Mbo Mpenza : « Le sport est important car il a une fonction : rassembler les gens »

Alors que nous devrions être en train de vibrer devant les matchs de « nos » Diables à l’Euro 2020, celui-ci a été logiquement reporté d’un an. Pour parler foot, nous avons rencontré un Diable à la retraite, qui a réussi à se faire aimer des supporters du Standard ET d’Anderlecht. Avec son frère Émile, il a mis Mouscron sur la carte du football belge. A la Coupe du monde de 2002, il est passé tout près d’éliminer le Brésil avec les Diables rouges. Lui, c’est Mbo Mpenza.

Depuis sa retraite sportive, le frère aîné des Mpenza ne s’est guère reposé. Journalisme, management, etc. il touche à différentes disciplines. Mais le projet qui lui tient à cœur est un concours, le Mbo Mpenza Challenge, qu’il a lancé il y a trois ans dans toute la Wallonie. Le but ? Que des gamins puissent s’amuser, mettre en lumière les clubs amateurs et lutter concrètement contre les discriminations.

Durant le confinement, beaucoup d’enfants ont souffert d’isolement. Comment voyez-vous le rôle social des clubs amateurs ?

Mbo Mpenza. Le sport peut aider les enfants dans cette crise. Et pour cela, les clubs amateurs sont importants. J’ai lancé un challenge il y a trois ans pour le football amateur. Le Challenge a plusieurs objectifs : que les enfants s’amusent, d’abord, mais aussi la lutte contre toutes les formes de discriminations. Il y a des enfants placés par le juge, des enfants porteurs d’un handicap, etc. Le football a ce rôle de permettre à n’importe qui de pouvoir jouer contre n’importe qui. On ne regarde pas la couleur, le pays, le genre, la taille, etc... Tout ça, on s’en fout.

A cause de l’épidémie, les clubs de sport ont mis leurs activités entre parenthèses. Est-ce que la survie des clubs amateurs vous inquiète ?

Mbo Mpenza. Au niveau du football, tout va dépendre financièrement des clubs professionnels et de la Pro League (organisation qui regroupe les clubs professionnels de 1ère division, NdlR). Le sport professionnel aide financièrement le sport amateur. Il faut que le contenu de la manne financière, qui vient surtout des revenus (sponsors, transferts, vente de tickets pour les matchs, droits TV, etc.) des grands clubs, soit distribuée de manière juste pour tout le monde. J’ai peur que le sport amateur soit oublié... Sans le sport amateur, le sport professionnel n’existerait pas. Il faut d’abord s’amuser sur un terrain, et puis si on peut avoir l’occasion de jouer sur un terrain professionnel, tant mieux. Mais il faut un sport amateur fort pour permettre à tout le monde de pouvoir s’amuser. Je suis un pur produit du sport amateur. Quand j’ai voulu jouer au football, je me suis inscrit au club amateur le plus proche. Je ne suis pas allé m’inscrire à Anderlecht, par exemple. Plus de 90 % des joueurs pros ont débuté dans des clubs amateurs.

Ces derniers temps, plusieurs polémiques liées au racisme dans les stades ont éclaté. Vous-même, vous avez souffert du racisme ?

Mbo Mpenza. Ça a commencé à Courtrai, au tout début de ma carrière donc, mais ça ne s’est jamais arrêté... Maintenant, l’arbitre a le pouvoir d’arrêter les matchs. C’est une avancée, et c’est triste à la fois. C’est triste car on est en 2020 et il n’est pas normal de devoir encore agir contre le racisme dans le foot. Comment des gens en arrivent à imiter des cris de singe ? Je ne comprends pas... Le sport doit être utilisé pour faire passer des messages. Par exemple, dire que le racisme dans les stades et en dehors, en 2020, c’est non.

Peut-être que ceux qui vous insultaient étaient les mêmes que ceux qui vous applaudissaient contre le Brésil lors de la Coupe du monde en 2002...

« Le sport doit être utilisé pour faire passer des messages. Par exemple, dire que le racisme dans les stades et en dehors, en 2020, c’est non. »

Mbo Mpenza. Exactement. C’est ça qui est absurde. Le football en Europe doit faire passer des messages forts et stricts. C’est quoi le message quand on condamne un club pro à payer 1 000 euros pour des chants racistes ? Soit on juge qu’il y a délit et on condamne, de manière sérieuse. Soit on ne condamne pas. Mais donner une amende de 1 000 euros à un club de foot professionnel, c’est presque risible. Le message que donne la fédération belge c’est : « Continuez ! »

Nous fêtons les 20 ans de l’Euro 2000 qui s’est déroulé en Belgique et aux Pays-Bas. Quels souvenirs en gardez-vous ?

Mbo Mpenza. C’est mon premier Euro. Ça se passe en Belgique. C’est la première fois que deux pays coorganisent ce type d’événement... Ça reste donc pour moi quelque chose de magique. Après, on s’est loupé. On se fait sortir au premier tour. Mais ça reste un superbe souvenir.

A l’époque, des commentateurs avançaient que si les Diables avaient raté leur tournoi, c’était parce que le vestiaire était divisé entre les francophones d’un côté et les néerlandophones de l’autre...

Mbo Mpenza. (Soupir) Cette question revient toujours... Même de la part du monde politique parfois, qui devrait s’occuper d’autres choses... Cette opposition entre francophones et néerlandophones est un fantasme de l’extérieur. En tant que joueurs, entraîneurs, etc. on ne parle que la langue du foot. Moi, j’ai toujours été fier d’être Belge. Le vestiaire n’était pas divisé. Certains parlent néerlandais, d’autres français, d’autres encore anglais... Ça ne change rien. On a raté notre tournoi et les critiques sur nos performances doivent viser ce qu’on a raté sur le terrain, mais chercher des raisons ailleurs n’a pas de sens.

Vous avez porté 56 fois le maillot des Diables. Ça fait quoi de jouer pour l’équipe nationale ?

Mbo Mpenza. C’est une reconnaissance de tout ce travail fourni pendant des années. Quand j’étais gamin, je regardais les Diables à la Coupe du monde au Mexique, en 1986. Avec Émile, on est les premiers joueurs dits « de couleur » à avoir participé à un grand tournoi – la Coupe du monde de 1998 en France – pour la Belgique. C’est une fierté d’avoir ouvert les portes à plein d’autres derrière. Quand on voit l’équipe aujourd’hui, on est fier... On me dit souvent : « Mbo, tu aurais dû jouer à l’époque actuelle, tu aurais gagné beaucoup plus d’argent. » OK. Mais être le premier joueur d’origine africaine à représenter la Belgique dans une grande compétition, ça vaut tout l’or du monde. Personne ne nous retirera ça... (Ému) C’est pour ça que le sport doit rester important dans la vie car le sport a une fonction : rassembler les gens. Et je ne parle pas seulement des grands stades de foot, mais aussi du trottoir du quartier, où des gamins, des adultes, des plus anciens jouent ensemble. Profitons de l’effet rassembleur, collectif, fédérateur de l’équipe nationale. On est quand même un pays spécial : on a trois langues, on essaie de nous diviser... Et quand les Diables reviennent de la dernière coupe du monde, on est combien sur la Grand-place de Bruxelles ? Et là, on ne demandait pas si on parlait français ou néerlandais...