Le transport en commun a été au cœur de la diffusion du coronavirus à New York : un avertissement clair en vue du déconfinement

Les discussions se multiplient au sujet des conditions du déconfinement en Belgique. Un des enjeux sera celui des déplacements en transport en commun. Une étude scientifique américaine démontre que le métro de New York été l’un des principaux, voire le premier vecteur de diffusion de l’épidémie dans la ville. Cela devrait inviter nos dirigeants à être très prudents quant à la façon de relancer l’économie et à organiser les voyages.

New York est le centre mondial actuel de l’épidémie de coronavirus avec près de 10.000 morts¹ identifiés. Dans ce contexte, Jeffrey Harris et ses collègues, chercheurs au sein du National Bureau of Economic Research, à Cambridge, ont mené une étude sur la diffusion du virus par le biais du métro2.

Le métro de New York est le principal moyen de transport en commun de la ville, avec 24 lignes et près de 500 stations et 5 millions de voyages par jours pour près de dix millions d’habitants. Il est resté en fonction pendant l’épidémie, mais avec un rythme et des fréquences fortement réduites.

83 travailleurs du métro décédés à ce jour...

Les résultats de l’étude scientifique sont formels, ce métro a été un grand facilitateur et probablement même le principal vecteur de diffusion du coronavirus dans la ville. Pour arriver à cette conclusion, le Harris a mené différentes analyses.

Dans les quartiers ouvriers, comme le Bronx ou Queens, les travailleurs, forcés de travailler, ont continué à fréquenter le métro. L’épidémie s’y est diffusée deux fois plus rapidement qu’ailleurs dans la ville.

Tout d’abord, cette étude démontre que la diffusion du virus a fortement ralenti au moment où la fréquentation du métro diminuait également. Plus clair encore, ce ralentissement était plus fort dans les quartiers riches, comme Manhattan, habités par des cadres qui pouvaient se permettre de travailler à domicile et où la fréquentation du métro a diminué de 95 %. Au contraire, dans les quartiers ouvriers et pauvres, comme le Bronx ou Queens, où nombre de travailleurs et travailleuses étaient contraints de continuer à travailler, sur les chantiers, dans les commerces, dans les services de première ligne, la fréquentation du métro est restée quatre fois plus importante qu’à Manhattan et l’épidémie a continué à se diffuser deux fois plus rapidement qu’ailleurs dans la ville.²

Autre preuve de ce rôle clé du métro : on observe une diffusion de l’épidémie dans les quartiers situés le long des lignes les plus fréquentées et traversant des « hot spots » du coronavirus, ces lieux concentrant de nombreux malades. Le métro a servi de vecteur de diffusion de l’épidémie dans l’ensemble de la ville depuis les premières concentrations de malades.

Toujours d’après cette étude, il y a deux catégories de victimes de cette situation. En premier lieu, ce sont les travailleurs les plus pauvres, qui ont été piégés par la nécessité économique de continuer à travailler et s’exposer au risque d’attraper le coronavirus. Bien sûr, une fois malade, il leur était aussi plus compliqué de s’isoler dans des logements plus petits, ce qui a favorisé la diffusion du virus.

Deuxièmes victimes, et qui confirment malheureusement le rôle clé du métro dans la diffusion du coronavirus, les travailleurs du réseau de transport. À ce jour, 83 employés de la Metropolitan transport Agency (MTA), l’entreprise de transport en commun de New York, ont perdu la vie suite au coronavirus4. Le taux de contamination parmi les travailleurs du MTA est trois fois plus élevé que dans le reste de la population, soit 600 cas pour 10.000 travailleurs contre 180 pour 10.000 en moyenne parmi les New-yorkais. Harris et ses collègues sont formels, la seule explication est l’exposition très forte de ces travailleurs de première ligne au virus sur leur lieu d’emploi. Par ailleurs, le manque de tests et d’informations vers les travailleurs a très certainement aggravé le problème.

Des leçons pour le déconfinement

Comment le métro a-t-il pu jouer ce rôle ? D’après l’étude, les véhicules et les stations sont des lieux idéaux pour le virus. Il y a de nombreux contacts étroits entre passagers, les gouttelettes contaminées peuvent voyager d’un passager à un autre, se déposer sur les bancs, les portes, les barres ou les poignées, le système de ventilation fait circuler le virus… Élément aggravant selon Harris : la baisse des fréquences de circulation du métro pour s’adapter à la chute du nombre de passagers, qui a maintenu une forte densité de voyageurs dans les rames encore en circulation. De plus, les rames étaient nettoyées moins d’une fois par jour. Bien sûr, selon l’étude, les bus et trains de banlieue ont joué un rôle similaire, mais avec un impact plus faible, car ils étaient moins fréquentés.

Dans ce contexte, les auteurs émettent aussi des recommandations très strictes à propos des transports publics new-yorkais pour éviter un nouveau pic au moment du déconfinement.

Tout d’abord, il faut absolument éviter la concentration des passagers, en faisant circuler suffisamment de rames pour « diluer les voyageurs ». Autre point crucial selon les scientifiques : réguler les flux sur les quais et dans les véhicules, et orienter les passagers vers des lignes moins fréquentées. Il faut aussi faire contribuer les entreprises pour qu’elles adaptent les horaires de travail pour étaler les heures de pointe.

Au niveau du matériel, il faut rénover les rames pour adapter le système de ventilation et, en attendant, ne faire rouler que les plus récentes. Les auteurs préconisent aussi de désinfecter les rames lors de chaque arrivée au terminus.

Enfin, les scientifiques formulent également des recommandations pour le personnel du transport public : des tests systématiques et fréquents, une adaptation du travail dans les véhicules, les dépôts et les stations pour respecter les normes de sécurité et du matériel de protection (masques) et de désinfection, puisqu’ils sont et seront en première ligne face au virus.

1. https://www1.nyc.gov/site/doh/covid/covid-19-data.page

2. https://www1.nyc.gov/site/doh/covid/covid-19-data.page