Pourquoi nos salaires doivent augmenter

Pendant le coronavirus, les travailleurs ont montré clairement et concrètement que ce sont eux qui font tourner le monde. Pourtant, leur salaire n’a plus été augmenté depuis 10 ans. En cause ? Un saut d’index et une loi de blocage salarial (« loi de 1996 »), que le gouvernement actuel défend. Il faudra donc se battre pour une augmentation légitime des salaires. Pour (au moins) quatre raisons.

Tous les deux ans, syndicats et employeurs s’assoient autour d’une table pour négocier l’Accord interprofessionnel (AIP). Cet accord détermine la marge de manœuvre par rapport aux éventuelles augmentations de salaire. S’il n’y a pas d’accord, c’est le gouvernement qui tranche. Ces négociations-ci se déroulent dans un contexte particulier car il est de plus en plus clair que les travailleurs doivent toucher un salaire à la hauteur de leur importance dans ce monde...

Nous avons listé quatre raisons qui font que cette augmentation est nécessaire.

1. Parce que les gouvernements nous ont fait perdre 1 442 euros/an pendant 5 ans

Depuis l’arrivée du gouvernement Michel (en 2014), les travailleurs ont perdu 40,2 milliards d’euros de salaire. Ce transfert énorme du travail vers le capital représente l’équivalent d’un peu plus de 1 442 euros brut par an pendant 5 ans pour un salaire mensuel de 3 361 euros brut. Ces salaires que les travailleurs auraient dû recevoir sont passés notamment dans les profits des entreprises et dans les subsides (ou réduction de cotisations patronales) accordés par les gouvernements à ces mêmes entreprises.

2. Parce que cela permet de relancer l’économie

Peter Mertens, président du PTB, écrivait dans son dernier livre, Ils nous ont oubliés, que les moteurs de la relance étaient en panne : « Les trois moteurs qui alimentent la demande sont tous les trois grippés : les ménages investissent et consomment moins, les États sont lourdement endettés et les grosses entreprises privées optent pour l’attentisme et accumulent. Les bas salaires et les ménages vulnérables ont déjà été terriblement ébranlés, mais, pour la plupart, le pire du choc du coronavirus est encore à venir. (...) Le moteur de la consommation est enrayé. »

Comment l’économie pourrait-elle être relancée si les salaires ne sont pas augmentés ?

3. Parce que ce sont les travailleurs qui ont fait tourner le pays pendant la pandémie

Prenons les choses par l’autre bout : au nom de quoi les actionnaires devraient-ils recevoir des dividendes en 2020 alors que ce sont les travailleurs qui ont tout produit ? Cette vérité générale – ce sont les travailleurs qui produisent et les actionnaires qui profitent – a été rendue encore plus criante pendant les périodes de confinement.

Le groupe Facebook « Contact Corona : sécurité au travail » regorge d’exemples de travailleurs de l’industrie, des titres-services, du nettoyage, de la distribution, de la poste que les employeurs ont contraints à travailler (beaucoup) pendant les périodes de confinement, dans des conditions de sécurité souvent questionnables. Il y a aussi beaucoup de témoignages d’employés qui, en télétravail, font beaucoup plus d’heures qu’ils n’en feraient au bureau.

Nous avons travaillé. Nous avons continué à produire des richesses. Et nous n’aurions pas droit à récupérer une partie de ce que nous avons produit ?

4. Parce que cela diminuerait les inégalités et permettrait de lutter contre la pauvreté

Dans le monde entier, la pandémie a concentré la richesse en son sommet et généralisé la pauvreté à la base.

En 6 mois de temps, Jeff Bezos – patron d’Amazon – a vu sa fortune personnelle doubler : elle a augmenté de 97 000 000 000 de dollars. 97 milliards de dollars... Elon Musk – patron de la marque de voiture Tesla – est passé de 24,1 milliards de dollars avant la pandémie à 73,1 milliards de dollars (chiffres du 13 août 2020).

En Belgique, en 2020, les files devant les banques alimentaires s’allongent. Tous les jours, de nouvelles personnes n’ont d’autre choix que de recourir à la solidarité des bénévoles qui donnent des vivres et du temps afin que d’autres puissent donner à manger à leurs enfants. Rogner sur les repas devient une question qui se pose de plus en plus, aussi dans des foyers de travailleurs et d’indépendants.

Personne ne devrait avoir faim. Et personne ne devrait avoir tellement d’argent qu’il ne sait même plus le compter. Les augmentations de salaires permettent de rééquilibrer un peu le partage de la richesse et de lutter efficacement contre la pauvreté.

Quelles revendications ?

La Belgique a une tradition quasiment unique de conclure des accords interprofessionnels. Ce sont des accords au niveau national et qui s’appliquent à tous les secteurs d’activité. Historiquement, ces accords partaient de l’analyse de l’augmentation de la productivité des deux années précédentes (qui étaient empochée par les patrons) et rééquilibraient la balance en augmentant le salaire minimum, en diminuant le nombre d’heures de travail hebdomadaire, en diminuant l’âge de départ des prépensions, etc.

Aujourd’hui, deux revendications salariales sont légitimes pour le monde du travail :

Augmentation minimale de salaire pour tous les secteurs

Rattraper les 40,2 milliards d'euros perdus au niveau du salaire sur les 5 dernières années serait un point de départ logique. Cela nous donne une enveloppe assez grande pour augmenter les salaires de tous les travailleurs dans tous les secteurs de plusieurs pourcents. En fixant une norme salariale minimale au lieu de maximale, l’augmentation est garantie pour tous et peut encore aller crescendo dans les secteurs qui développent un rapport de force.

Augmentation du salaire minimum interprofessionnel à 14 euros/heure

Les aide-ménagères gagnent 11,5 euros brut/heure. Les travailleurs de l’agriculture sont à 13,24 euros brut/heure. Celles et ceux du nettoyage à 13,42 euros brut/heure. Dans l’horeca, les travailleurs démarrent – en fonction de la catégorie – avec un salaire horaire compris entre 12 et 13,3 euros brut/heure. Et, dans ces métiers, il s’agit souvent d’horaires coupés et/ou à temps partiels.

Le salaire minimum interprofessionnel brise en partie l’offre et la demande du marché du travail auquel les libéraux tiennent tant. Avec la crise et le chômage, des patrons pourraient profiter de la précarité des travailleurs pour diminuer les salaires et les faire travailler pour 10 euros ou 11 euros/heure. Et certains travailleurs seraient contraints de l’accepter pour pouvoir survivre. Un salaire minimum de 14 euros/heure imposerait un plancher salarial en dessous duquel aucun patron ne pourrait descendre. C’est pourquoi nous avons tous intérêt à augmenter le salaire minimum.

Comment y arriver ?

Lors d’un interview dans notre numéro de novembre 2019, Adriana Alvarez – une des leaders du mouvement « Fight For 15 » aux États-Unis – insistait sur l’importance d’avoir des revendications ambitieuses. Dans leur cas, il s’agissait de doubler le salaire minimum aux États-Unis : le faire passer de 7,25 dollars à 15 dollars/heure. Le changement pour les travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. Et pour les mettre en mouvement, il faut des revendications ambitieuses.

Sans mouvement et sans revendications, le personnel soignant des hôpitaux fédéraux et régionaux serait resté avec des applaudissements. C’est bien, mais cela ne remplit pas le frigo. Les augmentations de salaire et de personnel pour lesquels les syndicats sont allés arracher des accords ne leur ont pas été donnés. Ils se sont mobilisés. A plusieurs reprises. Ils sont allés les chercher, pendant la pandémie, pendant qu’ils étaient surchargés. 

Les crises sont des moments de basculement. Et de nombreuses conquêtes sociales ont été obtenues pendant des périodes de crise économique. Par la mobilisation.