Après six semaines de grève, le syndicat UAW a obtenu des accords avec les trois grands constructeurs automobiles (« Big Three »), depuis les salaires et les statuts jusqu'à la réouverture d'une usine. Analyse dʼune victoire inédite.
44 jours après avoir occupé l'usine de General Motors (GM) à Flint, dans le Michigan, en 1936, lors de la première « sit-down strike » (« grève sur le tas », lorsque des travailleurs restent assis sur leur lieu de travail, NdT) lʼUnited Auto Workers (UAW) a déclaré sa victoire, ayant forcé l'entreprise à négocier. Et le samedi 28 octobre 2023, au 44e jour de la « stand-up strike » (« grève debout », NdT), commencée le 15 septembre, l'UAW a récidivé.
Au cours du week-end, le syndicat a conclu un accord préliminaire (AP) chez Stellantis, qui fabrique des véhicules sous les marques Dodge, Ram, Chrysler et Jeep. Puis, ils en ont conclu un autre, cette fois avec General Motors, la dernière des trois grandes entreprises avec lesquelles ils négociaient. Avec le troisième AP de ce 28 octobre, la grève historique de l'automobile, la première fois que l'UAW a frappé les trois grands en même temps, a été suspendue. Ford et GM ont déclaré que la grève leur avait coûté 1,3 milliard et 800 millions de dollars, respectivement.
Dans une vidéo annonçant l'accord avec Stellantis samedi, le président de l'UAW, Shawn Fain, et le vice-président, Rich Boyer, ont dressé une longue liste de points forts.
« Une fois de plus, nous avons réussi ce qui, il y a quelques semaines, nous semblait impossible », a déclaré M. Fain.
« Chez Stellantis en particulier, nous n'avons pas seulement obtenu une convention collective record, nous avons commencé à inverser la tendance de la guerre contre la classe travailleuse américaine. Au moment d'entamer ces négociations, l'entreprise souhaitait supprimer 5 000 emplois dans l'ensemble de Stellantis. Notre grève a changé cette équation. Non seulement nous n'avons pas perdu ces 5 000 emplois, mais nous avons inversé la tendance. D'ici à la fin de l'accord, Stellantis créera 5 000 emplois. Nous sommes vraiment en train de sauver le rêve américain. »
Augmentations salariales et pouvoir au travail
L'accord préliminaire de Stellantis, comme ceux de Ford et de GM, comprend des augmentations de salaire de 25 % sur les salaires de base pendant la durée de l'accord de quatre ans et demi et le rétablissement des indemnités de vie chère (COLA, sorte dʼindexation automatique des salaires, NdT) abandonnées pendant la Grande Récession, ainsi qu'une compression du nombre d'années nécessaires à un travailleur pour atteindre le salaire maximum, qui passera de huit à quatre ans. L'UAW a déclaré que les gains cumulés augmenteront le salaire le plus élevé chez Stellantis de 33 %, en plus de l'indexation estimée sur le coût de la vie, pour atteindre plus de 42 dollars de l'heure. Le salaire de départ augmentera de 67 %, en tenant compte de l'indexation estimée sur le coût de la vie, pour atteindre plus de 30 dollars de l'heure. Les travailleurs les moins bien payés de Stellantis, les intérimaires, verront leur salaire augmenter de plus de 165 % pendant la durée de l'accord. L'accord préliminaire met également fin à la différence de barèmes salariaux tant décriée chez Mopar (qui fait partie de Stellantis), ce qui signifie que certains travailleurs recevront une augmentation immédiate de 76 % dès la ratification.
L'accord de Stellantis prévoit en outre non seulement le droit de grève pour les fermetures d'usines, qui a également été obtenu chez Ford, mais aussi le droit de grève pour les produits et les investissements. (On ne sait pas encore si l'accord avec GM inclut cette disposition). L'UAW a également obtenu l'accord de Stellantis pour rouvrir son usine d'assemblage de Belvidere, dans l'Illinois. La fermeture de cette usine le 1er mars de cette année a dispersé les membres de l'UAW dans d'autres installations à travers le pays. Alors que Stellantis a déclaré que la fermeture était motivée par des raisons financières, de nombreux travailleurs ont considéré qu'il s'agissait d'une mesure inutile destinée à intimider l'UAW. Son renversement était une priorité majeure au sein du syndicat.
« Grâce à la puissance de notre grève, nous avons sauvé Belvidere, a déclaré M. Boyer. Il y a huit mois, Stellantis a fermé l'usine d'assemblage de Belvidere, mettant 1 200 de nos membres à la rue. Grâce à la force de notre grève, nous ramenons ces emplois et bien plus encore. Stellantis rouvre l'usine et la société va également créer plus d'un millier d'emplois dans une nouvelle usine de batteries à Belvidere. »
Les travailleurs qui ont perdu leur emploi à Belvidere seront remis en disponibilité temporaire, ce qui signifie qu'ils recevront un sous-paiement et bénéficieront de soins de santé jusqu'à ce que leur emploi soit rétabli à Belvidere, les travailleurs qui ont été transférés ailleurs ayant le droit de récupérer leur ancien poste.
La réouverture d'une usine fermée est déjà remarquable en soi, mais l'obtention du droit de grève sur les décisions d'investissement de l'entreprise représente non seulement une avancée pour les membres du syndicat, mais aussi un pas en avant pour la classe travailleuse dans son ensemble. Pendant des décennies, alors que le pouvoir des travailleurs s'amenuise, les dirigeants d'entreprise ont été libres de diriger l'argent et les ressources de l'entreprise comme bon leur semblait, ignorant les travailleurs laissés pour compte, et n'ayant de comptes à rendre qu'aux actionnaires.
Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Désormais, les dirigeants de Stellantis seront contraints de prendre en compte les besoins des travailleurs lorsqu'ils planifieront l'avenir de l'entreprise. Si les dirigeants de Stellantis veulent fermer une usine, ils devront faire face à la possibilité que cela déclenche un débrayage des travailleurs sur la totalité de leurs usines. C'est ce que signifie la sécurité de l'emploi dans la pratique.
« Pendant des décennies, nous nous sommes battus avec une main dans le dos et, pour être honnête, j'ai parfois eu l'impression d'avoir les deux mains, a déclaré M. Fain. Avec cet accord, nous passons de la défense à l'attaque. Nous passons du déclin de la classe travailleuse américain à une nouvelle ère de la construction automobile. »
Voitures électriques et bons emplois
Quant à la ligne de production de batteries Stellantis à Belvidere mentionnée par Boyer, elle sera probablement couverte par l'accord-cadre de l'UAW. Il en sera de même pour les travailleurs de deux usines de batteries de Ford. (L'UAW n'a pas répondu aux demandes d'éclaircissement concernant le statut de l'usine de batteries de Belvidere au moment de la publication). Les travailleurs de l'usine de batteries Ultium Cells de GM seront également couverts par l'accord-cadre du syndicat.
« Ils nous ont dit pendant des années que la transition vers les véhicules électriques était une condamnation à mort pour les bons emplois dans l'industrie automobile de ce pays, a déclaré M. Fain. Nous nous sommes levés et avons dit non. Avec cet accord, nous leur donnons tort. Nous ramenons à Belvidere les emplois liés aux véhicules à combustion et aux batteries. Nous créons 5 000 emplois rien que dans le secteur de la production d'électricité. »
M. Boyer a indiqué que le contrat engageait Stellantis à réaliser 19 milliards de dollars de nouveaux investissements (Ford s'est engagé à réaliser plus de 8 milliards de dollars de nouveaux investissements). Dans les Big Three, dès la ratification, les travailleurs temporaires ayant au moins 90 jours d'ancienneté seront convertis en travailleurs à temps plein, ce qui mettra fin à la capacité de l'entreprise à piéger les travailleurs en tant qu'intérimaires permanents. À l'avenir, personne ne restera intérimaire plus de neuf mois. À l'instar de l'accord avec Ford, l'accord avec Stellantis comprend des gains évalués à plus de quatre fois ceux du contrat 2019 du syndicat. Il prévoit également des augmentations de salaire de base plus importantes que celles que les travailleurs de Stellantis ont reçues au cours des vingt-deux dernières années.
L'UAW n'a pas tout gagné, bien sûr. Elle n'a pas été en mesure de récupérer les pensions pour tous, un avantage qui avait été abandonné lors des contrats de concession de la Grande Récession. Lors de son intervention sur Facebook Live pour expliquer l'accord conclu avec Ford, M. Browning a reconnu cette lacune, tout en soulignant que le syndicat avait néanmoins obtenu des avancées significatives en matière de primes de retraite.
« L'Union n'est plus sur la défensive »
Malgré la perception populaire du contraire, le nombre de travailleurs de l'automobile aux États-Unis n'a pas diminué au cours des dernières décennies ; selon la plupart des estimations, il a même augmenté de manière substantielle. C'est le pourcentage de ces travailleurs qui sont syndiqués qui a chuté , passant de 586 000 en 1983 à 225 000 en 2022. Si le syndicat veut s'assurer que les usines de voitures électriques ne deviennent pas un niveau inférieur et plus dangereux de l'emploi automobile, rejoignant les usines de batteries sans syndicats dans cette catégorie douteuse, il devra organiser agressivement les ateliers de batteries sans représentation syndicale ainsi que les usines de voitures électriques (à la fois celles exploitées par les trois grands et par d'autres entreprises, telles que Tesla, dont les travailleurs ont maintenant formé un comité d'organisation avec l'UAW à l'usine phare de Fremont, en Californie).
D'autres détails concernant l’accord préliminaire de Ford ont également été révélés : Les intérimaires seront couverts par la prime forfaitaire de 5 000 dollars versée lors de la ratification immédiate, ainsi que par l'accord de participation aux bénéfices de l'entreprise, et ils bénéficieront des mêmes congés que leurs homologues à temps plein, par exemple pour faire partie d'un jury. Les travailleurs de l'automobile bénéficieront désormais de deux semaines de congé parental rémunéré et, pour la première fois, de la Juneteenth (la fête du 19 juin, qui commémore la libération des esclaves aux États-Unis, NdT).
Chez les trois constructeurs, l'UAW a reporté la date d'expiration de ses conventions collectives au 30 avril 2028. Il est rare que des conventions plus longues soient bénéfiques pour les travailleurs, mais M. Fain a cité plusieurs arguments en faveur du changement.
« Si nous voulons vraiment nous attaquer à la classe des milliardaires et reconstruire l'économie pour qu'elle commence à fonctionner au bénéfice du plus grand nombre et non de quelques-uns, il est important que nous ne fassions pas seulement grève, mais que nous fassions grève ensemble, a déclaré M. Fain, appelant les autres syndicats à aligner de la même manière leurs conventions collectives sur la date d'expiration du 1er mai. Deuxièmement, nous avons exigé une convention plus longue parce que l'un de nos principaux objectifs à l'issue de cette victoire est de nous organiser comme nous ne l'avons jamais fait auparavant. Lorsque nous reviendrons à la table des négociations en 2028, ce ne sera pas seulement avec les Big Three, mais avec les Big Five ou Six. »
« Cet accord est plus qu'un simple accord, a-t-il déclaré. C'est un appel à l'action pour les travailleurs du monde entier, qui doivent s'organiser et lutter pour une vie meilleure. »
(Large extrait de l'article paru dans la revue américaine Jacobin)
Titre et intro Solidaire
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