Prépensionnés : « Au Parlement, la plupart des élus sont des représentants de l’argent »

Les prépensionnés qui ont commencé à travailler tôt perdront bientôt 100 euros et plus de pension par mois. C’est ce qu’a décidé le Parlement. Un petit groupe de travailleurs prépensionnés est allé suivre les débats quand la mesure est passée à la Chambre, histoire de se faire une idée de comment ça se passe. Ce qu’ils ont vu ne les a pas rassurés…

Cela avait bien commencé... « Nous étions 22. Quand on nous a conduits vers les sièges réservés au public, les personnes qui devaient nous guider se sont trompées plusieurs fois de chemin. Nous avons vu tous les recoins du bâtiment... On aurait dit qu’ils n’étaient tout simplement pas habitués à recevoir des citoyens », explique Rosa Terranova, de Saint-Nicolas, près de Liège. Elle-même n’est pas encore pensionnée, ni même prépensionnée mais, quand elle a entendu parler de la mesure, elle a voulu faire le voyage, histoire d’entendre comment les parlementaires allaient justifier leur vote.

Avant que le groupe ne puisse entrer dans la salle du Parlement, tout le monde a dû se défaire d’un tas d’affaires personnelles : manteaux, écharpes, sacs à main... « Une personne de notre groupe avait apporté du papier pour prendre éventuellement des notes, mais il a dû laisser ses feuilles en dehors de la salle », raconte Rosa.

Roger Peeters, un prépensionné d’Anvers, a pu voir de quoi avait l’air le pouvoir parlementaire. « Depuis l’âge de 17 ans, je travaille dans des conditions pénibles : dans la crasse et la poussière, en système continu, mais ces parlementaires, eux, restent assis le plus souvent à tripoter leur smartphone. Ils boivent à l’aise une tasse de café, et on vient les servir. Ces gens ne sont pas du même monde. D’ici peu, ils vont faire en sorte que les périodes assimilées des prépensionnés le soient nettement moins. Là, j’ai pensé : ‘‘Ho ! Les gars ! Vous êtes tombés sur la tête ?’’ »

« Je pourrais faire ce genre de travail jusqu’à 90 ans »

Pour l’ancien travailleur de Ford Genk Fons Cuyckx, c’était également la première fois qu’il mettait les pieds à la Chambre et son opinion à propos des hommes politiques en a pris un coup. « Il y a 150 députés, mais il n’y en avait tout au plus qu’une cinquantaine de présents. Et ils se promènent un peu partout, boivent une tasse de café, vont çà et là tailler une bavette entre eux. Quant au président de la Chambre, Siegfried Bracke, je l’ai vu avaler au moins une quinzaine de biscuits. »

« J’ai vu Kristof Calvo, de Groen, regarder des vidéos de lui-même prises lors de l’émission De Slimste Mens », explique Fons. « D’autres étaient occupés sur Facebook. Oui, ces gens-là peuvent bien travailler 45 ans et plus encore. Ce genre de travail, je pourrais très bien le faire jusqu’à l’âge de 90 ans. Et ce sont ces gens qui décident que des milliers d’autres vont devoir se contenter de moins de pension ! »

« Ce ne sont pas des représentants du peuple, mais de l’argent, réagit Roger. Aux riches, ils font des cadeaux mais, nous, on nous colle un saut d’index, on augmente la TVA sur l’électricité... Tout est devenu plus cher. Il faut de plus en plus gratter le fond de son porte-monnaie. Mais ces hommes politiques, eux, prennent bien soin d’eux-mêmes. Les droits qu’eux-mêmes ont acquis, ils les gardent précieusement. »

« J’ai vu Vincent Van Quickenborne (Open VLD, ancien ministre des Pensions aujourd’hui député, NdlR) agiter les bras et crier contre “le communisme” (en réponse à l’intervention de Raoul Hedebouw, NdlR). C’est une preuve qu’il n’avait pas d’arguments. Nous avons signé pour aller en prépension sous certaines conditions et, brusquement, comme ça, voilà qu’on modifie ces conditions. ça va me coûter plus de 100 euros de pension par mois. Eux reçoivent 4 000 euros de pension : dans ce cas, 100 euros, ça ne représente pas grand-chose… »

Mépris des travailleurs

« Le plus grave, c’est le mépris avec lequel on parle là des travailleurs, constate Fons. Quand j’ai entendu Van Quickenborne, je me suis dit que cet homme devait être drogué. Est-il si stupide ou ne veut-il tout simplement pas comprendre la misère des gens ? »

Fons aussi a vu des hommes politiques qui allaient se servir sur l’argent de sa pension. « Si ça ne dépendait que de moi, je pense que j’irais au tribunal pour rupture de contrat. Car il s’agit bel et bien d’une rupture de contrat, non ? C’est horrible d’entendre comment ils parlent là de personnes qui, à cause d’eux, vont perdre 140 ou 150 euros par mois ! »

Les membres du groupe ont, évidemment, un tout autre avis sur les députés du PTB, Raoul Hedebouw et Marco Van Hees. « L’intervention de Raoul a été impressionnante, estime Fons. Il a une sacrée connaissance des dossiers, et il a pu démonter toutes les attaques. C’est aussi la raison pour laquelle Van Quickenborne s’est autant énervé, je pense. »

Raoul Hedebouw s’y est si bien pris que la délégation de prépensionnés l’a applaudi. Un peu trop bruyamment au sens du président de la Chambre, Bracke, qui a lancé un regard énervé dans leur direction et leur a lancé un avertissement.

« Quel sentiment ai-je gardé de ma visite au Parlement ? » Rosa n’a guère besoin de réfléchir très longtemps. « Que tout le monde devrait y aller au moins une fois pour se rendre compte que les travailleurs n’y sont pas les bienvenus. Comme visiteur, on ne peut rien faire. On n’est que toléré. Il y a de quoi se mettre en colère. Je regrette, mais je préférerais ne pas mettre mon avenir entre les mains de ces parlementaires. Ils parlent de nous, mais ils ne nous écoutent pas. Démocratie, mon œil ! Je le savais déjà mais, maintenant que je l’ai vu de mes propres yeux, j’en suis encore plus convaincue. »

« Ce n’est Pas là que les choses changent »

« Quand Raoul et Marco prennent la parole, les autres n’écoutent même pas, observe Rosa. Nous devons montrer qu’ils doivent tenir compte du peuple et que nous ne nous laissons pas faire. La démocratie doit être bien plus que de faire entendre notre voix une fois tous les cinq ans. Je vais bientôt aller aussi au Parlement wallon pour y soutenir le député PTB Frédéric Gillot. Quand je vois tous ces politiciens professionnels, ça ne doit pas être simple d’y siéger en tant qu’ouvrier. Il faut un fameux caractère. Cette visite au Parlement a renforcé ma conviction que ce ne sera pas là que les choses vont changer »

Fons non plus n’attend pas grand-chose du Parlement. « Ces parlementaires votent pour ce que leur parti décide. On peut y dire ce qu’on veut, ils ne s’en soucient absolument pas. Pour contrer cette mesure, nous ne devons donc pas compter sur le Parlement. »

Sur quoi alors ? « Le 19 décembre, nous descendrons dans la rue. » Et ils sont loin d’être les seuls, comme nous avons pu le voir entre-temps…

Article publié dans le magazine Solidaire de janvier-février 2018. Abonnement.