Shawn Fain : « La classe travailleuse est l'arsenal de la démocratie »

Les travailleurs de l'usine Volkswagen de Chattanooga (Tennessee) ont voté à 73 % en faveur de l'adhésion au syndicat United Auto Workers (UAW), mi-avril. Une victoire historique pour le syndicat. Lors dʼune conférence, le président Shawn Fain est revenu sur cette victoire. Voici son discours.

« Il se passe quelque chose dans ce pays, quelque chose que nous n'avions pas vu depuis très longtemps : la classe travailleuse se lève.

Il y a quarante-huit heures, 4 000 travailleurs de Chattanooga, dans le Tennessee, ont accompli ce que beaucoup considéraient comme impossible. Nous avons fait ce que les experts considéraient comme impossible. Chaque fois que j'étais interviewé et que nous parlions d’organiser le Sud, les gens levaient les yeux et nous disaient : « Vous pensez vraiment que vous pouvez gagner dans le Sud ? » (Le Sud des États-Unis a des lois anti-syndicales très agressives, encore plus que dans le reste du pays, NdlT)

Vous savez quoi ? Ces travailleurs ont décidé de se défendre et ont voté pour lʼadhésion à un syndicat.

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Nous ne parlons pas que de Volkswagen aujourd'hui. Nous parlons aussi des 5 000 travailleurs de Mercedes-Benz à Tuscaloosa, en Alabama. Ces travailleurs courageux sont prêts à voter pour un syndicat, et ils le feront au cours de la deuxième semaine de mai.

Nous parlons également des 7 000 travailleurs de Daimler en Caroline du Nord, au Tennessee et en Géorgie. Je veux vous parler des travailleurs de Daimler, parce que ceux-ci ont dit à la direction que s'ils n'obtenaient pas l'accord d'ici vendredi prochain, ils allaient tout mettre à l’arrêt.

Grâce à notre victoire chez Volkswagen, les travailleurs de l'automobile de tout le pays parlent désormais d'une seule voix. Nous disons aux entreprises américaines que leur temps est révolu.

Renouveau syndical

Il n'y a pas que les États-Unis des affaires qui a quelque chose à apprendre de notre famille syndicale chez Volkswagen. Nous aussi, le mouvement syndical. Il y a plus de vingt ans, j'étais un jeune syndicaliste prêt à se battre contre le patron. J'étais prêt à me battre pour une vie meilleure. Quand j'ai été élu pour mon premier mandat en tant que membre du comité de mon usine, j'ai été stupéfait de me retrouver dans un syndicat dont les dirigeants semblaient n'avoir aucun intérêt pour cette lutte.

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Il y a environ deux ans, j'ai fait confiance aux membres de l'UAW et je me suis présenté aux élections.

Nous avons fait confiance aux membres, et ils se sont exprimés. Les membres ont choisi de mettre fin au syndicalisme « jaune » (syndicalisme contrôlé par le patron, NdlT). Les membres ont choisi de se battre. Nous nous sommes attaqués directement aux Big Three (surnom donné aux trois grands groupes de construction automobile américains, General Motors, Ford et Chrysler, NdlT), et nous les avons affrontés comme jamais nous ne l'avions fait auparavant.

Après des années de concessions et de reculs, nous avons présenté des revendications très audacieuses, ce qui nous a valu des moqueries au début. Nous avons gardé les entreprises dans le doute, après qu’elles ont bénéficié d'un passe-droit pendant des années. Nous avons remporté des victoires que personne ne pensait possibles, et nous avons obtenu la réouverture d'une usine [près de Chicago], Belvidere Assembly, après des décennies de fermetures.

Lorsque j'ai pris mes fonctions de président, l'industrie des batteries électriques était engagée dans une spirale vers le bas, avec un salaire de départ de 16 dollars de l'heure et, au bout de sept ans, un salaire maximal de 20 dollars. Nous nous sommes attaqués à cela. Nous avons cherché à intégrer [la construction de batteries électriques] dans nos accords-cadres et nous avons jeté les bases d'une transition vers les véhicules électriques.

Nous avons supprimé les échelons salariaux. Nous avons raccourci la progression vers le plein salaire. Nous avons récupéré les allocations de vie chère. Nous avons mis fin à l'abus des intérims. Mais surtout, ce que nous avons gagné dans cette convention collective de travail, c'est que nous avons récupéré notre syndicat. Nous avons mis les membres aux commandes, et nous nous sommes souvenus de comment nous battre, et de comment gagner.

La classe travailleuse peut gagner

Nous avons remarqué quelque chose après avoir gagné tout cela, après avoir redonné le pouvoir aux membres. Cela a commencé par des dizaines, puis des centaines, et enfin des milliers. Les travailleurs de l'automobile non syndiqués nous contactaient pour rejoindre notre mouvement.

Lorsque j'ai fait campagne pour ce poste, j'ai souvent dit que la négociation de bonnes conventions collectives conduisait à l’organisation du succès, les deux vont de pair. La grève ne concernait donc pas seulement les Big Three. Elle concernait l'ensemble de la classe travailleuse.

Il s'agissait de prouver une chose : que la classe travailleuse peut gagner. On ne gagne pas en jouant de manière défensive ou en réagissant aux événements. On ne gagne pas en jouant les gentils avec le patron. On ne gagne pas en disant à nos membres ce qu'ils doivent faire, ce qu'ils doivent dire ou comment le dire. On gagne en donnant aux travailleurs les outils, l'inspiration et le courage de se défendre.

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À Willow Run, le jour où le président nous a rendu visite sur le piquet de grève, j'ai dit que nous nous trouvions face à un nouvel ennemi, une nouvelle menace autoritaire. Mais qu’il ne s’agissait pas d’un pays lointain, d’un autre État. L'ennemi se trouvait ici-même, sur nos lieux de travail, et cet ennemi, c’est la cupidité des entreprises.

Pendant des décennies, la cupidité des entreprises a menacé de détruire la classe travailleuse. On dit aux travailleurs que leurs droits s'arrêtent à la porte du lieu de travail et on leur dit de se taire ou de mourir de faim. Pendant des décennies, les travailleurs ont été amenés à croire qu'il n'y avait pas d'autre solution. Ils ont été amenés à croire que la résistance est futile, que la guerre de classe menée contre nous depuis des décennies est ingagnable. Les travailleurs ont été amenés à croire que les membres de la classe travailleuse n'ont pas le pouvoir, la volonté ou le courage de se défendre.

Aujourd'hui, de Chattanooga, dans le Tennessee, à Chicago, dans l'Illinois, nous disons que la classe travailleuse est l'arsenal de la démocratie et que les travailleurs sont les libérateurs. La seule chose que j'ai observée tout au long de ce combat, et la seule chose que nous savons, c'est que ce n'est pas un PDG qui va nous sauver. Ce n'est pas un président qui va nous sauver. Ce n'est pas moi, ce n'est pas vous, c'est nous, c'est une classe travailleuse unie. C'est ainsi que nous gagnerons.

(Source : Jacobin)