Licenciement chez Kone : « Il ne s'agit pas ici juste d'une personne, mais du travail syndical »

Pas de casque de sécurité sur la tête... et licencié sur-le-champ. La sécurité avant tout? Pas vraiment : ce licenciement est plutôt dû au fait que le travailleur en question est délégué syndical. Les travailleurs de l'entreprise Kone à Bruxelles sont en grève depuis trois jours pour exiger l'annulation du licenciement de leur délégué principal. Une question de principe : il en va également de la protection et de la défense du travail syndical.

Une longue file de travailleurs est massée près du barbecue installé devant le siège bruxellois de Kone, le fabricant finlandais d'ascenseurs et d'escalators. Pour le troisième jour d'affilée, ils mènent une action. Lundi, Eddy, le délégué principal, a été licencié sur-le-champ. La raison invoquée : il ne portait pas de casque de sécurité alors qu'il travaillait dans une chambre de machinerie.

« C'est très clairement un prétexte, affirme Jeffrey Van Loo, qui s'occupe pour l'entreprise de l'entretien et de la réparation des escalators dans le métro bruxellois. Il y a beaucoup de discussion quant aux règles sur le port du casque de sécurité. La procédure stipule qu'il faut toujours l'avoir avec soi et qu'il faut le porter lorsqu'il y a du danger. Quand Eddy travaillait dans la chambre de machinerie, il faisait entre 35 et 40 degrés. On ne peut pas porter ce casque en permanence. Et il n'y avait pas de danger direct. De plus, lors d'un contrôle, il y a aussi eu d'autres collègues qui ne portaient pas de casque et cela n'a pas eu de conséquences pour eux. Il est donc très clair que c'est à Eddy qu'ils veulent s'en prendre. »

Un « emmerdeur »

« Une forte tête. » C'est ainsi que Jeffrey qualifie le délégué licencié. « Mais une forte tête dans le bon sens du terme. Il est toujours bien informé et ses arguments sont très étayés. Bref, un "emmerdeur", et ça la direction n'aime pas ! Pas mal de changements sont en préparation, et elle sait qu'avec un délégué comme Eddy elle ne va pas pouvoir les appliquer juste comme ça. Si Eddy est licencié, cela crée un dangereux précédent. Les délégués qui viendront après lui seront beaucoup plus prudents. Les travailleurs aussi se diront qu'il vaut mieux s'incliner et faire ce qui leur est demandé. »

​Cela montre qu'à l'évidence, il y a ici bien davantage en jeu que l'avenir d'Eddy. « Dès le début, nous avons dit qu'il s'agissait d'une attaque contre le travail syndical, souligne Grégory Dascotte de la FGTB Métal. C'est pourquoi il est important qu'ici nous mobilisions de la manière la plus large possible. Agoria, la fédération des entreprises technologiques, n'est pas contente du fait que nous mobilisions également en dehors de Kone. Mais il s'agit d'une question de principe, et nous pouvons la régler via la solidarité à l'intérieur et à l'extérieur de Kone. »

La classe des très nombreux travailleurs

Ce n'est pas un hasard si ce licenciement a lieu au début de l'été. La direction de Kone compte sur le fait qu'à cause de la période des vacances, le mouvement de protestation va rester limité. Mais cela pourrait bien tourner tout autrement pour elle. Les syndicats sont unis, sur la même longueur d'ondes, et ont bien l'intention de ne pas laisser passer l'affaire. L'enjeu est bien trop important. Lundi 8 juillet, une réunion de concertation est prévue entre les syndicats et Agoria. S'il n'y a pas de résultat favorable qui en sort, les travailleurs continueront à mettre la pression.

« Il ne s'agit pas ici juste d'une personne, mais de travail syndical, explique Grégory Dascotte. Si un délégué est licencié, cela pèse plus lourd, parce qu'il y a là un symbole. Le délégué est le maillon entre les travailleurs et la direction. Ici, on essaie de casser ce maillon. Nous ne pouvons pas laisser faire ça, nous devons réagir de la manière la plus forte possible. Pour nous, deux choses sont très claires : Eddie n'est pas licencié et il reste délégué syndical. Les syndicats sont sur une seule et même ligne, non seulement pour Eddy mais pour tous les délégués en Belgique. »

Najar Lahouari, président de la Fédération syndicale des métallurgistes du Brabant, tient également un langage combatif : « Un délégué ne se bat pas pour lui-même. Il va voir la direction pour demander quelque chose pour les travailleurs. Eddy en est la preuve vivante. Il se bat constamment pour ses collègues. Aujourd'hui, vous êtes ici pour dire : ne touchez pas à nos délégués. Nos délégués, c'est nous. Aujourd'hui, c'est le délégué de Kone, demain ce sera dans une des autres entreprises. C'est pourquoi la solidarité des autres entreprises est très importante. Et si, lundi, il n'y a pas de solution qui est trouvée, vous allez voir comment cette solidarité va s'étendre. Car les travailleurs qui forment la classe ouvrière sont très nombreux, comme vous l'avez montré aujourd'hui. »

En fin de carrière chez Kone : Valentin Santos Diaz

« Je travaille ici depuis 1978. Je pars à la pension à la fin de cette année. Avec beaucoup de plaisir. Quand je vois aujourd'hui l'entreprise – tous ces mensonges, cette hypocrisie, le profit sur le dos des gens, toujours rejeter la faute sur les techniciens,…
Ils ont instauré beaucoup de mesures de sécurité et de procédures. C'est souvent bien, cela nous aide. Mais quand ils disent que tout cela est pour notre sécurité, c'est un grand mensonge. Cela leur donne avant tout un cadre légal pour nous manipuler comme ils veulent. Comme on le voit maintenant avec Eddy, qui est licencié parce qu'il ne portait pas de casque. Moi-même j'ai eu deux contrôles lors desquels je ne portais pas de casque, et personne n'a rien dit.
Quand j'ai commencé, nous avions une tournée de 60 à 70 ascenseurs. On y arrivait avec quatre entretiens par jour. Tout cela a fortement changé. L'entreprise a beaucoup grandi, elle a racheté des plus petites entreprises, elle a beaucoup plus de clients. Il n'y a qu'une seule chose qui les intéresse : le profit. Nous avons maintenant une tournée de plus de 200 ascenseurs et il y a un manque de personnel. Certes ils recherchent du personnel, mais en général ce sont des très jeunes qui ne peuvent pas immédiatement alléger notre charge de travail. 
La pression de travail continue à augmenter. Et alors ils arrivent avec leurs procédures, soi-disant pour notre sécurité. Mais non, c'est pour se couvrir en cas de problème, pour pouvoir rejeter la responsabilité sur nous.
Il y a aussi beaucoup de mépris envers nous. Je peux très bien l'illustrer par une anecdote. Après une longue réunion, lors d'un jour de pluie, on a reçu un ticket pour aller chercher un sachet de frites au fritkot ici devant le bâtiment. J'avais alors 63 ans. Quand j'ai été dans la file sous la pluie, je me suis dit : " Putain, Valentin ! Tu as 63 ans et tu es ici en train de faire la file avec un ticket pour un paquet de frites ! " Ça peut faire rire, mais c'est quelque chose qui fait mal. Ça, je ne leur pardonne pas.
Nous faisons un métier sale et dangereux. Un métier difficile, qui exige beaucoup de connaissances. Les gens ne se rendent pas compte de ça. Ils prennent tous les jours quelque part un ascenseur, sans s''intéresser à ceux qui les entretiennent et les réparent. Pour moi, c'est un beau métier, mais je ne voudrais pas que mon fils le fasse. 
Quand je partira à la retraite à la fin de l'année, ce sera aussi avec beaucoup de mélancolie. Tout change certes, mais aujourd'hui tout change en fonction de l'argent. Il y a des années, un directeur nous a littéralement dit : "Nous sommes ici pour faire de l'argent." Depuis, l'entreprise Kone que j'ai connu a appartenu au passé. »