Lutte contre le coronavirus en France : besoin de démocratie, pas d’état d’urgence | Les débats du corona

Contrôle des sacs de courses, semaine de travail de 60h, sanctions contre des inspecteurs du travail, l’état d’urgence sanitaire décrété par le gouvernement français utilise la crise du coronavirus pour s’en prendre aux droits sociaux et démocratiques. Tout le monde veut évidemment lutter contre le virus, mais faut-il pour autant limiter la démocratie ? Jusque quand ces mesures dureront-elles ? Les travailleurs et les organisations de gauche se mettent en mouvement pour un après-corona social.

Au soir du 22 mars, l’Assemblée Nationale française valide un texte de loi qui déclare « l’état d’urgence sanitaire » et donne énormément de pouvoir au gouvernement. Ce texte lui permet de restreindre les libertés individuelles de manière quasiment inédite pour lutter contre l’épidémie mais aussi de prendre par décret des mesures pour lutter contre les effets économiques et sociaux de l’épidémie.

État d’urgence sanitaire : la démocratie à son niveau le plus bas.

Voilà donc le gouvernement français doté d’un état d’urgence sanitaire au pouvoir sans précédent. Mais pour en faire quoi ? Les conséquences se font sentir dans tous les domaines.

Politique

Le droit de manifester est suspendu.

Le droit de manifester est suspendu. La loi réduit le contrôle démocratique à son strict minimum puisque l’assemblée n’est pas prévenue à l’avance de ce que fait le gouvernement et ne peut que demander des précisions… Elle ne permet pas non plus de réel contrôle à posteriori. Les partis de gauche PCF et France Insoumise avaient demandé une commission de contrôle de l’application des mesures liées à l’état d’urgence sanitaire. Refusée.

Juridique

Le danger, ce n’est pas tellement la proclamation de l’état d’urgence, c’est son installation dans la durée et aussi qu’il constitue un laboratoire

Il ne sera pas permis de vérifier si la loi respecte la Constitution. Ni avant la crise, ni après. Une mesure qui a fait bondir le syndicat de la magistrature.
Certains spécialistes pointent aussi du doigt la dangerosité du recours récurent à l’état d’urgence et à la restriction des libertés que ça entraîne. Serge Slama, professeur de droit à l’université de Grenoble : « Le danger, ce n’est pas tellement la proclamation de l’état d’urgence, c’est son installation dans la durée et aussi qu’il constitue un laboratoire − on le voit par exemple avec l’utilisation des drones pour contrôler le confinement des populations. »

En 2015, l’état d’urgence avait été déclaré suite aux attentats. Aujourd’hui, nombre des mesures de cet état d’urgence sont rentrées dans le droit commun. C’est ce qu’expliquait François Sureau, avocat, au micro de France Inter : « Historiquement, on voit bien que le fondement des états d’urgence, c’est le caractère exceptionnel des circonstances. Ce qui me trouble, c’est que dans tous les contentieux récents, on voit bien que le discours général consiste à dire qu’il faut se doter des moyens de faire face à des circonstances exceptionnelles qui pourraient se reproduire. »

Des mesures sans précédent contre les travailleurs que le patronat aimerait pérenniser…

Social

Dès le 25 mars, le gouvernement fait passer 25 ordonnances. Certaines directement en lien avec la lutte contre le coronavirus ou avec la protection des travailleurs, d’autres par contre qui touchent violemment au code du travail.

Les entreprises « relevant de secteurs d’activités particulièrement nécessaires à la sécurité de la nation et à la continuité de la vie économique et sociale », terme particulièrement flou¹, peuvent déroger au maximum de 44h de travail en moyenne (sur douze semaine) et passer à 48. Elles peuvent également exiger des semaines allant jusqu’à 60h. Pour elles, encore, le travail du dimanche est assoupli et le repos minimum entre deux journées de travail passe de 11h à 9h. Les droits aux congés sont aussi mis à mal puisque les dates peuvent maintenant être décidées par le patronat pour des périodes de moins de 6 jours. Ce sont des mesures tout à fait exceptionnelles et sans précédent qui reviennent sur de grands acquis sociaux, pour une période extensible jusqu’au 31 décembre maximum. En théorie.
Le Medef, la plus grosse organisation de patrons français (l’équivalent de la FEB en Belgique) voudrait, pour payer la crise, que ces ordonnances perdurent dans le temps. Son président, Geoffroy Roux de Bézieux, voudrait en effet que les Français « travaillent un peu plus » mais aussi « qu’on se pose la question des congés payés et des RTT²».

Un inspecteur du travail a été mis à pied parce qu’il avait entamé une action visant à obliger une entreprise à fournir des masques aux salariés

Et si les travailleurs pensaient pouvoir faire appel aux inspecteurs du travail, ils ont dû déchanter : l’un d’entre eux a été mis à pied (par sms!) parce qu’il avait entamé une action visant à obliger une entreprise à fournir des masques aux salariés. En fait, le ministère du Travail a ordonné à la Direction générale du travail (DGT) de faire obstacle aux missions des inspecteurs du travail. C’est « comme si l'Inspection du travail entière était débranchée, voire détournée à d'autres fins que celle de protéger les travailleurs » selon Julien Boeldieu, secrétaire général de la CGT au ministère du Travail³. Depuis le début de la crise sanitaire, l'orientation du ministère du Travail est la poursuite de l'activité économique à tout prix et quel qu'en soit le coût pour les salariés.

Judiciaire

La Justice est réduite à un niveau minimum dans de très nombreux domaines, ce qui la rend soit inexistante, soit plus autoritaire. En France, aujourd’hui, des employés ne peuvent plus porter plainte pour licenciement abusif pour la simple et bonne raison que les tribunaux du travail sont fermés. Dans le même temps, les juges des enfants ont reçu le droit de prendre des décisions valables pour de longues durées sans audience et sans consultation des familles.
Par contre, les forces de police sont plus présentes et répressives que jamais. Beaucoup de citoyens témoignent par exemple de contrôles et d’amendes abusives de la police relatives au confinement. La police en vient même à fouiller les courses des gens pour déterminer si elles sont « nécessaires ou non » sur base de critères inexistants… Sans parler des quartiers populaires où les cas de violences policières explosent.

Le pouvoir prépare l’après-corona

Si l’État semble particulièrement occupé à développer son arsenal répressif, c’est aussi pour préparer l’après-corona. En effet, cette épidémie laisse des marques et la crise économique qui s’annonce en laissera au moins autant. Les organisations patronales internationales s’attendent à de larges mouvements sociaux après la crise tandis que les services secrets français s’inquiètent eux d’une radicalisation des mouvements sociaux après le confinement.

Mais la contestation pourrait ne pas attendre la fin du confinement pour arriver. En France, des signes de résistance s’expriment déjà.

Les syndicalistes en première ligne de la résistance

Car qui fait tourner le pays ? Macron lui-même dû le concéder dans son dernier discours : « Il nous faudra nous rappeler que notre pays, aujourd’hui, tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal »

Les syndicalistes ont été au front pour défendre les travailleurs.

Dès le début de la crise, et malgré les difficultés d’organisation qu’elle entraîne, les syndicalistes, qui sortent tout juste d’un mouvement important contre la réforme des pensions, ont été au front pour défendre les travailleurs. Ils défendent partout la protection sanitaire des travailleurs, ils font reculer le Medef dans ses déclarations sur le temps de travail ou limitent drastiquement l’activité d’Amazon à son volet essentiel.

Ailleurs, ce sont les travailleurs qui prennent eux-mêmes les choses en mains. A Marseille, d’anciens employés d’un Mac Donald ont réquisitionné les anciens locaux, contre la volonté de la chaîne, pour en faire une plateforme de distribution de repas solidaires. Les anciens salariés de Luxfer, la dernière usine de bonbonnes d’oxygène d’Europe qui a fermé ses portes en 2019, réclament sa nationalisation et sa remise en activité.

Manifs en ligne

Connu ces derniers mois pour ses manifs de masse des gilets jaunes et de la lutte contre la réforme des pensions, la gauche sociale, syndicale et politique française trouve des solutions pour mobiliser les gens à distance et faire entendre une voix alternative. Et c’est probablement un des moments les plus importants pour le faire.

Jean-Luc Mélenchon et la France Insoumise ont réuni plus de 20 000 personnes lors d’un meeting numérique. Depuis trois semaines, ils organisent tous les samedis une manifestation en ligne avec le hashtag #PlusJamaisCa qui, trois fois de suite, a occupé les premières places sur Twitter.

Le PCF mobilise ses sections locales pour venir en aide aux gens sur le terrain et organise des meetings virtuels.
Les syndicats se lancent dans la même dynamique et appellent à la mobilisation sous de nouvelles formes pour le 1er mai (banderoles, réseaux sociaux,...).

#OnNoublierapas

Vincent Verzat, sur la chaine Youtube « partager c’est sympa » incite les gens, avec le hashtag #OnNoublieraPas, à partager sur les réseaux sociaux ce qu’ils retiendront de la crise actuelle et les comptes qu’ils demanderont aussi.
Car plutôt que d’un état d’urgence sanitaire à la Macron qui met à mal la démocratie, les libertés et les droits individuels, on a besoin de démocratie.

Pour combattre la crise sanitaire. Parce que la possibilité d’erreurs est encore plus grande en ces temps-ci et que la transparence et le débat politique contradictoire permettent de vérifier et, si nécessaire, de corriger les mesures prises dans le cadre de la lutte contre le Covid-19.

Pour discuter de la sortie de crise. Il y aura des batailles acharnées sur la priorité à donner aux intérêts économiques ou à la santé de la population. Il est de plus en plus clair que les grands groupes financiers privés et le gouvernement veulent se servir de l’état d’urgence pour mettre en place des politiques antisociales qui n’ont rien à voir avec la lutte contre le Covid-19. Et pour faire payer la crise par la population.

La population et ses organisations syndicales et associatives doivent avoir la possibilité de contrôler, de surveiller, l’action du gouvernement. Elles doivent avoir le droit de se faire entendre, dans les médias, au parlement, sur les réseaux sociaux. Celles et ceux qui font tourner le pays ont un nouveau monde à construire.

1. Définition qui a donné lieu à des contentieux entre le gouvernement et syndicat pour des secteur comme le BTP ou la métallurgie

2. Récups suite à la réduction du temps de travail

3. https://nvo.fr/crises-sanitaire-et-sociale-lurgence-du-ministere-du-travail-est-de-museler-les-inspecteurs