Maison médicale en mode grève : Médecine pour le Peuple soutient #larésistancesociale

Lundi matin, patients, collaborateurs, médecins et sympathisants du Renfort, le centre d’action médicale de Médecine pour le Peuple à Molenbeek, sont allés ensemble rendre visite à quelques piquets de grève dans les environs. Car #larésistancesociale, c’est se battre tous ensemble pour le même but : faire battre en retraite ce gouvernement et ses mesures d’austérité.

L’équipe de la maison médicale est fin prête. Leila, notre responsable d’accueil, reste avec deux bénévoles, Sandra et Marion, pour recevoir les patients malades. Le Dr Marie-Sophie reste : il y aura une consultation médicale pour les cas urgents. Dans la salle d’attente, on projette un documentaire sur les grandes grèves de 1960-1961. Leila est munie de dépliants pour expliquer à tous les patients qui arrivent pourquoi les autres médecins, l’infirmière et le reste de l’équipe ne sont pas présents. La machine à café fonctionne à plein tube et la bouilloire n’arrive pas à suivre le rythme pour remplir tous les thermos.

Deux paires de chaussettes, une grosse écharpe rouge, un Damart sous le pull et un t-shirt XXL de Médecine pour le Peuple par-dessus mon gros manteau d’hiver… Encore un smartphone pour twitter des photos et, voilà, nous sommes prêts à affronter le froid piquant de cette fin de nuit d’hiver. Sandra nous assure que, à notre retour, il y aura de la soupe et des sandwichs.

Des jeunes intérimaires qui risquent de graves accidents de travail

Nous partons à quatre en direction de la chaussée de Gand où se situe AFEM, une petite entreprise d’usinage de pièces métalliques qui compte 28 travailleurs. Gino et Saïd sont à l’entrée. L’entreprise tourne aujourd’hui, même si 70 % du personnel soutient les actions. Depuis 2009, la fermeture menace, et les hommes ne travaillent plus qu’une semaine sur quatre. Les trois autres semaines, ils sont en chômage économique.

Actuellement, un seul travailleur doit diriger deux machines en même temps. C’est très dangereux, et on ne peut pas être distrait une demi-seconde. Comme la plupart des travailleurs ont déjà des années d’expérience, il y a très peu d’accidents ; mais, pour les jeunes intérimaires, c’est une catastrophe. Un seul mouvement de travers ou une fraction de seconde de distraction et on risque de perdre un doigt.

Se voient-ils continuer à faire ce travail jusqu’à 67 ans ? « Impossible, tranche Gino. Le travailleur le plus âgé dans l’entreprise a 63 ans. Il n’arrive vraiment plus à suivre. D’ailleurs, plusieurs personnes ont des problèmes de dos. Il y a quelques années, des ceintures dorsales spéciales ont été prévues pour chacun, parce que sinon plus personne ne tenait le coup. »

Gino a 55 ans, sa femme travaille à temps partiel avec des chèques-services. Elle gagne 800 euros par mois. « Je dois continuer à me battre pour mon boulot, confie-t-il. C’est important pour l’avenir de mes enfants. Où pourront-ils encore trouver du travail ? Aussi pour les plus âgés : ma mère a 1.050 euros de pension. Elle a chaque mois jusqu’à 250 euros de frais médicaux. Pour les personnes âgées, c’est de plus en plus difficile d’arriver à payer leurs soins médicaux. Ce n’est pas sérieux. On ne peut tout même pas accepter ça. »

Entre-temps, nos orteils commencent à geler, et on sort le thermos de café. En partant, nous offrons à Saïd et à Gino une bougie de MPLP en signe de solidarité et leur souhaitons bon courage.

Evolution comme en Grèce

Nous nous rendons ensuite au Home Acacia, à l’avenue Jean Dubrucq. Nancy et Atenase, en tablier vert, nous accueillent chaleureusement. Tout le personnel soignant du home portent un autocollant sur la poitrine : « Au travail, mais solidaire avec les grévistes ». Atenase est très clair : « Si un bébé ne pleure pas, sa mère ne lui donne pas à manger. Et nous, les travailleurs, tant que nous restons calmes, nous n’aurons rien. Et nous perdons ainsi tout ce que nous avons obtenu grâce à la lutte sociale du passé. Ils nous reprennent absolument tout. On est en train de revenir 30 ans en arrière ! »

Atenase est d’origine grecque. Il est arrivé en Belgique en 1979. « Ici, c’était alors un paradis, se souvient-il. Maintenant, la pauvreté augmente à vue d’œil. Nous le voyons aussi parmi nos résidents. De plus en plus de personnes âgées doivent survivre grâce au soutien du CPAS. Ils ont détruit la Grèce, et ici, en Belgique, on est bien parti pour vivre la même chose ! »

Une dame âgée se joint à notre conversation. Elle a 95 ans, mais elle est encore alerte, et a surtout toute sa tête. Elle représente les résidents de la maison de repos et organise tous les trois mois une réunion pour discuter des petites et grandes doléances. Que pense-t-elle de la situation actuelle ? « Il n’y a pas de travail pour les gens. C’est ça le plus grand problème ! » Elle-même a travaillé 45 ans. Elle a pris sa pension à 60 ans. « Travailler jusqu’à 67 ans ? Impossible ! A cet âge-là, on est vieux et usé. Et quand pouvez-vous alors un peu profiter de vos vieux jours ? Faites travailler les jeunes. »

Afro-beats devant le home Arcus

Entre-temps, il est 10 heures. Après un café à la maison médicale où nous faisons un petit briefing avec une dizaine de personnes qui reviennent d’autres piquets, nous repartons, en direction du home Arcus. De loin, nous apercevons des travailleurs enthousiastes qui bloquent la moitié de la rue.

Les gens de l’équipe de nettoyage, du personnel soignant et infirmier mélangés, en tenue rouge, verte et bleue : une bande colorée de 10 à 15 personnes, qui dansent sur les afro-beats qui sortent des haut-parleurs d’une voiture dont la portière est ouverte. Pour eux, la suppression de l’aménagement des fins de carrière est un important point de lutte. « Soigner des personnes âgées est physiquement tuant pour le dos, nous dit-on. On n’arrête pas non plus une seconde. Avant, avec l’âge, on recevait un certain nombre jours de récupération supplémentaires pour pouvoir tenir le coup, ce qui est désormais menacé. Si nous-mêmes on n’arrive plus à se tenir droit, comment voulez-vous qu’on aide les personnes âgées à le faire ? »

Moins de pouvoir d’achat = moins de consommation

Notre équipe s’est entre-temps élargie : une dizaine de patients nous ont rejoints pour parcourir Molenbeek afin de témoigner leur solidarité aux travailleurs en grève dans notre commune. Cent mètres plus loin, six hommes en rouge sont devant l’entrée de Grains Noirs, une entreprise de traiteur-horeca. L’horeca est en recul, et l’entreprise a des difficultés. Mais comment pourrait-il en être autrement : si on érode le pouvoir d’achat des gens, il n’est que logique qu’ils consomment moins… 

Enseignants et patients ensemble au portail

Sur le chemin du retour vers la maison médicale, nous passons devant Colruyt et Aldi. Aux deux magasins, il y a de petits groupes de grévistes. Ils sont transis de froid et nous sommes donc plus que bienvenus avec notre thé et café bien chauds. Ce sont des enseignants d’une école moyenne du quartier. Leur piquet au portail de l’école a été inutile, car les collègues qui voulaient travailler étaient à l’intérieur. Ils ont décidé de se rendre utiles et de bloquer l’accès à ces deux magasins. Et avec succès : le parking des deux supermarchés sont vides. Avec les patients, nous rejoignons le groupe d’enseignants et expliquons aux gens venus faire leurs courses qu’il y a grève.

Debriefing avec soupe

A notre retour à la maison médicale nous attendent une délicieuse soupe bien chaude et des sandwichs. La salle est pleine de tous ceux, enthousiastes, qui sont allés rendre visite aux piquets. Patients, collaborateurs, médecins et sympathisants sont tous d’accord : l’expérience était riche d’enseignements. Rendez-vous la semaine prochaine pour la grande grève nationale.