




Dans la nuit du 25 au 26 juillet, le gouvernement Michel s’est mis d’accord sur une série de mesures, qu’il veut faire voter en octobre et novembre. Pense-t-il qu’elles passeront sans réaction ? Vu la gravité de ces mesures, plusieurs syndicalistes ont annoncé que l’automne serait socialement chaud.
Tax-shift : un rapport montre l’échec de la politique du gouvernement
Le gouvernement veut étendre à toute une série de nouveaux secteurs ce qu’on appelle les « flexi jobs ». En janvier 2015, le gouvernement a lancé dans l’horeca ce nouveau type de contrat. On les appelle aussi contrats 0 heure. Vous signez « un contrat cadre » où le job que vous devrez peut-être faire est décrit. Vous déclarez que vous souhaitez faire ce travail. Et ensuite, l’employeur vous appelle s’il a besoin de vous. Mais le contrat-cadre ne contient aucun engagement à faire appel à vous. C’est au bon vouloir de l’employeur. Si, finalement, on fait appel à vous, cela peut se faire sur base d’un engagement écrit pour une durée précise ou de manière orale. La règle selon laquelle les horaires de travail doivent être annoncés aux travailleurs au moins cinq jours à l’avance ne vaut pas pour les flexi-jobs. Et il n’y a aucune règle concernant les horaires de travail. On peut très bien vous demander de venir travailler une heure le matin et deux heures le soir. Combien êtes-vous payés pour ce contrat ? Moins de 10 euros de l’heure. Un secrétariat social a calculé que les flexi-jobs sont la formule qui coûte le moins cher aux employeurs. Encore moins cher que les jobs étudiants.
En lançant ces contrats en 2015, le gouvernement avait dit que cela se limiterait à l’horeca. Il voulait « lutter contre le travail au noir » en le légalisant. Mais, aujourd’hui, le gouvernement voudrait étendre ce type de contrat à toute une série de nouveaux secteurs : grands magasins, grandes entreprises de vente en détail… Des secteurs qui ne sont pas concernés par le travail en noir.
Et le gouvernement veut également ouvrir les flexi-jobs aux pensionnés. Il prend des mesures qui appauvrissent les pensionnés pour ensuite dire à ces pensionnés qu’ils peuvent compléter leur pension avec des contrats ultra précaires.
Les flexi-travailleurs seront en concurrence directe avec les travailleurs « stables ». Ils seront sous pression pour ne pas être trop exigeants dans leurs revendications sociales.
Le sous-financement de l’associatif, des clubs sportifs, du non-marchand conduit bien souvent à des difficultés pour engager de manière stable du personnel, que ce soit un entraîneur de foot ou un animateur de jeunes. Dans un tout autre registre, le nombre de gens qui font des prestations via des plateformes numériques ne cesse de grimper (Uber, Deliveroo…).
De ces phénomènes qui n’ont apparemment rien avoir l’un avec l’autre, le gouvernement a décidé d’établir la possibilité de gagner jusqu’à 500 euros par mois sans devoir payer aucune cotisation sociale ou aucun impôt. C’est valable pour les travailleurs qui travaillent à 4/5e mais aussi pour les pensionnés.
On pourrait croire à une bonne nouvelle. Cela aidera le club de foot à payer son entraîneur et permettra au livreur de Deliveroo de ne pas voir sa maigre rémunération diminuer encore par une taxation ou cotisation sociale. Mais, dans les faits, cette rémunération est dangereuse. Elle organise une fois encore une concurrence déloyale avec des travailleurs qui auraient pu accomplir ce boulot via un contrat normal. Ce système diminue la pression sur les grandes plateformes numériques pour qu’elles paient de vrais salaires. Ces rémunérations ne contribuent pas à financer une protection en cas d’accident de travail, à construire des droits pour le chômage ou la pension. Et, une nouvelle fois, les pensionnés appauvris sont incités à concurrencer les jeunes travailleurs en bossant pour des prestations sous-payées.
Le gouvernement a décidé que la nomination des fonctionnaires deviendrait l’exception et non plus la norme. La ministre N-VA Liesbeth Homans a même – en anticipant la loi – annulé la nomination de 500 fonctionnaires à Gand. Le parti nationaliste entendait dénoncer les « privilèges » des statutaires, leur « grosse pension »…
En fait, le statut de fonctionnaire qui assure une certaine stabilité d’emploi et certains droits constitue une épine pour le patronat qui veut avoir un marché du travail le plus précaire possible. En France, près de trois jeunes sur quatre veulent travailler dans la fonction publique. En Belgique aussi, des études montrent qu’un grand nombre de jeunes sont attirés par la fonction publique. Ils veulent donner un sens à leur boulot, avoir une certaine stabilité d’emploi et des conditions de travail correctes. L’existence de ce secteur protégé retire un moyen de pression du monde patronal pour attaquer les conditions de travail. Si des conditions meilleures existent, il est plus difficile de mettre la pression sur les gens.
Ensuite, la suppression du statut de fonctionnaire facilite les possibilités de privatisation de certains services publics. Une entreprise privée ne reprendra jamais un service avec des travailleurs protégés. Par contre, s’ils ont un contrat « normal », c’est beaucoup plus facile. On le voit aujourd’hui chez bpost par exemple.
Finalement, la fin du statut a aussi pour but de casser la résistance et de faciliter l’arbitraire dans la fonction publique. À l’origine, le statut de fonctionnaire avait pour but de protéger le travailleur face à la hiérarchie. Les fonctionnaires doivent rendre un service au public, en toute impartialité, en toute égalité, en toute neutralité et en respectant la loi. Le statut doit normalement les protéger contre des ordres illégaux que leur hiérarchie voudrait éventuellement leur imposer. Le fonctionnaire a même le devoir de désobéir à une hiérarchie qui lui imposerait des ordres illégaux. Et le statut le protège contre des représailles éventuelles. Le statut protège également les fonctionnaires qui se mobilisent, s’organisent et contestent les mesures d’austérité actuelles.
Le gouvernement veut lever toutes les interdictions à l’intérim qui existent dans certains secteurs. Par exemple, il est toujours interdit de faire appel à des intérimaires dans le secteur du déménagement ou celui de la batellerie. Le travail intérimaire est également très fortement limité dans la fonction publique. Toutes ces limitations n’ont pas leur place à Flexiland.
A Flexiland, il y a, comme en Allemagne, de plus en plus de travailleurs pauvres. Leur nombre a doublé en 10 ans. Dans ce pays, les jeunes restent chez leurs parents jusqu’après 35 ans car ils n’arrivent pas à trouver un bon job leur permettant de bâtir leur avenir.
Dans ce pays, les contrats précaires exercent une pression et une concurrence permanentes sur les travailleurs avec un contrat stable. La peur est moins de tomber au chômage et de plus en plus de devoir travailler dans des conditions impossibles.
Le gouvernement a décidé que la pension des chômeurs ne serait plus calculée en fonction du dernier salaire, mais bien sur base d’une sorte de salaire minimum. Pour l’instant, celui-ci se situe à un peu moins de 24 000 euros par an (montant exact : 23 841,73 euros).
Auparavant, la pension légale durant les périodes de chômage était calculée sur base du dernier salaire.
Le gouvernement avait diminué cette pension en la calculant désormais en fonction du salaire minimum à partir de la troisième période de chômage (soit après 48 mois). Une exception avait été prévue pour les plus de 50 ans, pour qui le calcul était effectué sur base du dernier salaire.
Désormais, le gouvernement Michel supprime cette exception et ramène la période de quatre ans à un an seulement. L’impact de la réforme sera particulièrement important pour ceux qui ont été au chômage pendant plusieurs années, ainsi que pour les prépensionnés, dont le statut social est assimilé à celui des chômeurs.
Un exemple a été adressé à notre rédaction : Jules, de Schoten, vient d’être prépensionné. Il a 58 ans et son dernier salaire annuel était de 45 000 euros. Selon la règlementation actuelle, il se constitue durant chaque année de prépension 600 euros de pension légale (sur base annuelle). Le calcul se fait comme suit : son dernier salaire annuel de 45 000 euros x 1/45 x 60 % (droit à la pension pour les isolés). Avec la nouvelle règlementation, il ne se constituera que 320 euros de pension légale par an. Sa pension légale sera en effet calculée sur base du salaire minimum de 23 841,73 euros (23 841,73 euros x 1/45 x 60 % = 317,89 euros).
Avec la nouvelle règlementation, Jules se constituera chaque année 282 euros de pension légale en moins. Par mois, cela représente 23,5 euros de pension en moins (282 euros / 12 mois). De sa 59e à sa 66e année, Jules restera prépensionné. Au total, dès sa 66e année, la nouvelle règlementation va donc lui faire perdre 165 euros de pension légale chaque mois (23,5 euros x 7 ans). C’est le montant brut, qui ne diffèrera guère du montant net, puisqu’il n’a déjà pas une pension très élevée.
« Ainsi donc, Jules perd 165 euros de pension légale par mois. Une mesure très sévère qui va susciter une grande colère », déclare le spécialiste des Pensions au PTB Kim De Witte. « Le gouvernement modifie les règles du jeu pendant la pause. Les gens ont opté pour la prépension sans savoir que ces règles allaient changer. C’est inacceptable. Pour les parlementaires, on a tenu compte des fameux “droits acquis”. Pour les simples travailleurs, on ne le fait pas. Deux poids, deux mesures… »
Le gouvernement veut casser la sécurité sociale. Les contrats où plus aucune cotisation à la sécurité sociale n’est versée se multiplient. En faisant cela, on prépare les déficits de demain et les nouvelles mesures d’austérité.
Pour rappel, l’argent que nous versons à la sécurité sociale sert à payer nos pensions, notre assurance maladie, nos allocations familiales, nos allocations de chômage… Il s’agit d’un grand pot collectif qui permet d’éviter que trop de gens tombent. En limitant le financement de la sécu, le gouvernement prépare l’insécurité sociale de demain.
La casse de la sécurité sociale est motivée par le souci de baisser les salaires mais aussi de casser un des ciments qui fondent l’unité du monde du travail en Belgique. Avec les organisations syndicales, la sécurité sociale et un des plus grands piliers d’unité. Le cauchemar des nationalistes.
Le soutien dans la population belge pour qu’on taxe enfin les millionnaires reste toujours très très fort. Tous les sondages le montrent. Pour casser cette idée dans l’opinion, le gouvernement essaie différentes tactiques.
La première consiste à dire que c’est impossible, que les riches vont s’enfuir avec leur fortune, que c’est mauvais pour l’économie, etc. Mais, malgré tous les efforts des partis de droite, ces faux arguments ne prennent pas dans la population. Les organisations syndicales, l’associatif, le service d’études du PTB ont chaque fois pu montrer que la taxation des plus riches était bel et bien possible et même nécessaire pour retrouver une société qui investit.
La deuxième tactique consiste à prendre des mesures symboliques de taxation des plus riches. Le gouvernement a introduit une taxe sur les comptes-titres, c’est-à-dire sur les comptes où des particuliers placent leurs actions.
Avec la nouvelle taxe, celui qui a pour un million d’actions sur un compte-titres paiera à peine 750 euros. En outre, il recevra immédiatement 180 euros de retour, parce que les bénéfices sur les dividendes sont moins imposés. Selon l’expert fiscal Michel Maus, il s’agit d’un « impôt homéopathique » qui n’a rien à voir avec la justice fiscale. En plus, les toutes grosses fortunes qui placent leur patrimoine dans des holdings ne seront pas touchées.
La taxe sur les comptes-titres ne rapportera rien. L’encre de l’accord gouvernemental n’est pas encore sèche que la taxe est déjà contournée. La fédération des investisseurs, la VFB, et le patron de Febelfin ont annoncé aujourd’hui déjà que les investisseurs pouvaient tout simplement ventiler leur compte sur plusieurs banques afin de contourner la taxe.
Après la taxe sur les riches – introduite en 2011 et de nouveau supprimée en 2012 – et la taxe sur la spéculation – qui, elle aussi, n’aura été en vigueur qu’une seule année – la taxe sur les comptes-titres est un nouvel exemple de la poudre aux yeux dans laquelle ce gouvernement s’est spécialisé.
Toutes ces mesures d’accroissement de la flexibilité ne relancent en rien l’économie. Elles nous rendent malades et accroissent les inégalités. L’insécurité (d’emploi, d’horaire…) et les petits salaires sont une forme de stress permanent qui conduisent à de grands dégâts sociaux.
Si nous voulons respirer à nouveau, nous avons besoin d’un plan basé sur le respect du travail, de la nature et l’investissement public.
Respecter le travail en promouvant des emplois stables et la liberté d’obtenir des augmentations de salaires. Il faut en finir avec les discours culpabilisants les travailleurs, leurs salaires soi-disant trop élevés ou leurs conditions de travail. Respecter le travail en favorisant la réduction du travail plutôt que son augmentation. Partager le travail pour travailler tous.
Respecter la nature en promouvant l’investissement public dans des projets écologiques de construction et d’isolation de logements, dans le développement des transports publics...
En développant un tel plan, nous pourrons respirer à nouveau l’air de nos villes, nous pourrons sortir du stress qui mine la vie d’un trop grand nombre.
Mais pour arrêter le gouvernement et pour appliquer ce plan, il faudra se mobiliser. C’est le seul langage qu’entend ce gouvernement aveuglé par son ambition de servir les plus riches de ce pays.
Et comment l’autre moitié est-elle financée ? Et bien, elle ne l’est pas. Concrètement, le tax-shift organise un trou budgétaire de 4,5 milliards. Le gouvernement déclare qu’il n’y a pas besoin de les financer. Les « effets retours » les financeront tout seul. En réalité, ces 4,5 milliards non-financés nous reviendront dans la figure dans les années à venir sous forme de déficits dans la sécurité sociale et dans le budget de l’État.
Dans les rêves du CD&V, l’accord gouvernemental de juillet 2017 devait être son grand moment de retrouvailles avec le Mouvement ouvrier chrétien (ACW). Le ministre Kris Peeters se voyait déposer élégamment sur la table une taxation sur la fortune et une solution pour les épargnants d’Arco, et les présidents des branches du mouvement accueilleraient, la larme à l’œil, le fils prodigue revenu à la maison.
C’est toutefois l’inverse qui se produit. Le CD&V récolte une pluie de critiques qui exaspère plus d’un parlementaire. « Est-ce le syndicat parle bien au nom de tous ? J’ai un gros doute », s’interroge un dirigeant du parti. Wouter Beke (président du CD&V) prétend que le CD&V continue à défendre ce « centre courageux » (moedige midden) et que c’est l’ACW qui tire toujours plus vers la gauche.2
En réalité, Beweging.net, la CSC et les autres organisations de l’ACW sont solidement ancrées dans la réalité de terrain et tendent au CD&V un miroir où il se voit tel qu’il est : comme un fossoyeur de la cohésion sociale d’aujourd’hui et de demain.
Le CD&V assume depuis 3 ans le rôle de la soi-disant caution « sociale » du gouvernement. Et quel est le bilan ? Les quelques fois où il a émis une proposition sociale, celle-ci était très légère et souvent rejetée. Mais plus grave, le CD&V s’implique activement dans toute une série de dossiers qui ont contribué à démanteler les droits des travailleurs et à miner l’assise de la sécurité sociale. Tout y passe : augmentation de l’âge du départ à la retraite, saut d’index, augmentation des impôts pour les travailleurs, tax-shift au profit des entreprises, sans compter toutes les mesures nauséabondes sur l’immigration et les réfugiés. Kris Peeters himself (pourtant CD&V) va même jusqu’à augmenter la flexibilité des travailleurs et à raboter leurs futures augmentations salariales.
L’accord de juillet devait mettre fin à la longue traversée du désert du parti. Sur la table, le CD&V apportait non seulement une solution pour les épargnants d’Arco, mais aussi ce qu’il présente comme la pierre angulaire d’une fiscalité juste. Sauf que les épargnants d’Arco seront (peut-être, si la Cour constitutionnelle le permet, ce qui est hautement improbable) payés sur la privatisation de Belfius (feu Dexia, sauvée par... les fonds publics, donc l’argent des citoyens). Et le début de fiscalité juste sera, selon tous les experts, une boîte vide.
Et, à côté de ces deux joyaux, il y a de nouvelles mesures qui sentent bon le libéralisme : encore plus de flexibilité, une nouvelle augmentation des accises sur les sodas et le tabac, de nouvelles mesures pour les entreprises et qui mettent à mal la sécurité sociale et les services collectifs.
En fait, le gouvernement déteste tout ce qui est collectif. Son libéralisme promeut le profit individuel et l’écrasement de l’autre. Or un mouvement, c’est juste l’inverse.
Lorsque le CD&V se plaint des critiques, il finit par reprocher au Mouvement ouvrier chrétien d’être ce qu’il est, de défendre des intérêts collectifs et de représenter celles et ceux qu’il représente : les gens qui subissent leurs mesures et qui aspirent à une société plus juste.
Article publié dans le mensuel Solidaire de septembre 2017. Abonnement.
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