La scission des soins de santé ouvre la voie vers une scission de la sécurité sociale

L’accord qu’avaient trouvé les informateurs Paul Magnette et Bart De Wever comporte notamment la scission des soins de santé. C’est une revendication importante des nationalistes flamands et du VOKA (le patronat flamand). Les socialistes disent qu’ils sont prêts à scinder l’exécution de la politique de santé, mais en gardant le financement au niveau fédéral. Ce ne sont que des illusions  : le financement suivra quelques temps après. Cela affaiblira la protection sociale et ouvrira la voie vers une scission plus globale de la sécurité sociale.

Scinder les soins de santé est une revendication historique des nationalistes flamands. Lors des réformes de l’État précédentes, certains pans du secteur ont déjà été régionalisés (la prévention, les maisons de repos, l’organisation de la médecine de première ligne, la formation du personnel soignant). Mais une très grosse partie est encore fédérale  : la gestion des hôpitaux, les soins à domicile et aux personnes âgées, la définition des tarifs, honoraires et remboursements ainsi que la politique des médicaments et l’assurance invalidité de travail. Il s’agit de très gros budgets gérés par l’Inami (l’institut national d’assurance maladie invalidité). C’est le plus gros poste de dépense de la sécurité sociale avec 31 milliards par an, soit 48  % du budget total. C’est ce qui est sensé permettre à chacun et chacune d’avoir accès à des soins de qualité. C’est sur ce gros morceau que lorgnent les partisans de la scission du pays.  
Dans une résolution votée en 1999 au Parlement flamand, les partisans de la scission déclarent que l’objectif à travers la scission est d’avoir une politique plus efficace, adaptée à chaque Région ou Communauté mais aussi de mettre fin aux «  transferts injustifiés  » et de «  responsabiliser les acteurs  ». Pour cela, il faut scinder aussi le financement. L’idée est que ce n’est pas aux Flamands de payer pour les Wallons ou les Bruxellois qui dépensent plus et/ou gèrent mois bien leurs soins de santé.

Une solution en plusieurs étapes pour faire passer la pilule 

Déjà en 1999, les socialistes flamands – qui avaient voté la résolution – ont proposé un processus de régionalisation par étape pour convaincre tous ceux qui, en Flandre comme du coté francophone, s’y opposaient. Cela consistait à scinder la gestion des politiques, mais à garder une forme de financement fédéral qui fonctionnerait par enveloppe pour les Communautés ou Régions. C’est la formule que défendent aujourd’hui aussi les socialistes flamand, dont leur président Conner Rousseau. Et qui semble avoir été retenue par Magnette et De Wever. Dans une interview donnée cet été au Soir, le ministre socialiste wallon Pierre-Yves Dermagne défend également la scission des politiques de soins de santé, notamment du financement des hôpitaux. 

En réalité, cela ne sera qu’une étape et mènera bien vite à l’exigence de la scission complète des soins de santé, y compris de leur financement. D’abord parce que le système d’enveloppe n’est pas durable. Il faudra en effet s’entendre sur la taille des enveloppes, basées sur des estimations des besoins. Ce qui est loin d’être évident vu notamment que les besoins évoluent en permanence. Cela risque de mener à un sous-financement et à une baisse de qualité de soins (comme on le voit avec l’enseignement du côté francophone). Et à pousser même des gens qui s’opposent à la régionalisation à la demander. 

Les nationalistes viendront aussi rapidement avec la nécessité de «  responsabiliser  » les francophones par rapport aux politiques qu’ils mènent. Expliquant que les Flamands ne devraient pas avoir à payer pour ce qu’ils décriront comme «  la mauvaise gestion francophone  ». 

La scission, défendue par le VOKA, sera mauvaise pour tous les travailleurs 

Si les nationalistes poussent tellement à cette scission, c’est parce que le VOKA, l’association des grands patrons flamands, en a fait une priorité politique. Il y a trois objectifs concrets pour le grand patronat à cette scission  : 

1. La scission permet de couper dans les budgets. Aujourd’hui, il y a 31 milliards qui vont chaque année vers les soins de santé, le patronat voudrait récupérer une partie de cette somme. Comme le note le journal patronal l’Echo, «  derrière ce plaidoyer [pour la régionalisation des soins de santé] se cache surtout une volonté du patronat flamand de tailler dans les dépenses sociales, une pilule beaucoup plus facile à faire avaler aux seuls partis flamands  ».
2. Couper dans les dépenses cache aussi une volonté d’aller plus vite vers la privatisation et à la commercialisation des soins. 
3. Elle fait en sorte que les entités fédérées (Régions ou Communautés) aient en mains la politique d’activation des malades de longues durées. Le VOKA veut pouvoir renforcer encore plus la chasse aux malades de longues durées en Flandre, pour obliger les travailleurs à revenir au travail et à accepter n’importe quel emploi sous peine de sanction.

Casser l’unité du monde du travail

La scission a aussi l’énorme avantage pour le patronat de casser l’unité du mouvement syndical, et donc sa force. On le voit aujourd’hui avec d’un côté le personnel des hôpitaux qui s’est mobilisé largement dans tout le pays et a arraché un accord de refinancement historique, et de l’autre les secteurs régionalisés comme les maisons de repos qui n’ont réussi à obtenir que des miettes au niveau de leur Région respective. 

Cette scission ouvrira la voie à une scission plus complète de la sécurité sociale. Elle sera négative pour l’ensemble des travailleurs, tant francophones que néerlandophones. 

Sauvons la solidarité 

Mais le discours du patronat et des nationalistes sur les soi-disant transferts entre Régions ne tient pas la route. Les différentes de dépenses en matière de santé s’expliquent avant tout par des facteurs socio-économiques  : la qualité du logement, le niveau de revenus, le niveau d’éducation, etc. Ce n’est pas une question de transferts ou de différences entre les Régions, mais bien de transferts des revenus élevés vers les revenus faibles, des personnes en bonne santé vers les malades, entre les plus jeunes et les plus âgés. Cela porte un nom  : la solidarité. C’est le principe sur lequel repose la sécurité sociale telle qu’elle a été bâtie dans notre pays grâce aux luttes des travailleurs. 

L’assurance maladie collective organisée au niveau fédéral permet de répartir au mieux les risques, sur le plus grand nombre de personnes possible, pour le bien de tous les travailleurs. Et c’est justement cette force et cette solidarité que les nationalistes et le VOKA veulent briser. L’accord entre les socialistes et la N-VA ouvre la voie pour ce démantèlement. Et c’est pour cela qu’il faut s’y opposer.