Pensions : le coup d’État antisocial du gouvernement français

Pour imposer sa réforme de casse du système solidaire des pensions, le gouvernement français n’hésite pas à passer en force. Ou comment un pouvoir « ni de droite ni de gauche », soutenu par l’establishment, méprise la volonté du peuple, les syndicats, les partis de l’opposition, et les institutions-mêmes. Bienvenue dans la République du 49-3.

Depuis le 5 décembre dernier, les organisations de travailleurs luttent au quotidien contre la réforme de casse des retraites (pensions) que le gouvernement d’Emmanuel Macron veut imposer. Ce que le pouvoir macronien considère comme la « mère de toutes les réformes » fait l’objet d’une résistance large. Pour tenter de battre le plus long mouvement social depuis Mai 68, le gouvernement « ni de gauche ni de droite » sort l’arme la plus anti-démocratique, la plus antisociale : l’article 49, alinéa 3, de la Constitution. Ce qui revient à imposer des lois sans passer par le Parlement. Alors que le pouvoir bénéficie d’une large majorité dans le Parlement, cette volonté de passer en force montre que le gouvernement est tellement en difficulté qu’il veut en finir le plus vite possible...

Si la menace de ce 49-3 se faisait de plus en plus présente dans les médias, le timing a surpris tout le monde. Y compris les élus de la République en Marche (LREM), le mouvement du président Emmanuel Macron, alertés par sms quelques minutes avant l’annonce d’Edouard Philippe, le Premier ministre.

Ce samedi 29 février, un conseil des ministres extraordinaire ayant trait à la crise du coronavirus est convoqué. A la sortie de celui-ci, le ministre de la Santé et la porte-parole du gouvernement expliquent les mesures urgentes prises pour limiter l’étendue du virus. Parmi celles-ci, l’interdiction des rassemblements de plus de 5 000 personnes. Quelques minutes plus tard, le Premier ministre intervient au Parlement, devant un parterre clairsemé de députés. Un samedi à 17h30, c’est le moment où jamais de lâcher une bombe, s’est sans doute dit le pouvoir macronien.

Cette annonce d’un passage en force divise même la majorité. Il faut dire que le Président Macron lui-même, alors candidat, s’était montré hostile à l’utilisation du 49-3. « Regardez ce qui vient de se passer quand on réforme en passant par le 49-3, qui est pourtant un article constitutionnel : les gens le prennent très mal », déclarait l’ancien ministre de l’Économie en novembre 2016. Il faut dire que le 49-3, le gouvernement social-démocrate dont il a fait partie s’en est servi pour détruire le Code du travail. Ce qui, à l’époque, avait fortement déplu à... Edouard Philippe : « Les députés ont été élus par le peuple et essaient de le représenter. Le 49-3 ne leur permet même pas de discuter le texte », s’énervait celui qui était alors député des Républicains (droite).

Ca passe ou ça casse

A deux semaines des élections municipales (communales), le parti de Macron, La République en Marche (LREM), joue gros. La déconfiture risque d’être sévère tant Macron méprise le peuple. Mais cela ne perturbe pas le gouvernement d’Edouard Philippe qui veut, coûte que coûte, faire passer cette réforme. Et l’interdiction de rassemblements tombe à pic pour museler les oppositions...

Et museler les oppositions est nécessaire pour Macron et l’establishment qui le soutient. Ce projet de réforme des retraites est LE sujet de discorde depuis trois mois entre le gouvernement des (très) riches et la majorité des travailleurs français, très attachés à leur système de retraite, un des meilleurs d’Europe, basé sur la solidarité entre travailleurs et entre générations.

Car cette réforme est un symbole. La droite s’y est déjà cassé les dents. En 1995, le gouvernement du Premier ministre de droite Alain Juppé avait dû faire marche arrière sur le sujet. Depuis, aucun gouvernement n’avait osé s’attaquer frontalement au droit à la pension. Jusqu’à Emmanuel Macron.

Travailler plus pour gagner moins

La réforme est impopulaire à raison (tous les sondages ont montré un refus à plus de 60 % de la part de la population). Elle vise à allonger le temps de carrière et à diminuer le montant de la pension à travers la mise en place d’un mécanisme par points, similaires à celui de la « pension tombola » que le ministre libéral Daniel Bacquelaine a tenté d’imposer en Belgique. Une réforme inspirée par les lobbyistes de l’assureur Axa et du gestionnaire d’actifs Black Rock, entre autres vautours, qui lorgnent sur le pactole des retraites françaises. Le projet de loi leur permettrait d’obtenir la grosse part du gâteau en transférant (une partie de) la gestion des retraites du public vers le privé. La commission européenne exulte : ses recommandations se verraient ainsi traduites dans la loi française.

Les partis de gauche (Parti communiste français (PCF), France Insoumise) ont déposé près de 40 000 amendements au projet de loi, justement pour pouvoir discuter de toutes les zones d’ombre et incertitudes qui subsistent délibérément dans le projet de loi : valeur du point (qui sera défini... après l’application de la réforme, selon la majorité...), âge de départ à la retraite, prise en compte de la pénibilité, etc. Mis en difficulté dans les débats à l’Assemblée nationale, le gouvernement a décidé de passer en force en passant outre la démocratie parlementaire. Un véritable « coup d’État social » comme le dénonce le journal L’Humanité dans son éditorial du 2 mars.

Pendant ce temps-là, des motions de censure ont été déposées par l’opposition pour dénoncer le recours au 49-3. Elles seront soumises au vote dans les 48 heures. C’est purement symbolique car les députés macroniens les rejetteront sans hésitation, confirmant par leur vote leur rejet du débat démocratique.

« Une seule solution : la mobilisation ! »

Les forces de gauche entendaient soumettre cette réforme au référendum, comme plus de 70 % des Français le voulaient. Au lieu de répondre à cette aspiration légitime, c’est le 49-3 qui est choisi. Dès l’annonce de son activation, des centaines de manifestants se sont rassemblés devant l’Assemblée nationale. L’intersyndicale, quant à elle déclare qu’une seule réponse s’impose : la mobilisation !

Des rassemblements sont prévus cette semaine devant toutes les préfectures et sous-préfectures du pays. Des appels à la grève sont également lancés. Relancer un vaste mouvement de grève est difficile après des semaines entières de mobilisations, des périodes de grève où certains travailleurs se retrouvent avec 400 euros en février après avoir reçu... 0 euro en janvier, mais le mécontentement est si présent et partagé par tellement de travailleurs du public comme du privé (cheminots, avocats, enseignants, ouvriers du pétrole, personnel soignant, dockers...) et le mépris de Macron et de son gouvernement tellement fort que l’annonce du coup de force du 49-3 est susceptible de donner un nouvel élan à la protestation sociale. Dès ce lundi, les syndicats engagés dans la lutte jusqu’au retrait de la réforme déclaraient : « Les mobilisations massives très importantes initiées depuis le 5 décembre n’ont pas été́ entendues par ce gouvernement mais le poussent à la faute. Elles poursuivent et amplifient, dans ce cadre, la construction d’une grande journée de grève interprofessionnelle et de manifestations dans tout le pays mardi 31 mars pour mettre en échec ce projet de loi ainsi que les suites si nécessaire. »

Ce qui se joue en France dépasse largement les frontières de l’Hexagone. La casse des systèmes solidaires de pension fait partie de l’agenda à très court-terme des partisans du néolibéralisme, qui doivent briser la résistance syndicale et politique pour réussir à imposer leurs réformes. Une victoire en France leur donnerait le champ libre dans d’autres pays européens, dont le nôtre. Un échec arraché grâce à la résistance populaire aurait l’effet inverse. L’enjeu est de taille. Et les travailleurs français plus déterminés que jamais à ne rien lâcher.