Qui est responsable des morts du coronavirus et comment peut-on éviter une seconde vague ?

« Quel pays était mieux préparé que la Belgique ? » se demande la ministre qui a fait détruire la réserve stratégique de masques de protection. Maintenant que la première vague de coronavirus s’est calmée, le temps est venu de dresser un premier bilan.

« Les chiffres globaux montreront qu’en fin de compte, cette crise n’a certainement pas mal été gérée », affirme le vice-Premier ministre Koen Geens (CD&V). Depuis le mois de mars, 10 000 personnes ont perdu la vie à cause du Covid-19 dans notre pays. Soit plus que les projections les plus pessimistes. Pour éviter de répéter les erreurs commises en cas de seconde vague, nous devons faire un premier bilan de la gestion de cette crise.

Il nous faut tirer une leçon sur la façon dont les maisons de repos se sont transformées en mouroirs, en raison de leur sous-financement et de leur commercialisation.

Le plan d’urgence visant à préparer les maisons de repos à une pandémie prend la poussière depuis quatorze ans.

Près de 2/3 des victimes du Covid-19 ont perdu la vie dans une maison de repos. Les personnes âgées sont les plus vulnérables, et doivent donc être protégées davantage. C’est l’inverse qui se produit. Dès que le virus s’introduit dans une maison de repos, il peut en faire le tour sans encombre, et les résidents sont pris au piège. Dans tout le pays, les ministres compétents tombent des nues lorsqu’ils découvrent la réalité du terrain. Pour celles et ceux qui connaissent bien le secteur, les ravages engendrés par des années de négligence et de sous-financement ne sont cependant pas un secret. La commercialisation du secteur a entraîné des coupes budgétaires. Les maisons de repos se retrouvent dans une situation où elles manquent de personnel ainsi que de matériel médical.

Les ministres ne font rien. Leur responsabilité est terrible. En particulier lorsqu’on découvre que le plan d’urgence visant à préparer les maisons de repos à une pandémie prend la poussière depuis quatorze ans. Le professeur De Lepeleire (KUL) réagit : « Cela aurait sauvé des vies, mais la politique nous a laissés sur le carreau. »

Il nous faut tirer le bilan sur la façon dont la politique d’austérité et la confiance aveugle dans le marché nous ont amenés à une pénurie de matériel de protection.

Notre pays avait une réserve stratégique de 32 millions de masques. Le gouvernement l’avait constituée en 2006, pour anticiper le risque de pandémie. À ce moment-là, des experts avaient même demandé un élargissement de ce stock, et avaient dit que d’un point de vue éthique, économiser sur ces dépenses serait inacceptable. Et pourtant, économies il y a eu. La ministre de la Santé Maggie De Block (Open Vld) a fait détruire les masques. Et selon elle, il était hors de question de dépenser 100 millions pour renouveler le stock. Nous en payons le prix fort aujourd’hui. « Si nous avions pu commencer la crise avec une plus grande réserve de masques, cela aurait été plus simple », déclare le virologue Marc Van Ranst. « Il y aurait probablement eu moins de décès. »

Au début du mois de février, l’OMS avait averti qu’il y aurait une pénurie de matériel de protection. Heureusement, notre pays peut compter sur une industrie textile forte... Sauf que l’État n’a pas lancé de plan de production de masques. À la place, les autorités se sont lancées dans la spéculation. Ce qui a fait grimper les prix. Et une saga de commandes ratées, de fraude, de qualité médiocre et de promesses non tenues... L’un des six ministres compétents en matière de masques (!) a appelé la population à la solidarité, à fabriquer des masques pour soi et pour les autres, « en attendant que le marché s’organise ».

Il nous faut un bilan sur la façon dont l’envie de scission de certains nous a privés d’un commandement central pendant cette crise.

« La Belgique a le plus faible nombre de morts par ministre de la santé. » Une plaisanterie amère, mais qui reflète probablement la réalité. Des années de réformes successives de l’État ont morcelé la compétence de la santé, pour la répartir entre neuf ministres. Une situation terriblement inefficace et contre-productive. La concertation qui doit rationaliser la politique sanitaire est paralysée par des conflits de compétences.

« Cette crise montre clairement qu’une unité de commandement est indispensable », affirme le directeur de l’UZ Bruxelles, Marc Noppen. « Pourquoi la crise était-elle sous contrôle à l’hôpital malgré tout ? Parce que nous n’avons pas huit directions. Au niveau politique aussi, nous avons besoin d’une direction unifiée. »

Il nous faut tirer le bilan sur la façon dont cette crise augmente les inégalités entre les pauvres et les riches.

La classe des travailleurs est en première ligne dans cette crise, et paie le prix le plus fort. D’une part, dans les secteurs essentiels, les travailleurs ont continué à travailler, prenant des risques énormes pour leur santé, souvent pour de maigres salaires. D’autre part, parmi les secteurs qui ont été mis à l’arrêt, dans les secteurs où les travailleurs ont de bas salaires, le télétravail n’est souvent pas possible, comme dans l’horeca, l’événementiel ou le commerce de détail. Certains ont perdu jusqu’à 50 % de leurs revenus, et beaucoup voient aujourd’hui leur emploi menacé. Les petits indépendants aussi souffrent beaucoup dans cette crise.

La classe des travailleurs est en première ligne, et paie le prix le plus fort.

Le coronavirus a renforcé les inégalités, que ce soit sur le plan de la santé, de l’enseignement, mais aussi des salaires. Les inégalités entre d’une part, les gens qui ont dû rester confinés dans un petit appartement à plusieurs, et d’autre part, ceux qui ont pu passer la période de confinement dans une villa avec un grand jardin. Et nous n’avons pas encore vu toutes les répercussions de cette crise.

Ces inégalités n’ont jamais été une priorité pour nos gouvernements. Dans le groupe des experts chargés du déconfinement, il y avait des virologues, des représentants patronaux et des juristes, mais aucun représentant du monde du travail. Ce n’est pas un hasard.

Nous devons d’urgence tirer les leçons de la crise du coronavirus. Et en finir avec l’austérité et la logique de marché. Nous devons créer des stocks de matériel de protection, et investir dans nos maisons de repos. Nous avons besoin d’un seul commandement central, d’une refédéralisation des soins de santé, et d’un gouvernement qui fait passer les intérêts des gens avant les intérêts économiques. Nous devons aller chercher l’argent là où il se trouve, afin d’investir pour répondre aux besoins sociaux de la population.