Rosa Terranova, tête de liste PTB Saint-Nicolas : « Les gens ne votent pas pour nos diplômes mais pour nos valeurs »

Rosa Terranova travaille comme femme de ménage et est tête de liste à Saint--Nicolas. C’est la première fois que le PTB présente une liste dans cette commune liégeoise. Un véritable défi. Mais la responsable est prête à faire entendre une autre voix au conseil communal. Portrait.

Née à Montegnée, près de Liège, Rosa Terranova a 55 ans. Son père est venu d’Italie pour travailler comme mineur. Il est décédé de la silicose à 50 ans. Rosa avait 17 ans. Sa mère était mère au foyer.

Le décès de son père n’est pas le seul drame que la famille a connu. Son frère, Gaétan, a perdu la vie à 50 ans dans un accident de travail à l’aciérie de Chertal. Il avait beaucoup d’expérience mais le patron l’a accusé d’être responsable de sa mort  : il aurait fait une fausse manœuvre.

« Gaétan connaissait bien les médecins de Médecine pour le Peuple qui défendent les travailleurs avec le mot d’ordre “travail dangereux, toujours à deux”. C’est entre autres grâce à mon frère que je me suis forgé des idées de gauche. Et j’en veux beaucoup à ces patrons qui nous ruinent la santé et veulent nous faire travailler plus longtemps. »

Ne pas sourire au travail

Rosa a été ouvrière pendant dix ans chez Babyliss à Wandre. « J’avais 25 ans quand j’ai commencé, je venais de me marier. On devait toujours travailler la tête penchée et si jamais on levait la tête ou souriait, on était appelée au bureau. Pour ne pas perdre ma place, j’ai mordu sur ma chique. Puis je me suis séparée de mon mari, et j’ai connu plusieurs années de chômage. Depuis 2006, je travaille en titres-services, à mi-temps (19h par semaine). Nous sommes une quarantaine de collègues, mais on ne se connaît pas, on ne se voit jamais. Il n’y a pas de délégation syndicale. Le patron arrive à semer la division, il nous empêche de nous organiser même s’il n’est jamais sur place. Au moindre problème, on est vite dehors. Il y a plein de magouilles dans ce secteur. Les patrons touchent plus de la Région wallonne que ce qu’ils nous payent. Je touche grosso modo 12 euros nets de l’heure. »

C’est en 2014 que Rosa a adhéré au parti. « Je suis allée à une activité à la Braise à Liège. Là, j’ai vu des gens comme moi et j’ai voulu faire ma part, m’impliquer dans la société et pas seulement la subir. On a organisé les gens autour de la suppression de la taxe télé, on a un projet de pétition contre l’augmentation de la taxe déchets, il y a eu l’action contre la fermeture de Fortis. Ce qui est le plus difficile, c’est de surmonter l’idée qu’on n’est pas capable. Mais c’est tellement prenant de se sentir actrice du changement… »

Commune liégeoise la plus pauvre

Saint-Nicolas est une commune à majorité absolue socialiste. C’est la commune la plus pauvre de l’arrondissement de Liège. En six ans, il y a 90  % de personnes en plus au CPAS, surtout suite aux exclusions du chômage. L’impôt additionnel sur les personnes physiques est au taux le plus haut. Il n’y a presque plus d’implantation industrielle sur la commune. Il reste juste le laminoir Ferblatil (ArcelorMittal) à Tilleur. La commune elle-même ne crée pas beaucoup d’emplois. « Le bourgmestre n’a aucun respect pour la population. Quand on va au conseil, on voit que rien ne se fait pour les gens. Ils votent des budgets pour les églises, ils discutent de la couleur des camionnettes entre bleu et rouge… mais on ne voit jamais des projets qui viennent des gens. »

Si elle est élue, Rosa s’engage à apporter la voix de la rue. « On ne les laissera plus faire leur petite popote entre eux. Nous avons fait remplir 300 enquêtes pour faire notre programme. Maintenant que les gens savent qu’on est là, certains nous donnent des coups de fil. »

Être tête de liste dans une commune où le PTB se présente pour la première fois n’est pas simple. Il faudra montrer concrètement qu’on est différent des autres. « Je vis dans la commune au milieu des gens et de leurs problèmes quotidiens, donc je sais que je suis capable d’amener quelque chose. En tant que femme de ménage, je veux que la commune soit agréable, vivante, propre. Eux ils sont toujours dans les paperasses. Moi je sais ce que c’est de tenir un ménage. Mais à d’autres moments, j’ai peur que puisque je ne suis qu’une femme de ménage, on ne me respecte pas. Ils savent parler et embobiner, comme à la télé, ils vont faire exprès de parler avec des mots que je ne connais pas. Mais Nadia Moscufo (ancienne caissière chez Aldi et conseillère communale PTB à Herstal, NdlR) m’a expliqué que ce qui est important est de parler avec les mots de la population. On ne va pas au conseil pour les autres partis, on y va pour les gens qui nous soutiennent. Surtout, on y va avec eux. Et les gens ne vont pas voter pour nos diplômes mais pour nos valeurs. Sur la liste, nous sommes tous des travailleurs. »

Deux groupes de base font la campagne dans la commune, après avoir mené déjà deux projets, contre la fermeture de l’agence Fortis à Tilleur et pour la suppression de la redevance télé. L’équipe compte plus ou moins 80 membres, dont une petite vingtaine très actifs.

Concilier vie professionnelle, familiale et politique

« Une femme tête de liste, ça donne une force en plus à la liste. On a l’habitude de voir des hommes diriger, c’est le moment de faire autrement. Mon compagnon n’a pas sa carte, mais il me soutient. Je n’ai rien fait sans en discuter d’abord avec lui. Mon fils est fier de sa maman, ma fille est au parti aussi.

Ce qui aide aussi, ce sont les formations. La première fois, j’avais de l’appréhension, j’avais peur de ne pas comprendre. Aujourd’hui c’est un besoin. Parce que c’est grâce à ça qu’on se rend compte de plein de choses qu’on ne connaît pas. »

Vivre ensemble, dans la diversité

De grandes communautés immigrées sont installées à Saint-Nicolas  : Italiens, Turcs, Marocains… Et il y a aussi des sans-papiers. « Je ne savais même pas que certains habitaient dans notre commune. Maintenant que je les connais, je ne sais plus rester indifférente. Mon compagnon s’est investi aussi. Les sans-papiers sont perdus dans un monde qu’ils ne connaissent pas. Ils sont loin de chez eux, n’ont pas d’identité, vivent dans des conditions épouvantables. L’État ne les aide pas. Ils n’ont rien à eux, sauf les vêtements qu’ils portent. C’est une situation que je ne souhaite à personne. »

Article publié dans le magazine Solidaire de septembre - octobre 2018. Abonnement.