Un accord commercial controversé avec la Colombie et le Pérou voté au Parlement

Jeudi 3 décembre, le Parlement fédéral a approuvé un accord commercial controversé entre l'Union européenne, la Colombie et le Pérou, accord contre lequel plusieurs organisations de terrain tant en Europe qu'en Amérique latine se mobilisent depuis des années.

La Colombie est un pays où les oppositions de classes sont énormes et est également un paradis pour les multinationales. 61,2% des terres agricoles sont aux mains de 0,4% de la population. Des 114 millions d'hectares de terres non agricoles, 38 millions sont attribués à l'exploitation du pétrole, 11 millions à l'extraction minière, 12 millions à l'industrie forestière et 39 millions à l'élevage intensif. 25% des effectifs de l'armée colombienne sont affectés à la protection des multinationales actives dans ces secteurs. La Colombie compte 6 millions de réfugiés internes (sur 46 millions d'habitants) qui ont fui la violence. En effet, les gens sont souvent chassés de leurs terres par la force.

La  Colombie avait déjà précédemment conclu un accord de libre-échange avec les Etats-Unis et le Canada. Une des conséquences de celui-ci a été la modification de la loi en faveur de multinationales comme Monsanto, Cargill…, qui a imposé aux paysans de ne plus pouvoir utiliser que des semences brevetées. 77.000 kilos de riz ont ainsi été détruits à la demande de Monsanto, ce qui a entraîné une énorme perte de revenus pour les paysans.

L'accord avec l'Union européenne est déjà d'application depuis août 2013, malgré le fait que celui-ci n'ait pas encore été approuvé par tous les Etats européens. Les producteurs de lait colombiens ont depuis tiré la sonnette d'alarme. En 2014, l'Union européenne a envoyé 3.270 tonnes de produits laitiers en Colombie. L'importation de produits laitiers a augmenté de 52,9%, alors que l'exportation a diminué de 9,4%. Durant le premier semestre de 2015, l'importation a augmenté de 109%. Une catastrophe pour le producteur de lait colombien.

La Colombie connaît par ailleurs un fragile processus de paix. Après plus de 50 ans de conflit, le pays n'a encore jamais été aussi près d'un accord de paix – la paix étant conditionnée à davantage de justice sociale. Ce qui n'est pas possible avec un accord de libre-échange qui renforce encore le pillage du pays.

Quelle est la position des politiciens belges sur cet accord ?

Le mouvement pour la solidarité internationale intal s'est rendu jeudi 3 décembre au Parlement avec sa caméra pour sonder les parlementaires sur cet accord.

Ils ont d'abord rencontré Raoul Hedebouw, député fédéral PTB, qui n'a laissé planer aucun doute : « En tant que parti de gauche, il va de soi que nous sommes opposés à ce traité qui ne donne aucune chance au développement durable puisque ce sont les multinationales qui décident de ce qui va être produit et comment. En Amérique latine et en Europe, les mouvements sociaux ont et continuent à jouer un rôle très important pour montrer que ces traités n'ont aucune influence positive, ni pour eux, ni pour nous. »

Benoit Hellings, d'Ecolo, est depuis le début opposé à cet accord : « Celui-ci ne va pas contribuer au processus de paix en Colombie, il aura même juste l'effet contraire. Les conflits territoriaux seront encore plus attisés par la lutte pour les matières premières. »

Dirk Van der Maelen, du sp.a, qui, en tant que président de la commission des Affaires étrangères, a pu observer de près tous le processus parlementaire, votera aussi contre l'accord. Il estime insuffisant le mécanisme mis sur table pour le monitoring des droits de l'homme. Il se pose en outre de sérieuses questions sur le fait que ce traité est déjà entré en application « sous réserve » depuis août 2013, sans ratification des Etats membres. Ce qui représente selon lui « un mépris de la démocratie parlementaire ».

Les violations des droits de l'homme en Colombie et au Pérou sont clairement une préoccupation partagée parmi ces parlementaires. Gwenaëlle Grovonius, du PS : « Si j'obtiens des preuves que cet accord va améliorer la situation en manière de droits de l'homme, je signe. Mais ces preuves n'existent pas. La majorité fait des promesses les mains vides. Les ONG et les  mouvements sociaux montrent que la situation y est désastreuse. »

Sarah Claerhout, du CD&V, insiste certes aussi sur l'importance d'une protection correcte des droits en matière de travail. « Un accord est comme une relation, explique-t-elle. Cela crée un cadre à l'intérieur duquel on peut travailler. » Une sorte de mécanisme de suivi devrait être mis sur pied, par lequel la situation sur l'évolution des droits de l'homme devrait être examinée deux fois par an. Son parti va donc approuver le traité. Mais à la question de savoir si l'accord serait alors suspendu en cas de violations trop importantes, elle a répond... par le silence. Elle affirme sa confiance dans le fait que le ministre Reynders, durant ses visites, abordera les violations des droits de l'homme avec notre ambassadeur et avec les décideurs politiques de là-bas. - Comme il le fait aussi lors de ses visites en Arabie saoudite ?

Les violations des droits de l'homme et la répression des mouvements sociaux en Colombie constituent une critique importante dans la conclusion de cet accord, mais ce n'est cependant pas une clausule sur le respect des droits de l'homme, sans parler d'une recommandation sans engagement sur le monitoring de ceux-ci, qui va y changer grand-chose. Dans l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël figure également une clausule sur les droits de l'homme (article 2). Cela n'empêche pas Israël de continuer à violer en toute impunité les droits de l'homme et le droit international.

Pour les syndicats et organisations de paysans en Colombie et au Pérou, l'analyse de la situation est limpide : ce traité commercial est un grand saut en arrière par rapport à un avenir social et de paix.

L'accord a été approuvé avec 81 voix pour, 41 voix contre et 10 abstentions.

Source : www.intal.be