec de l'approche basée sur le marché, l'UE élargit l'échange de quotas d'émission. Outre le nouveau marché du carbone pour les transports et le chauffage, le transport maritime rejoindre le marché du carbone pour les entreprises. Il y a donc fort à parier que tout ce que vous achetez et qui a, à un moment ou l'autre, été transporté par bateau coûtera bientôt beaucoup plus cher. Cela n'améliorera en rien le climat, tout en alourdissant nettement nos factures. Alors, pourquoi l'UE tient-elle à ce point à cette politique antisociale et inefficace ?

La réponse est simple : parce qu'elle fait l'objet d'un lobbying acharné de la part des entreprises. Non seulement elles sont bien décidées à continuer à s'octroyer des surprofits conséquents grâce aux quotas gratuits, mais, surtout, l'ETS crée l'illusion que les entreprises contribuent à la transition climatique sans qu'elles aient réellement à le faire. Les entreprises sont terrifiées à l'idée que les gouvernements se mettent à les contraindre de réduire leurs émissions jusqu'à un certain seuil. Ces normes contraignantes sont toutefois le seul moyen de s'assurer que les entreprises respectent effectivement leurs objectifs en matière de climat.

La solution : une taxe carbone aux frontières ?

Après avoir été critiquée pendant des années, l'Union européenne s'est enfin décidée à abolir la gratuité des droits d'émission. Entre 2026 et 2034, l'UE remplacera progressivement les quotas gratuits par un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (CBAM). Les entreprises étrangères qui souhaitent exporter vers le marché européen devront acheter des droits d'émission à la frontière pour que leurs produits puissent entrer dans l'UE. Ainsi, les producteurs européens et extra-européens paieront le même prix pour leurs émissions, ce qui empêchera les entreprises étrangères de proposer leurs produits à un prix inférieur.

Ce sont une fois encore les citoyens européens qui en paieront le prix en faisant leurs courses. « Produire de l'acier de manière écologique coûtera environ 150 à 200 euros de plus par tonne. [...] Un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières garantira que le CO2 de l'acier entrant soit taxé au même taux que celui qui est produit dans le pays. Cela entraînera évidemment une hausse des prix de l'acier. Mais qu'est-ce que cela signifiera pour les consommateurs ? Prenons l'exemple d'une voiture. Une voiture est constituée d'environ une tonne d'acier qui coûtera 150 à 200 euros de plus. Cela fera augmenter le prix de la voiture de 150 à 200 euros. Dans le cas d'un lave-linge, cela représentera une poignée d'euros. Ce n'est donc pas insurmontable », explique le PDG d'ArcelorMittal Europe.

La taxe carbone aux frontières risque également d'exacerber la guerre des technologies vertes avec les États-Unis. Ceux-ci contesteront probablement la taxe aux frontières devant l'Organisation mondiale du commerce (OMC), en faisant valoir qu'elle ne sert en rien à sauver le climat, mais plutôt à alimenter le budget européen. L'UE compte sur ces recettes pour rembourser ses dettes résultant du plan de relance. L'UE accorde ainsi indirectement un avantage déloyal à sa propre industrie, alors que les entreprises européennes ont reçu des milliards du fonds de relance pour investir dans leur transition écologique. Ainsi, via la taxe carbone aux frontières, l'UE offre des cadeaux verts à l'industrie européenne avec l'argent de ses concurrents étrangers. Les États-Unis ont réagi en adoptant la loi sur la réduction de l'inflation : un ensemble de subventions, de crédits d'impôts et d'autres formes d'aides d'État pour un montant de 369 milliards de dollars. Les États-Unis veulent ainsi inciter les entreprises à installer leur production écologique en Amérique du Nord et non en Europe.

Cette mesure entache directement la crédibilité de la taxe carbone comme mesure de protection des emplois industriels en Europe. En contrepartie de la taxe carbone aux frontières, l'UE n'impose aux entreprises aucune obligation de maintenir ou de développer l'emploi en Europe. Les entreprises sont donc libres de s'installer aux États-Unis ou dans tout autre pays qui leur offre davantage de subventions et de cadeaux fiscaux.

Les vrais pollueurs adressent la facture aux consommateurs

Au lieu de faire payer les grands pollueurs, le marché européen du carbone leur permet de maximiser leurs profits aux dépens de la planète et de la classe travailleuse. Non seulement ils polluent gratuitement, mais en plus, ils peuvent facturer leurs émissions aux consommateurs. Et leurs investissements verts sont payés avec de l'argent public. Alors que la classe travailleuse devra bientôt payer une taxe carbone à la pompe, les cinq plus grandes compagnies pétrolières occidentales (BP, Shell, TotalEnergies, ExxonMobil et Chevron) sont en train de réaliser leurs plus gros bénéfices de tous les temps, soit 200 milliards de dollars. Sur cela, ils ne déboursent pas un centime pour les émissions et les perturbations climatiques catastrophiques causées par leurs activités.

Les riches peuvent dormir sur leurs deux oreilles. Ils n'ont rien à craindre des taxes sur le carbone. Tandis que l'aviation et le transport maritime sont couverts par l'ETS, ce n'est pas le cas des jets privés ni des yachts, selon les analyses de l'ONG Carbon Market Watch. Ce sont pourtant les moyens de transport les plus polluants par rapport au nombre de personnes qu'ils transportent. Ainsi, le travailleur ordinaire contraint de se rendre au travail en voiture paie davantage pour ses émissions que le PDG qui utilise son jet privé pour se rendre à l'autre bout du monde.

Cette politique climatique taillée sur mesure pour les grands pollueurs et les élites fait évidemment grincer des dents du côté de la population européenne. Pour elle, une politique climatique est devenue synonyme de hausses de prix et de taxes antisociales. L'extrême droite en profite pour rallier les gens à son discours climato-sceptique. Ce faisant, loin de défendre les intérêts de la classe travailleuse, elle défend ceux des monopoles de l'industrie des énergies fossiles qui la finance. Ces multinationales peuvent toujours compter sur l'extrême droite pour voter contre les taxes sur leurs surprofits et s'opposer à tout plafonnement des prix visant à protéger la classe travailleuse. La crise de l'énergie montre une fois de plus que le climato-scepticisme est un piège pour la classe travailleuse. C'est elle qui paie la facture de notre dépendance aux énergies fossiles, via les hausses des prix de l'énergie.

Vers une politique climatique publique et démocratique

Avec le Switch, le PTB met sur la table une alternative publique solide à la taxe carbone européenne antisociale pour le transport et le chauffage. Au lieu d'inciter les gens à abandonner leur voiture en les assommant de taxes sur le carbone, nous investissons dans des transports publics bien développés et accessibles. Fini les factures d'énergie exorbitantes. Nous remettons le secteur de l'énergie entre les mains des pouvoirs publics, en accélérant la transition vers 100 % d'énergie renouvelable.

Grâce à un plan d'isolation public, nous veillons à ce que chacun puisse bénéficier d'un logement économe en énergie dès maintenant. Un plan bon à la fois pour le climat et la population. Nous imposons des normes d'émission contraignantes aux entreprises afin qu'elles soient obligées de rendre leur production plus verte. Nous mettons la transition entre les mains des citoyens et leur donnons la possibilité de participer à la mise en forme de cette transformation. C'est ainsi que nous parviendrons à une politique climatique à la fois efficace et juste.