Le personnel d’un athénée bruxellois agit pour dénoncer la surpopulation scolaire

À l’athénée royal Jean Absil, à Bruxelles, le personnel  s’oppose aux injonctions de la ministre Schyns (CDH) obligeant l’école à accueillir toujours plus d’élèves. Fin septembre, une majorité du personnel enseignant et ouvrier s’était déjà mis en grève. Leur combat contre la surpopulation prend de l’ampleur, et ils ont déjà obtenu des victoires significatives. Interview de quelques membres du personnel.

Quelle est la situation concrète dans votre école ?

N. L., enseignante : Notre école est surpeuplée ! Cela provoque un véritable mal-être pour les élèves. Or le bien-être est central dans l’apprentissage. Comment se sentir bien dans un lieu qui grouille de monde, de bruit, d’agressivité générée par une promiscuité permanente ? Les récréations, le temps de midi par exemple, devraient être des temps où les enfants ont droit à un peu de répit. De plus, les infrastructures scolaires sont d’une autre époque, et dans les écoles surpeuplées ces lieux deviennent carrément hostiles. Ce qui est le contraire de la pédagogie. Par ailleurs, cela constitue un risque évident pour la sécurité en cas d’incendie par exemple. L’école doit bien sûr être pour tous, mais tous dans la même école, ça pose vraiment problème !

A. V., cuisinière : Pour l’ensemble du personnel de cuisine, c’est vraiment devenu le stress. Les cadences sont infernales. Un système de rotation nous fait faire trois services en une heure. Et malgré cela, seule une toute petite partie des 1200 élèves peuvent profiter quotidiennement de la cantine. L’organisation logistique est devenue très compliquée en raison du manque d’espace. Les accidents de travail sont devenus inévitables en cuisine. A cela vient s’ajouter la surcharge de travail, qui fait en sorte que trois femmes de ménage sur sept sont en congé de maladie. Les quatre restantes doivent couvrir l’ensemble du bâtiment principal à elles seules. Mais 1200 élèves qui y passent, et l’hygiène se détériore inévitablement… Tous les soirs en rentrant, je me dis : « Ouf, aujourd’hui rien de grave n’est arrivé ! »

R. L., enseignante : Pour les élèves, le cadre de vie est difficile, surtout pour les petits. On oublie parfois qu’ils passent en moyenne huit heures par jour à l’école, ils sont donc plus de temps avec leurs profs qu’avec leurs parents. Cela devient mission impossible de gérer l’organisation des cours de gym, de natation ou de sciences, vu le peu de locaux adaptés. Les élèves mangent par terre ou dans les escaliers, faute de place à la cantine. Et quand il pleut, il est impossible de traverser les espaces communs. Pour moi, la surpopulation, c’est surtout l’impression que l’école devient une grosse machine, une machine qui s’emballe et qu’on n’arrive plus à gérer. Après une journée, on se sent « lessivé ». Je ne sais plus tenir une journée complète et je n'ai que seize ans de carrière. Qu’est-ce que ça va donner dans dix ans ?

Votre athénée n’est-il pourtant pas relativement favorisé ?

L. G., enseignante : Oui, notre école a « bonne réputation », d’où la forte demande d’inscriptions. L’équipe pédagogique a toujours essayé d’y pratiquer un suivi humain et personnalisé pour les élèves, cela marchait bien. Ce qui caractérise notre école, c’est surtout qu’elle mélange les élèves : mixité pédagogique puisque les classes ne sont pas par options, mixité d’âges puisque les 1ères et les 6èmes partagent les mêmes espaces, et aussi mixité sociale puisqu’il y a des élèves venant de quartiers populaires, comme La Chasse, et plus aisés, comme le quartier « européen ». Mais là n’est pas la question. Que le public soit considéré comme favorisé ou non, chaque enfant a droit à une place au réfectoire, à des cours de gym et de sciences dans des locaux adaptés. Chaque enfant a droit à la sécurité en cas d’incendie, et a droit à des moments de repos pendant les récréations. Un droit, ce n’est pas une faveur.

Comment expliquer ces injonctions de la ministre ?

D. W., enseignant : Bonne question… Dans un premier temps, certains ont trouvé qu’il était compréhensible de demander à l’école d’accueillir plus d’élèves, vu la croissance démographique annoncée à Bruxelles. Mais le problème est que, d’une part, notre école a déjà atteint ses limites physiques, et que, d’autre part, il y a des athénées dans le voisinage qui, contrairement au nôtre, se vident. Il est donc clair que cette gestion n’est pas responsable et que d’autres intérêts motivent la ministre… Il y a certainement un aspect électoraliste. On imagine qu’elle ne voudrait pas que des parents soient frustrés de ne pas avoir obtenu leur premier choix lors de l’inscription. Mais il y a surtout chez elle des facteurs idéologiques. Elle se montre très attachée à ce qu’elle appelle dans la presse « la liberté des parents ». Nous pensons plutôt que la gestion des inscriptions scolaires à l’échelle de la Communauté française mérite plus de réflexion que le simple respect de la demande selon les lois d’un véritable « marché scolaire ».

Quelles sont les revendications de votre mouvement ?

L. F., enseignant : L’année passée déjà, avec les parents et les autres membres du personnel, nous avons co-signé une lettre ouverte à la ministre qui s’intitulait « Non aux écoles-usines, oui aux écoles à taille humaine »1. C’est clair. Nous ne voulons pas d’établissements surpeuplés, à la fois dangereux et incapables d’assurer un enseignement humain de qualité. C’est dans ce sens que nous défendons notre mission de service public. Nous voulons donc le retour à la situation d’avant les injonctions, c’est-à-dire un nombre d’élèves qui corresponde à la capacité des communs et de l’infrastructure. Nous demandons aussi que tous les travaux nécessaires depuis des années soient enfin réalisés. Cela avait été promis par la ministre il y a plus d’un an, mais nous avons encore trop peu d’éléments concrets. Par exemple, indépendamment de la surpopulation, il faut réparer les toits percés entraînant une fuite dans le réfectoire et les salles de gym qui ne sont plus adaptées.

Finalement, plusieurs d’entre nous tiennent à élargir nos revendications. La lettre ouverte co-signée avec les parents va dans ce sens. De nombreuses écoles sont dans une situation pire encore et sont totalement laissées à l’abandon. Nous défendons une vision de long terme qui soit responsable, un service public fort et de qualité pour tous. Dans un contexte de défi démographique, il est par exemple absurde de surpeupler certaines écoles et en même temps de laisser d’autres établissements voisins du même réseau se dépeupler. Pourquoi ne pas réinvestir dans les écoles en difficulté et créer de nouvelles écoles à taille humaine, intégrée dans les différents quartiers et lieux de vie sociale des familles ? Il faut donc remettre en cause, d’une part, l’austérité qui provoque un désinvestissement structurel dans l’avenir des enfants, et, d’autre part, le marché scolaire qui organise l’enseignement de manière chaotique en fonction d’intérêts électoralistes à court terme. Si on veut relever le défi de la croissance démographique à Bruxelles, il faudra avoir le courage de changer de cap.

Quelles sont les prochaines étapes de votre combat ?

L. F., enseignant : Ce combat a commencé l’année passée. Il y a eu deux textes publiés dans la presse. Il y a eu des arrêts de travail et plusieurs motions syndicales. La pression nous a permis d’obtenir de belles victoires, notamment en termes de promesses de travaux et de personnel encadrant supplémentaire. Ensuite, il y a eu notre action de grève de la rentrée, qui a été particulièrement décisive. Dans la demi-heure, la ministre déclarait à la presse qu’elle allait recevoir une délégation du personnel !

Nous restons déterminés et mobilisés, nous continuerons à mettre la pression et à étendre le mouvement. Les parents semblent particulièrement touchés par la situation que vivent leurs enfants… Et d’autres écoles nous ont déjà contactés.

1 http://www.lesoir.be/1254366/article/debats/cartes-blanches/2016-06-30/non-aux-ecoles-usines-oui-aux-ecoles-taille-humaine