Mais où va le service public ? Réponse de cheminots à Jo Cornu, patron de la SNCB

La semaine dernière a été riche en actualité ferroviaire. Entre l’approbation du plan de transport critiqué par le gouvernement et les déclarations provocatrices du CEO de la SNCB dans le magasine Knack, nous avons eu un avant-goût des thèmes qui vont toucher cheminots et usagers dans les mois qui viennent.

Mercredi 13 août, le gouvernement — en affaires courantes — a approuvé le futur plan de transport de la SNCB, qui entrera en vigueur le 15 décembre 2014. Les nombreuses plaintes, tant des voyageurs, des cheminots, que des instances syndicales ou d’édiles politiques communaux, n’y auront pour ainsi dire rien changé, et le plan sera vraisemblablement appliqué sous une forme à peine modifiée depuis sa présentation au public.

Pour rappel, si le plan prévoit une augmentation du nombre de liaisons par train, en journée, entre des villes importantes du pays, il a été fort décrié, entre autres parce qu’il condamne de nombreux trains omnibus, par exemple entre Charleroi et Couvin, ou encore parce qu’il supprime de nombreux premiers et derniers trains.

Cela posera un gros problème pour les travailleurs en équipes successives tels les policiers, le personnel hospitalier, les postiers, les travailleurs en usines, mais aussi les cheminots qui viennent de loin et sont responsables entre autres de la circulation des trains à Bruxelles. Impossible dorénavant de rejoindre Bruxelles depuis Verviers, Mouscron ou Quévy pour 6 heures du matin. Impossible aussi pour certains de rentrer chez eux, en province après 22 heures.

Enfin, le plan supprime toute une série de trains P, de trains d’heures de pointe, souvent sans compenser ces suppressions. La SNCB a mis en ligne les futurs horaires (www.belgianrail.be), et certaines pétitions circulent pour essayer de sauver encore certains trains.

Le CEO calomnie les travailleurs

La même semaine, le nouveau patron de la SNCB, Jo Cornu (également membre des conseils d’administration d’Agfa, de la KBC et de Belgacom), s’est laissé aller à une longue interview dans le magasine Knack. Après avoir relevé que son salaire de 290 000 euros lui paraissait « maigre » et que, plus jeune, il n’aurait pas accepté, il explique que, étant donnés le contexte de restrictions budgétaires et la dette de la SNCB, de sérieux efforts seront nécessaires. Selon lui, sans de profonds changements, un scénario Sabena ne serait pas à exclure...

Économies et augmentation des prix semblent s’annoncer. Tant les cheminots que les voyageurs sont donc dans sa ligne de mire. Selon Cornu, les travailleurs du rail auraient des primes à tirelarigot, des congés à la pelle (53 jours de congé + encore 12 jours fériés), un « manque de discipline » qui attesterait d’un total je-m’en-foutisme, comme lorsqu’un accompagnateur ou un conducteur prennent un café et papotent alors que le train doit partir, etc.

Qu’en est-il réellement ? Le règlement des congés prévoit 24 jours de congés par an pour les moins de 45 ans et 26 à partir de 50 ans. Par ailleurs, les cheminots ont aussi 13 jours de crédits, car le temps de travail hebdomadaire est de 36h alors que la semaine est calculée sur base de 40heures.

Travailler 36h par semaine n’est pas exceptionnel. Dans la chimie, par exemple, le temps travail varie entre 33,6h et 36h. Pour les cheminots, la situation sur le terrain est préoccupante : suite au manque de personnel, des chefs de service ne voyaient pas comment accorder deux semaines de congés — pourtant légaux – à certains agents durant la période estivale. Entre 2012 et aujourd’hui les chemins de fer ont perdu plus ou moins 2000 emplois par attrition naturelle, malgré les recrutements, passant de 35 377 à 33 500 équivalents temps plein.

Plus grave encore : la direction doit plus d’un million de jours de libertés au personnel (congés, mais aussi repos du samedi ou du dimanche). À titre d’exemple, à Bruxelles, la direction doit près de 11 700 jours de récupération pour travail du samedi et dimanche au personnel des quais et des guichets. Cela avait été une des principales raisons de la grève du 30 juin dernier.

Plus de voyageurs, mais plus d’économies

Il en va de même des primes. Souvent, le salaire de base n’est pas énorme. Il augmente avec l’ancienneté. Pour citer deux exemples : un poseur de voie gagne, en début de carrière, environ 1200 euros par mois, un accompagnateur de train 1250 euros. Soumis à des conditions pénibles de travail (en extérieur, en cycles tout à fait irréguliers, travail du weekend), les différentes primes vont leur apporter quelques euros de plus. Primes de nuit, de weekend, pour travail insalubre pour certains, de bilinguisme... Un accompagnateur de train avec 4 ans d’ancienneté reçoit un salaire de 2150 euros bruts et 178 euros de prime de bilinguisme, 11 euros de primes de nuit, 92 euros pour le travail les weekends et 132 euros de prime de productivité. Au final, il lui reste 1555 euros nets.  

Quant à l’attaque du CEO sur la discipline, il faut savoir que, le timing des trains étant contrôlé, le personnel doit justifier chaque retard de 2 minutes. En cas de faute, de manque de discipline, tout un arsenal de mesures, dont une réduction des primes, est prévu contre « l’indiscipliné ». Il n’est de l’intérêt d’aucun cheminot de faire partir un train en retard. Il est bien rare qu’un retard au départ d’un train soit dû à un manque de discipline. Pannes de matériel (35 % des retards), voyageurs arrivés tardivement, problèmes de signalisation, manque de personnel, délais trop courts pour absorber au départ le retard que le train avait à l’arrivée, sont des raisons bien plus récurrentes que le manque de discipline.  

Et qu’en est-il des voyageurs ? Ces 10 dernières années, le nombre de voyageurs transporté par la SNCB a augmenté de 35 %. Et, selon Jo Cornu, il faut réagir. Pour lui, le prix du billet n’est pas assez cher, il y a trop de formules compliquées de tickets et certaines lignes et points d’arrêt sont trop couteux. Sans parler de fermeture, il plaide pour une flexibilité des prix : en heures creuses, le billet serait moins cher qu’en heures de pointe. Mais, ajoute-t-il, on pourrait le payer moins cher en l’achetant longtemps à l’avance.

La dette comme conséquence du libéralisme

S’il est vrai que la dette de la SNCB a augmenté de 200 à 250 millions d’euros en plus par an depuis 2005, il semble que la solution, pour Cornu, soit une attaque en règle contre la SNCB. Pas question de demander un refinancement, pas question de demander à l’État de reprendre une patrie de la dette, dont il est pourtant responsable, pas question de mettre en question les diminutions de la dotation.

Pour rappel, la dotation d’investissement a été rabotée par le gouvernement de 322 millions d’euros entre 2008 et 2012. Et, en 2013 les moyens alloués au groupe SNCB ont été diminués de 140 millions d’euros.
La dette a explosé depuis la restructuration et la vente des petits colis (ABX), la privatisation du secteur de transport des marchandises et l’éclatement de la société en 3 entités en 2005 (avec une démultiplication des postes de direction, notamment). Autant de mesures qui ont leur origine dans les directives européennes de libéralisation.

Les déclarations de Cornu annoncent un automne qui risque d’être chaud pour les cheminots et les voyageurs. Elles traduisent en effet l’agenda social de la direction et du prochain gouvernement : s’attaquer aux services publics, à l’emploi public, aux acquis sociaux des travailleurs, etc. Les syndicats et les organisations de navetteurs ont déjà dénoncé le plan de transport, et ne laisseront certainement pas passer une telle attaque en règle contre le chemin de fer public.