Accord climatique de Paris : on persiste dans de fausses solutions

La pression croissante des pays en développement, des mouvements de défense de l’environnement et des syndicats a fait en sorte qu’un accord soit finalement conclu. Mais l’accord de Paris sera-t-il suffisant pour sauver la planète ? Non. L’épreuve de force continue.

La somme des engagements mène à un réchauffement de 2,7°C et aucune méthode probante n’a été décidée pour traduire ces engagements en réalité. L’accord de Paris de ce 12 décembre reconnaît qu’il faut agir de manière urgente contre l’amplification du réchauffement du climat, mais reporte les actions nécessaires aux générations suivantes.

Un litige mondial

Quand on lit le compromis phrase par phrase, on voit bien le résultat de la lutte qui a été livrée durant la conférence. D’un côté les pays en développement, soutenus par les mouvements pour le climat, et de l’autre, les riches pays occidentaux, soutenus par les lobbys des multinationales et les monopoles de l’énergie fossile. Que des observations justes soient reprises dans le texte est une victoire morale pour le camp des pays en développement, les mouvements pour le climat et les syndicats. Que ces observations ne soient pas rendues plus fortes par des engagements contraignants montre clairement que les pays occidentaux continuent à miser sur les combustibles fossiles et sur les mécanismes de marché comme le marché du carbone.

Chaque accord politique de cette ampleur est le reflet des rapports de forces réels sur le terrain. C’est pourquoi il était très grave que les manifestations démocratiques et syndicales aient été interdites, au nom d’un argument de sécurité abusif. La lutte menée par les pays en développement, le mouvement syndical et le mouvement de défense de l’environnement est à l’origine de passages dans le texte final qui peuvent être utilisés dans la lutte pour des solutions écologiquement efficaces et socialement justes.

1,5° Celsius, sécheresses et réfugiés

Les sécheresses qui se succèdent au Proche-Orient, en Syrie et en Irak, en Afrique, la désertification des terres agricoles ont ruiné des millions de paysans et les a chassés vers les villes. La société dans ces régions est encore plus dévastée par les réformes du FMI et de la Banque mondiale et par l’ingérence militaire des pays riches. Les afflux de réfugiés en sont la conséquence.

Aujourd’hui, la température moyenne sur Terre a augmenté jusqu’à 1°C par rapport à l’époque préindustrielle. Les conséquences de ce 1°C sont déjà suffisamment graves. La limitation à 2°C promue par les États-Unis depuis la COP15 à Copenhague en 2009 est un choix politique qui permet de reporter les nécessaires interventions drastiques dans l’économie aux générations suivantes.

Les scientifiques du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) ont montré qu’une limitation à une augmentation de 1,5°C est encore possible moyennant des efforts énormes. Même si, avec 1,5°C, la déstabilisation de notre climat s’amplifiera également. Ce qui signifie la poursuite de la destruction de nombreux écosystèmes, le délitement de sociétés entières et de nouveaux afflux de réfugiés vers les pays plus riches.

Le mouvement pour le climat visait une augmentation maximale de 1,5°C. Ce chiffre apparaît à la fin du texte : l’objectif était de « maintenir le réchauffement bien en dessous des 2°C, en visant 1,5°C. »

Insuffisant, mais un début…

Dans l’accord de Paris, le combustible fossile n’est plus mentionné nulle part. Toute référence au budget carbone mondial, qui a été épuisé en un rien de temps, a disparu des propositions. Une petite allusion a été ajoutée dans l’exposé d’introduction, où est exprimée la préoccupation quant au fait que l’addition de toutes les promesses revient à 55 gigatonnes de CO₂ pour 2030. Il y est demandé de ramener ce volume à 40 gigatonnes. Remarquons que, pour l’année de référence, 1990, c’est 23 gigatonnes. Nous allons donc vers plus du double, alors que, selon les graphiques du GIEC, les émissions devraient fortement chuter pour en arriver à zéro en 2045 afin de rester sous un réchauffement de 2°C.¹ Sans même parler de 1,5°C.

Les objectifs chiffrés stipulés dans les rapports du GIEC ne figurent pas dans le texte. Encore moins toute mention à l’année de référence 1990. Jean-Pascal van Ypersele, ancien vice-président du GIEC, a déclaré à la radio que l’accord était insuffisant, mais que c’était un début.

Les textes indiquent que les émissions mondiales devraient commencer à diminuer. De préférence avant 2020. Que chaque report rend l’adaptation aux circonstances changeantes plus difficile et entraîne davantage de coûts.² Le GIEC avait clairement indiqué que 2015 devait être l’année du pic en la matière. Si ce n’est pas le cas, nous devrons faire en sorte qu’à l’avenir le taux d’émissions soit « négatif ». C’est-à-dire qu’il faut intervenir activement pour retirer du CO₂ et d’autres gaz à effet de serre de l’atmosphère. C’est techniquement compliqué, et le fera-t-on ?

Le rappel et la réintroduction des objectifs chiffrés corrects seront un point de lutte pour le mouvement pour le climat et les syndicats.

Responsabilité commune mais différenciée

La presse présente souvent l’Inde et la Chine comme les pays qui mettent des bâtons dans les roues, et les États-Unis comme étant de bonne volonté. Ce qui n’est pas exact. Pas un seul pays riche n’a énoncé de propositions de réduction proportionnelle à ses propres émissions, à sa propre responsabilité historique en la matière et, surtout, à ses propres capacités financières pour y remédier. Alors que la plupart des pays en développement ont avancé bien plus de propositions de réduction que leur part légitime par habitant.³

Avec l’écrasante majorité des pays en développement, la Chine et l’Inde défendaient le maintien du principe fondamental fixé en 1992 dans la convention-cadre de l’ONU : « Le climat est l’affaire de tous, mais la responsabilité est différente. » Les pays riches ont une dette historique à assumer pour la pollution accumulée dans l’atmosphère commune. Ce que les États-Unis et les autres pays riches tentent d’esquiver. Ce sont eux qui font barrage.

Obama a twitté à la presse que l’accord de Paris était « une victoire du leadership américain ». Samedi soir, l’assemblée plénière a été subitement suspendue parce que John Kerry, le ministre américain et négociateur, s’opposait à l’emploi du mot « shall » dans le paragraphe précisant que « les pays développés doivent (“shall”) mener à bien des plans nationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre ». Le mot « shall » a été remplacé par « should » (c’est-à-dire « devraient » au lieu de « doivent »).⁴ Ce qui est effectivement une victoire pour le « leadership américain »...

Cette « responsabilité commune mais différenciée » devrait être réalisée par des objectifs de réduction plus élevés pour les pays riches, par l’apport de connaissances technologiques. Le texte final ne mentionne aucun chiffre à ce sujet.

Le financement pour 100 milliards de dollars a été promis dans le texte annexe, mais sur base volontaire… Ce montant est encore bien en dessous des besoins. Il suffit de le comparer à d’autres dépenses, comme les 5 300 milliards de subsides reçus par les États pour les énergies fossiles en 2015, selon le FMI.⁵

En matière d’aide et d’apport techniques, des recommandations sont énoncées. Mais il n’est nulle part question de toucher au droit des brevets et au principe de propriété intellectuelle, qui empêchent une plus large diffusion de la meilleure technologie.

Un accord ambitieux, contraignant et honnête ?

Les dix dernières années, le mouvement pour le climat a sans cesse tapé sur le clou pour obtenir un accord « mondial, ambitieux, contraignant et honnête ».

Contraignant ? Cet accord n’est absolument pas contraignant sur les contributions correctes de chaque pays. C’est une addition des promesses de chaque pays. Ce qui est certes contraignant, c’est que chaque pays doit rendre compte des efforts qu’il projette de faire. Ce qui n’est quand même pas une petite avancée à dédaigner. Les promesses seront évaluées tous les cinq ans.

Il n’y a nulle part de mesure ou de sanction si un État ne traduit pas ces promesses en réalité, comme c’est le cas dans les traités commerciaux internationaux. Tout citoyen peut certes assigner son État en justice si celui-ci ne suit pas les dispositions de l’accord. Comme le fait chez nous l’organisation « Klimatzaak ».

Honnête ? Dans l’article 6, point 3 : « L’utilisation de résultats d’atténuation transférés au niveau international pour réaliser les contributions déterminées au niveau national en vertu du présent Accord revêt un caractère volontaire et est soumise à l’autorisation des parties participantes. » Si on relit cette phrase compliquée, on comprend pourquoi nos ministres compétents en matière de climat, Marie-Christine Marghem (MR, fédéral), Paul Furlan (PS, Wallonie), Céline Fremault (cdH, Bruxelles) et Joke Schauvliege (CD&V, Flandre) sont si contents. Les pratiques actuelles d’achat des crédits d’émissions à l’étranger peuvent se poursuivre. Ce qui est souvent meilleur marché que des mesures dans son propre pays. Ceci va être le grand point de lutte pour le mouvement pour le climat et les syndicats : les mesures de réduction doivent se passer dans le pays propre. Car c’est là que nous pouvons y changer quelque chose de manière structurelle.

Justes et fausses solutions

Les fausses solutions que présente le greenwashing capitaliste se retrouvent dans le texte. Il s’agit de « récupération et de stockage du CO₂ », de « promotion de l’énergie nucléaire », d’« approche de marché ».

La « neutralité nette en CO₂ » revient à pouvoir émettre plus si à l’avenir on émet moins. Ce n’est toutefois pas ainsi que cela fonctionne. Les émissions actuelles enclenchent toutes sortes de processus climatologiques que l’on peut difficilement inverser et qui accélèrent le processus du réchauffement.

Le terme est également utilisé pour la compensation par le reboisement. La superficie des terres agricoles sur le globe terrestre est insuffisante pour compenser de manière effective. La compensation aggrave l’inégalité sociale dans les pays en développement.
La « récupération et le stockage du CO₂ » donne l’illusion que nous pouvons continuer notre « business as usual ». Cela exclut une intervention structurelle et met d’énormes problèmes de sous-sols et d’eaux pollués sur les épaules des générations à venir. La récupération de CO₂ est certes techniquement possible et pourrait être une forme d’émissions négatives. Cette technique exige cependant une énorme quantité d’énergie. Dons, seulement acceptable si le CO₂ récupéré est utilisé comme matière première pour la pétrochimie au lieu du pétrole. Et non pas pour le stocker dans le sol.

L’accord de Paris invite l’International Atomic Energy Agency à participer aux conférences. Cela annonce une offensive du secteur nucléaire. Le Forum nucléaire belge se présente comme étant détenteur de connaissances et il présente l’énergie nucléaire comme étant une solution pour le climat. Le Forum nucléaire se tait cependant dans toutes les langues sur l’aspect de la sécurité, qui constitue pourtant avant tout le premier argument pour refuser les centrales nucléaires. Les alternatives bien plus favorables pour le climat que sont les énergies éolienne et solaire sont technologiquement au point, bien moins chères et installées bien plus rapidement.

Un mouvement populaire pour une autre approche

Dans son  dernier rapport de 2014, le GIEC indique qu’il est encore possible de faire quelque chose, si l’action s’opère à grande échelle et de manière coordonnée. Cela signifie des initiatives par les pouvoirs publics. C’est pourquoi il faut une approche nationale planifiée et avec participation démocratique afin qu’il y ait un large soutien de la population.

Dans les recommandations du texte final de la COP21, une taxe sur le CO₂ est mentionnée comme possibilité. Comme toute approche de marché et résolution impliquant la hausse des prix, c’est intrinsèquement injuste au plan social : celui qui a de l’argent peut tranquillement polluer. Les meilleures alternatives doivent être mises en œuvre pour toute la population.

La lutte pour le climat est une lutte sociale, une lutte pour une autre forme de société. Si le système capitaliste actuel ne peut pas être correct au plan écologique et socialement juste, il perd alors son droit d’exister.

1 http://climateparis.org/COP21 • 2 idem • 3 « Fair shares : a civil society equity review of INDCS. Summary », www.civilsocietyreview.org, octobre 2015 • 4 « Belgische delegatieleider ontleedt ‘historisch’ klimaatakkoord », Metro, 14 décembre 2015 • 5 • « How large are global energy subsidies ? » FMI, mai 2015

Article publié dans le mensuel Solidaire de janvier 2016. Abonnement.