Les soignants lancent une lettre ouverte et une pétition : "Protégez les soignants"

Linda Van der Schoepen, Rob Eeman et Dennis De Meyer ont lancé une lettre ouverte et une pétition la semaine dernière sous le titre "Protégez les soignants". Tous trois travaillent dans une maison de repos et de soins et s'inquiètent pour les résidents et leurs collègues. Ils demandent au ministre Beke de veiller à ce qu'il y ait suffisamment de matériel de protection, de tests et d'aides disponibles dans le domaine des soins de santé. Une triple interview.

Pourquoi avez-vous lancé cette pétition ?

Rob Eeman. Cette pétition est là en premier lieu parce que nous nous soucions de nos prochains, en particulier des résidents. Bien sûr, nous nous préoccupons également de notre propre santé, car si nous sommes infectés par le coronavirus, nous pouvons le transmettre aux résidents ou à notre famille. Le plus important est que nous puissions assurer un respect strict des mesures de protection et prendre soin des malades. Et c'est là que le bât blesse. Il y a une pénurie de masques buccaux et ceux dont nous disposons sont de mauvaise qualité. Sans compter que nous ne sommes pas obligés de porter un masque tout le temps. En outre, le personnel n'est pas formé aux consignes de sécurité et à l'utilisation du matériel.

Le ministre Beke peut se rendre compte par lui-même à quel point il est stressant de devoir travailler avec une aussi piètre protection.

Linda Van der Schoepen. Là où je travaille, nous avons des masques buccaux, mais les élastiques se détachent et les masques ne s'adaptent pas bien au visage. Comment y remédier ? Nous fixons les élastiques à l'aide d'agrafes et utilisons des trombones pour mieux ajuster le masque. J'ai entendu dire que dans d'autres maisons de repos de Brasschaat, ils doivent travailler avec le même masque buccal pendant trois jours. Nous et les résidents ne valons-nous donc pas plus que ça ? Le ministre Beke peut se rendre compte par lui-même à quel point il est stressant de devoir travailler avec une aussi piètre protection.

Qu'espérez-vous obtenir avec cette pétition ?

Linda Van der Schoepen. Mais, bon sang, que tout le monde soit testé et puisse appliquer les mesures qui s'imposent. Afin que nous puissions nous protéger nous et nos résidents de cet ennemi invisible. Un résident de mon département l'a décrit en ces termes : "C'est une guerre sans armes. Une guerre où l'on ne voit même pas l'ennemi. Il se faufile pour frapper sans que vous vous rendiez compte".

Les syndicats mènent le même combat pour obtenir un matériel de protection suffisant dans le secteur de la santé. Pourquoi avez-vous estimé nécessaire de lancer votre propre pétition ?

Rob Eeman. Parce que notre pétition vient directement des acteurs de terrain et les témoignages des travailleurs reflètent très précisément les problèmes rencontrés sur le lieu de travail. Nous pensons que d'autres intervenants du secteur des soins se retrouveront dans nos revendications. Nous avons une relation directe avec nos collègues et les résidents et nous voulons défendre leur santé. Bien sûr, nous pensons que c'est une bonne chose que les associations les plus diverses, les femmes et hommes politiques et les syndicats se mobilisent. Plus la pression est forte, mieux c'est. J'espère qu'ils soutiendront aussi notre pétition.

Notre pétition vient directement des acteurs de terrain et les témoignages des travailleurs reflètent très précisément les problèmes rencontrés sur le lieu de travail.

Dans votre lettre ouverte, vous dites que les économies réalisées dans le domaine des soins de santé ont eu de graves répercussions. Comment ressentez vous cela aujourd'hui ?

Rob Eeman. Déjà la dernière fois, nous n'avons pas obtenu l'attention nécessaire. La question qu'il faut se poser est de savoir ce que les soins supplémentaires en période de coronavirus exigent de nous.

Dennis De Meyer. Si les soins de santé n'avaient pas fait l'objet de coupes aussi drastiques, il n'y aurait pas eu autant de morts. Le secteur des soins traversait déjà une grave crise avant la crise du coronavirus. Les travailleurs du secteur étaient déjà poussés dans leurs derniers retranchements. Le manque de personnel a déjà fait des victimes parmi les résidents et les collègues. Des scènes intolérables se sont produites dans les maisons de repos et de soins, qui ont fait couler beaucoup d'encre. La commercialisation a également fait des ravages. Si nous avions disposé des mêmes effectifs qu'il y a environ 10 ou 15 ans, nous aurions pu réagir plus rapidement et mieux.

Rob Eeman. En tant que soignants nous n'avons pas peur de travailler dur, mais nous voulons être en mesure de fournir des soins de qualité. Nous avons tous le même objectif : prendre soin des gens. Dans le cadre de notre formation, une attention particulière est accordée à l'approche holistique : dans nos soins aux résidents, nous voulons accorder autant d'attention à leur soutien social et psychologique qu'à leur prise en charge physique. Comment faire quand on ne peut pas passer plus de dix minutes à laver et habiller quelqu'un ? Rien que dispenser les soins physiques, c'est déjà une lutte contre la montre. Et tant que les normes légales en matière de personnel ne seront pas relevées, cela ne changera pas.

Linda Van der Schoepen. Depuis 30 ans déjà, j'entends dans les réunions de militants que le vieillissement de notre population sera un énorme problème. Qu'ont fait les responsables politiques à ce sujet ? Ils ont cherché des moyens de faire travailler plus longtemps les infirmiers et infirmières et les soignants. Dans le passé, ceux-ci arrêtaient souvent de travailler à l'âge de quarante ans, en raison de problèmes physiques tels que des problèmes de dos. Nous voulions une augmentation de salaire et avons obtenu à la place des jours de congé supplémentaires. Mais investir dans les soins de santé ? Non, ils ont juste fait des économies. Le 5 mars, nous sommes une fois de plus descendus dans la rue. Eh oui, il y a à peine un mois et demi! Je travaille dans le secteur des soins depuis mes 18 ans, mais jamais je n'ai connu de situation aussi tragique. C'est véritablement la conséquence de la négligence dont ont fait preuve nos gouvernements successifs.

Wouter Beke a déclaré cette semaine que les choses ont sérieusement mal tourné dans certaines maisons de repos et a rejeté la faute sur les maisons de repos elles-mêmes. Comment réagissez-vous à cela ?

Les gouvernements n'ont jamais rien fait contre les maisons de repos qui placent le profit au-dessus des êtres humains.

Rob Eeman. Bien sûr, il y a une responsabilité partagée. Mais pointer du doigt les maisons de repos et de soins est injuste. M. Beke estime qu'après la crise, il s'agira de "séparer le bon grain de l'ivraie". Or, les gouvernements n'ont jamais pris aucune mesure concernant les maisons de repos qui placent le profit au-dessus des êtres humains. Ils ont même favorisé une privatisation débridée. Tant que les ministres n'oseront pas faire face à la détérioration des soins aux personnes, ils feraient mieux de garder ces déclarations pour eux et de veiller à ce qu'il n'y ait que du "bon grain" dans les soins. Et le bon grain c'est ce que vous obtiendrez si vous déployez suffisamment de personnel et de ressources. Cela relève de la compétence de M. Beke en tant que ministre, pas de la nôtre.

Linda Van der Schoepen. Je travaille dans un service pour les personnes atteintes d'une démence. Vous ne pouvez pas demander à ces personnes de se lever ou de manger à intervalles réguliers. Une approche complètement différente est requise, où il faut faire preuve de douceur et de calme. "Vous préférez vous lever ou rester encore couché un moment ?" Mais cela n'est pas pris en compte dans la politique, car nous nous occupons de 60 résidents atteints de démence avec seulement 6 à 7 soignants. Comme l'a indiqué Rob, les normes relatives au personnel doivent être adaptées.

Nous prenons en charge 60 résidents atteints de démence avec à peine 6 à 7 soignants. Ces normes relatives au personnel doivent être adaptées

Dennis De Meyer. Comment pouvez-vous fournir des soins de qualité alors que vous n'avez presque plus de personnel permanent ? Comment diable pouvez-vous assurer un service de qualité lorsque les effectifs passent d'une équipe de huit employés à trois, comme cela s'est produit en 1997 ? Les ministres eux-mêmes portent une responsabilité accablante. Il est scandaleux qu'ils veuillent faire porter le chapeau à ces héros qui continuent à combattre l'ennemi invisible envers et contre tout.

Dennis, dans la maison de repos et de soins où vous travaillez, plusieurs résidents sont déjà morts du coronavirus en peu de temps. Quel effet produisent sur vous ces décès ?

Dennis De Meyer. Jamais dans ma carrière je n'ai vu autant de résidents mourir en si peu de temps, parfois jusqu'à quatre en une journée. Il y a aussi des gens que je connais depuis longtemps, que je voyais très souvent et dont je sais beaucoup de choses et qui en savent aussi beaucoup sur moi. Souvent, un lien d'amitié s'est crée. Puis, vous vous voyez confronté à la mort soudaine de ces mêmes personnes. C'est un véritable coup de massue pour le moral. C'est vraiment très dur. Il faudra beaucoup de temps avant que toutes les blessures du personnel ne soient cicatrisées.

Chaque fois qu'un résident gravement malade est testé, on attend la peur dans le ventre. Est-il positif ou non ?

Linda Van der Schoepen. Une femme vient de mourir chez nous. Nous ne savons pas encore si elle était atteinte du coronavirus, car elle n'a été testée qu'après sa mort. L'incertitude nous joue des tours. Chaque fois qu'un résident gravement malade est testé, on attend la peur dans le ventre. Est-il positif ou non ? L'aurais-je introduit ou non ?

Dans le cas des résidents atteints de démence, nous devons constamment leur expliquer pourquoi nous portons un masque, en veillant autant que possible à dissiper leurs craintes. Un soutien psychologique accru serait le bienvenu, pour nous rendre la tâche plus supportable.

Dennis, vous êtes vous-même tombé malade récemment et avez été testé immédiatement. Qu'avez-vous ressenti ? Votre indignation à l'égard de la politique s'en est-elle trouvée accrue ?

Dennis De Meyer. Effectivement, j'ai moi aussi été atteint par le virus. Cela a commencé lentement et, en fait, je ne voulais pas y céder. Mais j'ai eu de plus en plus de douleurs musculaires, de fatigue et finalement de la fièvre. J'ai alors décidé d'arrêter de travailler et de me faire tester à l'hôpital. Je n'avais pas le choix, j'étais à bout. En fait, je m'attendais à un test positif. Cela ne me serait peut-être pas arrivé si le gouvernement avait réagi différemment face à l'épidémie, mais le groupe de maisons de repos pour lequel je travaille aurait pu, lui aussi, faire beaucoup de choses différemment. L'équipement de protection est arrivé trop tard. Avant que nous puissions l'utiliser pleinement, le mal avait déjà été fait. Alors que nous nous trouvions encore au tout début de la tragédie, j'ai reçu une proposition de Médecine pour le peuple, de tester tous les résidents et les intervenants de notre institution. Mais notre employeur a refusé. Je suis très en colère à ce sujet, car nous avons manqué une occasion sérieuse d'atténuer l'épidémie. La proposition de MPLP comprenait également un volet formation portant sur l'utilisation des équipements de protection. Ceux-ci nous ont finalement été livrés, mais sans explications adéquates sur la façon de les utiliser, ce qui a clairement entraîné de graves erreurs au début. Le personnel des maisons de repos n'est pas formé pour cela de la même manière que celui des hôpitaux.

Cela ne me serait peut-être pas arrivé si le gouvernement avait répondu à l'épidémie différemment.

Mercredi 15 avril, le Conseil national de sécurité a décidé d'autoriser une fois de plus les visites dans les maisons de repos, et ce sans consulter le secteur. Cette décision a fait l'objet de nombreuses critiques et a finalement été révoquée. Avec le recul, aucun ministre n'a voulu prendre ses responsabilités, se contentant de se rejeter la balle ou de pointer du doigt les experts. Que pensez-vous de cela ?

Dennis De Meyer. Cette décision a immédiatement suscité une avalanche de réactions, presque toutes extrêmement critiques. Il était même irresponsable d'y penser dans les circonstances actuelles. Nous sommes toujours sur le fil du rasoir dans la lutte contre la pandémie. Bien sûr, nous voulons que nos résidents puissent à nouveau voir leur famille en personne. Je sais combien c'est difficile quand on ne peut pas, ma mère réside dans une MRS. Mais pour l'instant, ce n'est vraiment pas assez sûr, ni pour les résidents ni pour les visites elles-mêmes.

Chez nous, nous avons lancé une initiative fantastique, le "bus-rencontre".

Linda Van der Schoepen. Pour certains résidents de maisons de repos, cela peut être une bonne chose, pour d'autres, cela provoque encore plus de confusion. Il ne s'agit pas de voir les choses en blanc et en noir. Vous devez connaître vos résidents et savoir ce dont ils ont besoin, quand ils en ont besoin. Là où je travaille, nous avons lancé, le lundi 20 avril, une initiative fantastique que nous appelons le "bus-rencontre". Le bus est normalement utilisé pour emmener les résidents en excursion, mais il est maintenant divisé en deux compartiments. Ainsi, les résidents peuvent rencontrer leur famille dans le plein respect des règles de sécurité. Dans un compartiment le résident, dans l'autre le visiteur. Le bus est désinfecté après chaque visite.

Rob Eeman. Les manigances des politiciens ont surtout contribué à diviser les gens. C'était un cadeau irresponsable qui, bien heureusement, n'était pas encore entouré d'un ruban. Les résidents de la maison de retraite ne sont pas demandeurs, estimant eux-mêmes que le risque d'infection est trop grand pour leur famille. Bien entendu, nous espérons tous que les droits de visite pourront rapidement être rétablis une fois que la sécurité sera assurée. Je trouve les images des soins psychiatriques et des soins aux handicapés absolument bouleversantes.

Dans votre lettre ouverte, vous ne vous limitez pas aux maisons de repos, vos revendications s'étendent à l'ensemble du secteur des soins. Pourquoi ?

Rob Eeman. Nous sommes tous touchés par cette crise et nous comprenons que les hôpitaux devaient être préparés en premier. Mais je n'arrive pas à me défaire de l'idée que les autres secteurs du bien-être et des soins à la personne ont été abandonnés à leur sort. J'ai également beaucoup de respect pour les éducateurs. Ils continuent à travailler malgré un risque élevé d'infection, car la distanciation sociale est encore plus difficile dans les soins aux personnes handicapées. Dans ce secteur également, toutes les mesures de soutien doivent être mises en œuvre. Nous devons nous assurer qu'à l'avenir, des ressources suffisantes seront affectées au secteur du bien-être dans son ensemble.

Une politique de soins ne vaut pas un sou si elle ne tient pas compte des besoins des gens.

Linda Van der Schoepen. Je suis extrêmement déçue par cette politique et j'espère qu'à l'avenir, il y aura une bonne communication avec les experts dans l'ensemble du secteur des soins de santé et dans tous les domaines. Je veux que nous soyons pris au sérieux. Une politique de soins ne vaut pas un sou si elle ne tient pas compte des besoins des gens.