Shawn Fain, le dirigeant du syndicat américain de l’automobile, à ManiFiesta

« À profits records, contrats records. » C’est avec cet ambitieux message que Shawn Fain a entamé sa présidence du syndicat US de l’automobile United Auto Workers. Et avec succès, puisque l’UAW a remporté des victoires inédites. Qui est ce dirigeant syndical et comment a-t-il fait plier les plus grands constructeurs automobiles ?

Fain est un ouvrier issu d’une famille de la classe travailleuse. Il ne porte que rarement un costume. Quand cet ancien électricien prend la parole, on entend d’où il vient : de la classe ouvrière du Midwest américain.

Fain est né en 1968 à Kokomo, une petite ville industrielle de l’Indiana. Son grand-père y a travaillé pendant près de quarante ans à l’usine automobile Chrysler, aujourd’hui Stellantis. Sa mère était infirmière, son père chef de corps dans la police.

Un électricien pour éteindre la corruption

Le fait que Fain soit aujourd’hui président du syndicat de l’auto­ mobile UAW n’allait vraiment pas de soi. Pendant des années, la corruption a malheureusement été omniprésente au sommet de l’UAW, syndicat qui compte près d’un million de membres, dont 400 000 sont des travailleurs actifs. En 2014, les autorités ont lancé une enquête. Plusieurs hauts responsables ont été condamnés pour avoir détourné plus d’un million de dollars. La base du syndicat était en colère, déçue, et a choisi par référendum d’élire dorénavant la direction du syndicat de manière directe.

Au sein d’un groupe de progressistes, Fain s’est porté candidat à la présidence. Leurs objectifs : tourner la page de la corruption, arrêter de faire des concessions aux patrons et mettre fin aux contrats différents pour les travailleurs plus âgés et plus jeunes. Ce dernier point a toujours été la priorité de Fain. En tant que délégué, il s’était opposé à l’introduction de régimes plus défavorables pour les nouveaux travailleurs ; ce qui sape la solidarité entre les travailleurs.

Aux États-Unis, trois usines automobiles entament une grève historique

L’élection à la fin 2022 a été serrée mais Fain, relativement inconnu, a battu Ray Curry, le président de l’époque. Un moment historique puisque, pour la première fois en 80 ans, la base syndicale a choisi qui la représenterait.

Prêts à faire grève

Sous la direction de Fain, l’UAW s’est immédiatement préparée à des négociations contractuelles difficiles avec les « Big Three », c’est-à-dire les trois principaux constructeurs automobiles américains : Ford, General Motors et Stellantis (dont fait partie Chrysler). Alors qu’au début des négociations, les prédécesseurs de Fain serraient toujours la main de la direction devant la caméra, Fain a adopté une approche totalement différente : il est resté aux portes de l’usine, au milieu des ouvriers, et a immédiatement fait savoir que l’UAW était prête à faire grève s’il le fallait. En août, après un mois de négociations, il faisait déjà voter les membres : pour ou contre la grève ? Une majorité écrasante de 97 % s’étant déclarée « pour », c’est avec assurance que l’UAW a entamé la grève.

La fermeture de l’ensemble du secteur n’était pas envisageable, surtout d’un point de vue financier, mais grâce à des grèves ciblées, l’UAW a réussi à toucher les trois principaux constructeurs automobiles. Les négociations n’ayant débouché sur rien, la grève s’est étendue à de nouvelles usines. Et cela a fonctionné. Ford a été le premier, suivi par Stellantis et GM à la fin du mois d’octobre.

Dans une vidéo annonçant l’accord avec Stellantis, Shawn Fain a décrit une longue liste de victoires : « Nous avons réalisé ce qui était considéré comme impossible il y a quelques semaines. » Augmentations salariales de 25 % sur les salaires de base étalées sur 4,5 ans, rétablissement de l’indexation des salaires, accélération de la croissance salariale... Les travailleurs les mieux payés ont gagné en tout 33 %, tandis que les travailleurs intérimaires les moins bien payés ont bénéficié d’une hausse de 165 %. Les accords suppriment les systèmes de rémunération distincts, ce qui se traduit par une augmentation de 76 % de certaines nouvelles grilles salariales. En outre, l’accord garantit le droit de grève, ce qui n’est pas une évidence aux États-Unis…

Le syndicat automobile US fait plier les 3 géants

« Pendant des décennies, nous nous sommes battus avec une main liée dans le dos et, pour être honnête, j’ai parfois eu l’impression que c’étaient les deux mains, a déclaré Fain. Avec cet accord, nous passons de la défense à l’attaque. Nous passons d’un déclin de la classe travailleuse américaine à une nouvelle ère de la construction automobile. » Autre résultat remarquable de la lutte : la réouverture d’une usine Stellantis, où quelque 3 000 emplois seront bientôt créés.

Choisir le camp de la classe travailleuse

Dans les médias, un commentateur a souligné : « Il semble que Fain veuille prouver sans cesse aux membres qu’il est complètement différent de ses prédécesseurs. » Mais le fait que la grève ait connu un tel succès aussi rapidement montre que le changement est bien plus qu’une différence de style. L’UAW a pris la tête des négociations et a donné le ton avec des revendications ambitieuses et populaires. Il a mis la pression sur les patrons avec la première grève simultanée jamais organisée chez les trois grands constructeurs automobiles, grève qui promettait d’être de plus en plus importante.

Quinze ans auparavant, Fain était négociateur pour le syndicat. Chrysler avait dû à l’époque se mettre sous protection par rapport à ses créanciers, suite à la crise bancaire. Mais les bénéfices sont rapidement revenus. « J’ai vu comment l’entreprise allait s’approprier le tout, explique Fain. Et nous, nous avons juste pu assister à tout ça pendant dix ans tandis qu’ils amassaient de l’argent. C’est pour changer cela que j’ai posé ma candidature. »

L’UAW se range à nouveau du côté de la classe travailleuse et ne conclut plus d’accords en sous-main avec les patrons. En quelques mois, Fain a gagné le cœur de sa base. Il utilise également les réseaux sociaux de manière intelligente. Par des vidéos en direct sur Facebook, il s’adresse directement à des dizaines de milliers d’ouvriers à travers tous les États-Unis. « Le grand public et les médias ont eux aussi vu ce que nous faisions. Lorsque nous nous sommes mis en grève, nous avons reçu le soutien de 75 % des Américains. »

Shawn Fain est déterminé à obtenir encore plus de victoires. Depuis le mois d’octobre, l’UAW cible les usines automobiles où il n’y a pas encore de syndicat. Par exemple chez Volkswagen et MercedesBenz, dans le Sud conservateur. La peur du syndicat est très présente chez les constructeurs automobiles. Toyota, Honda, Nissan, Subaru, Volkswagen, Hyundai et même Tesla ont déjà spontanément accordé une augmentation à leurs travailleurs, craignant des luttes syndicales.

Les nouveaux contrats avec Ford, GM et Stellantis expirent tous le 30 mai 2028. Shawn Fain appelle les autres syndicats à faire de même. Les métallos américains semblent avoir l’intention de répéter leur démonstration de force le jour de la fête du Travail, en 2028, avec – qui sait – une grève générale massive.

Shawn Fain sera à ManiFiesta pour expliquer ses luttes, ses victoires et sa stratégie pour l’avenir.