« Les entreprises créent la richesse » ? Répéter une idée fausse ne la rend pas vraie...

« Il faut d'abord créer de la richesse avant de la redistribuer », déclare Pieter Timmermans (patron de l'association des patrons de Belgique – la FEB) dans le journal l'Écho de cette semaine. Une idée fausse, selon Benjamin Pestieau, responsable des relations syndicales du PTB, qui répond au patron des patrons. Réfutation en 5 temps.

« Il faut d'abord créer de la richesse avant de la redistribuer », déclare Pieter Timmermans (patron de l'association des patrons de Belgique – la FEB) dans le journal l'Écho de cette semaine. Cette vieille phrase est ressortie régulièrement depuis le début du siècle. Rien que ces 40 dernières années, on a eu Thatcher, Reagan, Sarkozy et aujourd'hui tous les politiciens du MR, de l'OpenVLD et de la N-VA qui l'ont répétée. C'est aussi cette idée qui est à la base de la plupart des politiques des gouvernements à majorité ou participation sociale-démocrate en Europe. C'est cette idée fausse qui a été de très nombreuses fois réfutées théoriquement et pratiquement. Mais Timmermans et tous les défenseurs des politiques libérales espèrent qu'on en ait oublié la réfutation. Avec l'espoir que la répétition de quelque chose de faux transforme cette chose en une vérité...

Mais qu'est-ce que veut dire exactement Timmermans ? Quand le patron des patrons déclare : « Il faut d'abord créer de la richesse avant de la redistribuer », il défend la raisonnement suivant : Ce sont les entreprises qui créent la richesse de la société. Il faut donc les aider en leur faisant des cadeaux. Une fois qu'elles auront créé de la richesse, il y aura quelque chose à redistribuer. Pas avant. En attendant, il faut faire des économies dans les services publics (en les privatisant, en les rendant plus cher, en diminuant les conditions de travail) et dans les salaires. Si l’on n'aide pas les entreprises, elles vont faire faillite et il n'y aura alors plus de richesses à distribuer. 

Cela parait d'une logique implacable. Timmermans aurait-il raison ? Et bien non il a tort. Le raisonnement de Timmermans est faux. Démonstration.

Mensonge n°1

« Il faut d'abord créer de la richesse avant de la redistribuer. » La Belgique n'a jamais produit autant de richesse de toute son histoire qu'aujourd'hui. La Belgique d'aujourd'hui produit pour plus de 100 milliards d'euros en plus (à euro constant) que celle d'il y a 20 ans. Alors pourquoi aurions-nous plus de mal à distribuer la richesse aujourd'hui ? Pourquoi devrions-nous avoir moins dans notre assiette ? Pourquoi devrions-nous avoir moins de services publics ? Ou est passée toute cette richesse produite en plus ? En bonne partie dans les entreprises qui l’accumulent et qui ne savent plus quoi en faire. En mai dernier, le journal l’Écho titrait sur le fait que rien que les entreprises belges avaient accumulé 26 milliards de cash inutilisés!

Mensonge n°2

La phrase de Timmermans a été utilisée par ceux qui l'ont prononcées avant tout pour faire des cadeaux aux riches (en particulier par la diminution des impôts pour les plus riches) avec pour résultat une explosion des inégalités. C'est-à-dire que les travailleurs ont touché de moins en moins de la richesse qu'ils produisaient et une petite minorité (surtout les 1 % les plus riches) ont vu leurs revenus exploser. 

Comme l'expliquait encore récemment le multimilliardaire américain Warren Buffet, on a tellement fait de cadeaux aux riches qu'aujourd'hui, ils paient moins d'impôt que leurs secrétaires (voir le reportage de la VRT à ce sujet : https://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=rajPJCoEjQw). 

Mensonge n°3

Quand Timmermans parle de créer de la richesse, il sous-entend que la richesse ne pourrait être créée que par des entreprises privées. Pourtant, l’histoire passée, récente et actuelle est faite de nombreuses entreprises publiques qui ont contribué ou contribuent aujourd'hui à produire la richesse de la société. Pourquoi ne pas revendiquer plus d'investissement dans les entreprises publiques ? Pourquoi ne pas revendiquer de l'investissement dans la création de nouvelles entreprises publiques ? On aurait là un gros avantage. C'est la population qui les détiendrait, aurait son mot à dire et c'est elle qui en retirerait les bénéfices. Pas une pognées d'actionnaires.   

Mensonge n°4

Quand Timmermans parle de créer de la richesse, il sous-entend que ce sont les actionnaires, les patrons ou les plus riches qui créent de la richesse. Pourtant, on n'a pas beaucoup vu ces dernières années Lillianne Bettencourt – une des plus grosses fortunes de France – dans les usines de l'Oréal, dont elle est l'actionnaire principale. Son travail n'a en rien contribué à produire la moindre bouteille de shampooing ou crème de beauté. Pourtant, elle s'est fortement enrichie ces dernières années grâce aux cadeaux fiscaux accordés par les différents gouvernements français. Si on veut aider les créateurs de richesses, alors aidons avant tout les travailleurs salariés ou indépendants.

Mensonge n°5 

Les pays qui sont le plus en pointe dans la logique de cadeaux aux riches et d'austérité pour les travailleurs ne sortent pas de la crise. Le meilleur exemple sont les Pays-Bas, qui restent enfoncés jusqu'au cou dans la crise et sont bien en-deçà aujourd'hui de leur niveau de production de 2008. Leur dette publique et la dette des ménages ne cessent également de croître. 

Conclusion ? 

De l'expérience des ces 40 dernières années, la seule conclusion qu'on peut tirer de la politique des cadeaux aux riches c'est qu'elle enrichit... les riches. Ils n'ont jamais été aussi riches et aussi nombreux qu'aujourd'hui. 
Les pays qui pratiquent actuellement la politique de cadeaux aux riches et d'austérité pour les travailleurs s'enfoncent dans la crise. 

Ce sont les travailleurs qui sont les véritables créateurs de richesses (par celles qu'ils produisent et celles qu'ils consomment). Ils ont le droit de voir la couleur des richesses qu'ils ont produites. Que ce soit sous forme de salaires individuels, sous forme de salaires collectifs (la sécurité sociale) ou sous forme de services publics bon marché et de qualité. Il s'agit d'un droit qu'il faudra arracher à ceux qui ne produisent rien ou pas grand chose mais qui empochent beaucoup (ainsi qu'à tous ceux qui les défendent). 

Pour cela, il va falloir se mobiliser et descendre dans la rue pour nos salaires, nos services publics. Ne gobons pas tous les discours gouvernementaux et patronaux qui parlent de nos « coûts salariaux trop élevés » ou sur l'« obligation de couper dans les dépenses publiques ». 

*Benjamin Pestieau est responsable des relations syndicales du PTB