Les Républicains font de la propagande contre la Chine le thème de la campagne électorale de Donald Trump

La guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, qui dure depuis un certain temps déjà, menace de s'intensifier à cause de la campagne électorale de Donald Trump. Les déclarations de Trump qualifiant l'épidémie de coronavirus d'acte de guerre posé par la Chine n'en sont qu'un avant-goût. Car la première victime d'une guerre, c'est toujours la vérité.

Trump a déclaré que le coronavirus était « la pire attaque que nous n’ayons jamais connue. Pire que Pearl Harbor, pire que le World Trade Center. Ce virus aurait pu être arrêté à sa source, en Chine. Mais ce n'est pas ce qui est arrivé. » Comment expliquer cette soudaine attaque contre la Chine de Trump ?

« Ne défendez pas Trump, attaquez la Chine »

Il y a quelques semaines, la fuite d’un document a suscité beaucoup d’émoi aux États-Unis. Celui-ci décrivait la ligne de campagne des Républicains (conservateurs) pour les prochaines élections sénatoriales. Ces élections, au cours desquelles un tiers des sièges de sénateurs seront renouvelés, coïncident avec l'élections présidentielle du 3 novembre. Dès lors, ce document en dit long sur la campagne de Trump elle-même. Celle-ci est construite autour d'un slogan : « Ne défendez pas Trump, attaquez la Chine. » Bref, les Républicains ne se donneront pas la peine de défendre le président actuel, ni sa politique. Toute la campagne tournera autour de la Chine.

Ce document de plus de cinquante pages développe des arguments et des liens pour faire passer ce message : « La Chine a provoqué cette pandémie en la dissimulant, en mentant, et en accumulant égoïstement du matériel médical. La Chine est notre ennemie parce qu'elle a volé des millions d'emplois américains, et envoyé des minorités religieuses dans des camps de concentration. Mon adversaire (démocrate) est trop mou à l’égard de la Chine, et trop faible pour s’opposer au parti communiste chinois. Je vais résister à la Chine, ramener nos industries et nos emplois ici, et faire campagne pour des sanctions contre la Chine, en réaction au rôle qu’elle a joué dans la propagation de cette pandémie. » Le président républicain parvient déjà à faire réagir les démocrates sur ce sujet : Joe Biden, candidat des Démocrates pour la prochaine élection présidentielle, a reproché à Trump d'être « trop doux » envers la Chine. Cela ne peut toutefois bénéficier qu’à ce dernier.

En effet, Trump ne veut évidemment pas d’une campagne qui traiterait de sa gestion dramatique de la crise, ni de discussion sur l'état catastrophique du système de santé de son pays, ni de débat sur le fossé qui se creuse entre les riches et les pauvres, ni de critique à l’égard des riches, qui n’ont aucun scrupule à faire peser la crise sur la classe des travailleurs, entraînant des millions de licenciements et un appauvrissement terrible. Ce qu’il veut, c’est une campagne dont le thème principal consiste à désigner les Chinois comme seuls responsables de l’épidémie de coronavirus (tout comme les Juifs étaient accusés d’être responsables de la peste au Moyen-Âge). Aux États-Unis, le racisme vis-à-vis des Chinois vient désormais s’ajouter au racisme à l'égard des noirs et des Latinos. Deux tiers des Américains ont déjà une image négative des Chinois aujourd'hui. Les forces de l’alt-right (droite extrême, dont Trump est issu) et d'extrême droite diffusent cette propagande anti-chinoise dans le monde entier depuis un certain temps déjà, avec une véhémence singulière.

Aux États-Unis, les élections sont souvent sordides ; les fakes news et les campagnes de diffamation sont des ingrédients incontournables d’une propagande électorale classique. Ce document l’illustre également. Examinons de plus près les deux affirmations principales qui en ressortent : « La Chine a délibérément dissimulé des informations » et « Le coronavirus est une arme biologique, fabriquée par les Chinois ».

La Chine a-t-elle fait taire les lanceurs d’alerte à propos de ce virus ?

Selon Trump, la Chine aurait voulu dissimuler les infections au Covid-19, ce qui, à ses yeux, rend ce pays responsable de la pandémie mondiale. Son récit – à l’instar de toute propagande de guerre – est un mélange de vérités, de demi-vérités et de véritables mensonges. Et surtout, il fait l’impasse sur de nombreuses vérités. Prenons par exemple l'histoire du célèbre médecin chinois, Li Wenliang, l'ophtalmologue qui, le 30 décembre, avait envoyé sur WeChat (messagerie comparable à WhatsApp, très populaire en Chine) des informations qu’il avait reçues d'un collègue du service des urgences concernant « un nouveau virus du SRAS » (Le SRAS est le Syndrome respiratoire aigu sévère, un coronavirus apparu en 2002). Li Wenliang avait été blâmé pour ne pas avoir diffusé cette information par les canaux officiels, et « semer la panique ». Pour ce dernier fait, il avait été interrogé et réprimandé dans un commissariat de police. Les autorités ont manifestement commis une erreur, le gouvernement a d’ailleurs présenté des excuses en mars, et les responsables ont été sanctionnés. Malheureusement, le docteur Li Wenliang lui-même était déjà décédé du Covid-19 le 7 février.

Trump présente ces faits comme la preuve que la Chine a voulu étouffer l'affaire. Selon lui, il s’agirait d'un « meurtre prémédité, ils sont coupables d'avoir caché ce virus au monde entier, un Tchernobyl biologique ». « Ils devront rendre des comptes », a aussi déclaré Steve Bannon, l'un des idéologues d'extrême droite de Trump (et du Vlaams Belang).

La Chine a partagé le code génétique du Covid-19 dès le 12 janvier

La Chine aurait-elle tenté de dissimuler l’affaire ? Une telle affirmation ne tient pas la route. Un autre médecin, Zhang Jixian, la directrice du département des maladies pulmonaires de l'hôpital provincial du Hubei, a tiré la première la sonnette alarme, examens à l’appui, le 27 décembre, soit trois jours avant le Dr Li. Le 30 décembre, ces cas étaient déjà signalés dans le cadre du programme international de détection des maladies infectieuses ProMed. Le 31 décembre, la télévision d'État chinoise signalait déjà des cas de « pneumonie de cause inconnue », et qu'une équipe spécialisée s'était rendue sur place. Le 31 décembre, la Chine en informait l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Le 7 janvier, la Chine avait déjà isolé le virus. À partir du 10 janvier, ses séquences d'ADN étaient partagées sur des sites scientifiques. Et le 12 janvier, la séquence d'ADN est partagée à l’échelle internationale, ce qui permettra de lancer la production de kits de test, et de démarrer la recherche d'un vaccin. Comment peut-il être question d’une « opération de dissimulation » ?

Peter Piot : « Les Chinois et nous avions d'abord pensé à une nouvelle version du virus du SRAS »

Après cela, une semaine a été perdue. Avec le recul, tout est toujours clair, mais à ce moment-là, il subsistait encore des doutes quant au degré de contagion du virus. On ne savait pas encore avec certitude dans quelle mesure il pouvait être transmis d'homme à homme. Le virologiste belge Peter Piot est un témoin privilégié : « Le directeur du Centre chinois de contrôle des maladies est un bon ami à moi. J'ai donc pu suivre de près l'évolution de la crise du coronavirus dès le début, à partir du mois de janvier. Nous avons d'abord pensé qu'il s'agissait d'une nouvelle version du virus du SRAS, qui était apparu en Chine en 2002, mais qui avait eu un impact assez limité. Nous supposions que ce serait le cas cette fois aussi. » C’est pourquoi les grands événements n'ont pas été interdits à Wuhan (là où le Covid-19 a été diagnostiqué en premier), et des millions de migrants ont tout de même été autorisés à quitter la ville, pour célébrer le Nouvel An chinois. C'était une hypothèse erronée, émise par d'éminents scientifiques, qui était probablement inévitable avec ce nouveau virus. Mais peut-on parler d'une « opération de dissimulation » ? Lorsque la gravité du virus devient évidente le 2 janvier, le confinement de Wuhan est décrété en seulement trois jours. Cette mesure s'étend ensuite progressivement à toute la province du Hubei, et à ses 59 millions d'habitants. La mise en quarantaine de la province entière débute dès le 16 février. Dans son rapport, l'OMS fait l'éloge de cette rapidité et de cette efficacité sans précédent, et pose immédiatement la question de savoir si d'autres pays réagiront de la même manière adéquate. Elle ne sera pas remerciée pour cela. Tout le monde peut comparer cette approche à celle de Trump aujourd'hui. La Chine a perdu une semaine à un moment où il y avait encore beaucoup d’incertitudes. Trump s'est moqué du virus pendant des semaines, alors qu'il y avait déjà des preuves scientifiques attestant de la gravité de celui-ci.

Le Covid-19 est-il une arme biologique des Chinois ?

Trump a récemment passé la vitesse supérieure. Selon lui, les Chinois auraient laissé le virus s'échapper d'un laboratoire de Wuhan, probablement inconsciemment, mais peut-être même délibérément. Et son ministre des Affaires étrangères, Mike Pompeo, va plus loin, en adhérant à la théorie du complot qui prétend que le virus ne serait pas d’origine naturelle, provenant de chauves-souris, et selon laquelle « les meilleurs experts disent que le virus a été fabriqué artificiellement par la main de l’homme ». À en croire Trump, les Chinois voudraient frapper l'économie américaine de cette manière, et mettre en péril sa réélection. En d'autres termes, il s'agirait d'un acte de guerre biologique.

Le New York Times a recherché les origines de cette théorie, et a abouti au sénateur républicain Tom Cotton. Elle a ensuite été diffusée aux États-Unis par Steve Bannon et Fox News, puis introduite en Europe par le tabloïd britannique Daily Mail. Tous les virologues, toutes les revues scientifiques, et même les services de renseignement de Trump, ainsi que son propre conseiller, le Dr Fauci, ont rejeté cette théorie complotiste, estimant que c’est une « aberration ». « Quelle absurdité ce serait que de fabriquer une arme de guerre qui touche principalement les personnes âgées et malades », écrit le spécialiste de la guerre biologique Dan Kaszeta.

Les services de renseignement de Trump qualifient son affirmation de « non-sens »

L’absence totale de preuves attestant sa théorie n’empêchent cependant pas Trump de continuer à la diffuser. Même lorsque des sources de différents services de renseignement disent au Guardian que Trump a fait préparer un « dossier » et l'a divulgué à la presse. Ainsi cette théorie obtient le même statut que l'affirmation de l'ancien président américain Georges W Bush et de l'ex-Premier ministre Tony Blair, selon laquelle l'Irak possédait des « armes de destruction massive » et qu'une guerre contre l'Irak était donc légitime. Ce sera l'argument ultime qui permettra d’étouffer tout débat et de tout justifier. De nombreux scientifiques voient le danger et réagissent vivement. Le rédacteur en chef de la revue médicale The Lancet, Richard Horton, parle d'une « seconde pandémie, celle de la désinformation ». Et il avertit qu'elle est aussi dangereuse que la pandémie du virus, car elle entrave la recherche scientifique sérieuse.¹

C’est alors qu’entre en scène un autre mécanisme de propagande. Le débat de fond est étouffé, et tous ceux qui ne sont pas d'accord sont fustigés. Toute personne qui contredit la version des faits de Trump subit son courroux de plein fouet, y compris l'OMS. Une campagne de diffamation est déployée contre son directeur général, Tedros Ghebreyesus. Donald Trump, celui-là même qui voulait éradiquer le virus avec de l'eau de Javel, accuse soudain d’éminents scientifiques de l'OMS tels que Mike Ryan et Maria Van Kerkhove d'être « incompétents », et « soudoyés par le Parti communiste chinois ». Si vous lancez une recherche Google sur l'épidémiologiste canadien Bruce Aylward, qui a dirigé la délégation de l'OMS en Chine, une série d'articles apparaîtra immédiatement sous la mention « corrompu ». « Lorsque Donald Trump critique la façon dont l’OMS a géré la crise, et l’accuse de jouer le jeu de la Chine, c'est sa façon de dire que l'OMS et la Chine sont responsables de cette crise, explique Marie-Cécile Naves, chercheuse à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Il cherche des boucs émissaires pour faire taire les critiques sur sa propre gestion déplorable de la pandémie. »

Les États-Unis cherchent la confrontation avec la Chine

La campagne anti-Chine actuelle sert la réélection de Trump, mais plus fondamentalement, elle vise aussi à stopper l’ascension de la Chine, qui menace l'hégémonie américaine. En outre, Les États-Unis sont agacés par le fait que la Chine persiste dans sa voie alternative, qu'elle décrit comme un socialisme aux caractéristiques chinoises. Auparavant, les stratèges américains partaient du principe que la libéralisation en Chine, autorisant davantage de propriété privée, de marché libre et l’apparition d’une nouvelle classe de riches capitalistes chinois, conduirait automatiquement à une reprise du capitalisme. Ils supposaient que la Chine privatiserait toutes ses entreprises d'État, donnerait une liberté totale aux multinationales étrangères, permettrait aux partis libéraux de prendre le pouvoir et qu’elle ne s'opposerait plus à la politique internationale impérialiste des États-Unis. Cependant rien de tout cela ne s’est produit.

« Nous nous sommes trompés », déclarent aujourd'hui les idéologues américains, et depuis Obama, ils ont progressivement adopté une stratégie différente, une nouvelle guerre froide. L'un des plus importants stratèges de la précédente guerre froide contre l'Union soviétique écrit à ce sujet : « Il n'y a pas longtemps, les États-Unis ont gagné la guerre froide. Avec des programmes et des tactiques similaires, nous pouvons aussi déjouer les ambitions excessives de la Chine ».²

Aujourd'hui, un consensus grandit entre les Républicains et les Démocrates au sein de l'establishment américain, sur la façon dont cela doit se matérialiser. Il n’est plus question de coopération économique et technologique. La confrontation est recherchée de plus en plus ouvertement, sur le terrain des tarifs douaniers, mais aussi des investissements. La nouvelle guerre froide est déjà là, mais avec elle, grandit aussi le risque que ce conflit ne se transforme en une véritable guerre. Et tout comme la précédente guerre froide s'est accompagnée de propagande, c'est le cas aussi aujourd’hui. Les campagnes de désinformation actuelles ne constituent donc pas seulement un danger d’ordre sanitaire. La propagande anti-Chine menace aussi la paix. Percer à jour les mensonges de la propagande anti-Chine de Trump est aujourd'hui essentiel pour enrayer la logique de la guerre (froide).